Chroniques d’un désaffilié : le départ

N’abandonne pas ton assemblée, ou le grand départ.

Par où commencer, sinon par le commencement ? Quel meilleur commencement sinon l’histoire du jour où j’ai annoncé mon départ des milieux évangéliques à la communauté dont je faisais partie ? J’ai pendant plusieurs années fréquenté les milieux évangéliques romands avant de m’en émanciper complètement. J’ai principalement fréquenté l’Armée du Salut. J’ai fréquenté les milieux apostoliques et la FREE. J’ai participé à des événements proposés par la Ligue pour la lecture de la Bible et JEM notamment. Mais aussi à la tonitruante rencontre de jeunesse et aux soirées de l’AIMG. Je nomme ces institutions non pour créer la polémique, mais pour montrer qu’il ne s’agissait pas juste d’une aventure ponctuelle dans une petite église de maison perdue au fin fond d’un village. Que mon expérience s’inscrit dans le mainstream de l’évangélisme romand et dans un réseau. De la même manière, mon expérience n’est heureusement pas celle de tous ceux qui passent dans ces milieux. Mais, c’est une réalité qui existe, et qui a la nécessité d’être contée.

Je m’en suis émancipé donc. Parce que je n’avais plus envie de me lever le dimanche matin. Parce que je n’avais plus envie d’investir des heures de mon temps bénévolement et de mon argent pour un projet qui ne me parlait plus. Surtout parce que j’avais cessé de croire à toute sorte de choses prêchées et prônées dans ces milieux. Donner de mon temps, de mon argent et de ma personne pour des institutions qui me donnaient l’impression de piétiner tout cela du pied, j’en avais assez. Soyons clairs : j’ai été amené à fréquenter ce milieu à une époque où j’étais perdu, où je me cherchais un peu. On m’a promis monts et merveilles. On m’a promis des réponses alors que j’étais en quête profonde de sens. En guise de réponse, je n’ai eu que du dogme et de la norme, la plupart du temps « clés en main ». En guise de merveilles, je n’ai eu que des écrans de fumée.

Ça a quand même tenu quelques années. Puis, le temps passant, j’ai commencé à retrouver un équilibre. J’ai commencé à poser des questions et à éprouver le cadre. J’ai vu que les réponses que l’on me donnait, en plus d’être les mêmes partout, ne reposaient pas sur grand-chose. Ce cadre qui me paraissait si solide pendant ces quelques années s’est bien vite effrité. Puis j’ai remonté la pente, je me suis reconstruit. Je me suis rendu compte que je m’étais enfermé dans un monde dont il était devenu extrêmement dur de sortir.

L’entrée s’est faite de manière spectaculaire. J’ai très rapidement été pris en main. En résumé : on m’a fait jeter mes disques parce que ces musiques n’étaient pas bonnes pour ma foi. On m’a fait jeter la plupart de mes livres parce que ces lectures n’étaient pas bonnes pour ma foi. De même pour mes DVD, le merch des groupes de musique que j’aimais, jugés de mauvaise influence. N’oublions pas les amis : on m’expliquait que mes amis, je devais les évangéliser. Traduction : ils devaient après moi devenir de nouveaux croyants sous mon influence. Quant à ceux qui avaient une mauvaise influence sur ma foi, je devais m’en distancer. Pareillement pour mes activités : le jeu de rôle, les soirées, les concerts, etc… . Ces activités étaient malsaines car cela me détournait de Dieu. Vous l’avez compris : je me suis retrouvé seul, sans la majorité de mes amis d’alors, brisé, sans repères et en cruelle quête de sens. La manœuvre (consciente ou non, peu importe) du « je te détruis pour te remodeler ». C’est là qu’on m’a introduit dans la communauté dans laquelle j’étais arrivé, qu’on m’a entouré et donné des responsabilités et surtout une reconnaissance : je me suis rapidement retrouvé sur l’estrade à faire de la musique sous les applaudissements et les remerciements. On m’a donné des responsabilités vis-à-vis des plus jeunes. En parallèle de cela, dimanche après dimanche, évènement après évènement, on m’a distillé les différents crédos et codes, les injonctions tant sociales que relatives aux croyances phares. Ainsi, mon nouvel entourage social s’est chargé de faire mon éducation chrétienne : musique, films, vêtements parfois à l’effigie de Jésus, évènements à fréquenter, dogmes, expression de foi adéquat, etc… . Si bien qu’après quelques mois seulement, j’avais un nouveau cercle social et un rôle à jouer au sein d’une communauté. On m’avait remodelé. Ce remodelage est à l’image d’une parole d’une paroissienne : « Jérôme, tu es un diamant, tu es précieux. Mais tu es brut, et tu dois te laisser tailler pour prendre une belle forme« . Un adage courant dans ces milieux le dit autrement : « Jésus t’aime suffisamment pour t’accepter comme tu es, mais il t’aime trop pour te laisser ainsi« .

Puis le temps a passé, et je suis passé de l’autre côté de la barrière : je suis devenu responsable de groupe de jeunes, par la suite coresponsable d’église. J’ai fait une formation biblique et de leadership dans le cadre de l’Armée du Salut. On m’a demandé de prêcher de plus en plus, de jouer sur de grandes scènes. Devant des assemblées de plus en plus grandes. C’est là que j’ai commencé à voir le revers de la médaille. À constater toute sorte de dérives, envers moi et envers les autres. Le réel rattrapait les croyances et je commençais à ne plus tenir dans le moule étroit dans lequel je m’étais laissé enfermer. Progressivement, tout a commencé à s’effriter. Les luttes de pouvoir incessantes, les egos insatisfaits de ceux qui avaient l’autorité, les manipulations de masse, les abus d’autorité, les abus spirituels, etc… . Le réel a donc repris le dessus et j’ai fini par m’éloigner lentement, mais sûrement de ces milieux pour finalement les quitter irrévocablement.

Le départ fut rude. Partir et revenir à ma vie d’avant, c’était quitter mon milieu social. C’était quitter une reconnaissance que je ne retrouverais peut-être plus. C’est donc toute une vie que j’ai due reconstruire. Surtout, c’était subir toute sorte de pressions psychologiques de la part de certains de mes compagnons.

Parmi ces pressions, il y a d’abord les phrases simples du style : « tu es en recherche, moi aussi j’ai quitté l’église un moment pour voir ce que le monde avait à me donner. J’ai fini par revenir à l’essentiel finalement. Tu finiras par revenir aussi ». Il y a les pressions affectives et qui flattent l’ego : « tu vas nous manquer », « quand tu joues de la musique/prêches, c’est quand même bien, c’est dommage que tu partes ».

Mais, il y a aussi toutes les injonctions. Lorsque vous sortez de plusieurs années de matraquage, même si vous êtes convaincus de partir, conjuguée à l’ego, à l’effort que demande la reconstruction, à l’effet de groupe, la dialectique est une arme redoutable : « Jésus ne souhaite pas que tu partes ». « Quitter ta église, that’s not Jésus » (me disait un prédicateur américain dans une rencontre JEM). Ou encore « Ce n’est pas dans le plan de Jésus pour ta vie que de quitter notre église ». Comprendre : « Jésus n’approuve pas ta décision Jérôme ». Viennent enfin les injonctions bibliques : « N’abandonne pas ton assemblée comme l’ont déjà fait certains, sinon tu seras livré à toi-même dans le monde ». Et c’est bien avec cette dernière phrase qu’une paroissienne s’approcha de moi le jour où j’ai annoncé mon départ.


La peur du chemin de l’autre

N’abandonne pas ton assemblée donc. Et non contente de m’asséner ce qu’elle pensait être un argument de poids par sa provenance biblique, et donc à ses yeux divinement inspiré, celle-ci ajouta, à ma surprise : « viens donc dîner à la maison ». Surpris par ce grand écart, mais aussi naïf, j’acceptai, à condition qu’il ne s’agisse pas d’une (vaine) tentative pour me garder à l’intérieur de l’église, ce qu’elle accepta bien volontiers.

Je suis donc allé chez elle. J’ai (bien) mangé. Puis est venu le moment du café. Moment durant lequel elle proposa une petite animation. La voilà farfouillant dans une boîte pour trouver un disque : un DVD gravé avec des pattes de mouches dessus. Elle mit le DVD dans le lecteur. Il s’agissait d’une ancienne rétrospective de l’église que je venais de quitter. Comme pour me dire « voilà ce que tu vas quitter mon ami ». Je n’ai rien dit et j’ai laissé passer l’orage. Car finalement, sa tentative était bien vaine, et une heure plus tard je serai dehors et n’aurai probablement plus de nouvelles de cette personne. Mais, voilà que pendant le visionnage, j’ai été attentif à elle. Puis j’ai compris une chose fondamentale : ce n’est pas pour me convaincre qu’elle avait choisi de mettre ce DVD. Mais pour se convaincre elle que je faisais « un mauvais choix ». C’est à une dimension affective que j’étais confronté, et non conquérante. Je me suis alors rendu compte que mon départ faisait en réalité peur à plusieurs de mes anciens coreligionnaires (ce qui m’a été confirmé par la suite) : comment se fait-il qu’un jeune, après une conversion si rapide, une formation biblique, et qui a maintenant des responsabilités s’en aille comme cela ?

J’ai regardé le DVD, j’ai bu mon café, et je l’ai remercié pour le repas. Je pensais dire quelque chose par rapport à toute cette mascarade, mais non. Silence. Alors qu’elle croyait peut-être jouer sa dernière carte, elle a sans le savoir définitivement entériné ma décision.  Cet épisode a fini de me conforter dans l’idée de quitter cette église, et de ne pas y retourner. Ni dans aucune autre d’ailleurs. J’ai aussi compris que ce que je fuyais pour des raisons de fond comblait certainement d’autres choses dans la vie de cette personne et de tous ceux de la part de qui j’ai subi des pressions psychologiques en annonçant mon départ. Que la structure de leur pensée a probablement été entièrement façonnée par le catéchisme et la vie communautaire de cette (ces) église(s) et que probablement mon choix n’était tout simplement pas accessible à leur compréhension, pas envisageable de leur point de vue. Pas par manque d’intelligence, mais par une vision trop étriquée du monde. Peut-être, mais moi, je m’en suis allé. Tout en ne pouvant juger mon hôte du jour sur la manière dont elle s’est construite. En revanche, je suis triste pour elle et pour beaucoup de mes anciens compagnons.

Cet épisode marque la fin de mon aventure évangélique. Aventure dont je suis ressorti avec beaucoup de plaies ouvertes, qui ont mis du temps à cicatriser. Mais aussi avec beaucoup d’anecdotes, parfois cocasses, parfois franchement scandaleuses : je ne rechignerai pas à vous conter certains abus subis et constatés.

Et, pour le faire une fois pour toutes et parce qu’ils ne le savent peut-être pas, merci à Max, Thibaud, Séb, Uj, Anna, Iannis, Philou et Ambre qui ont accompagné peut-être sans le savoir ma sortie longue et mouvementée de ces milieux et sans qui je n’en serais pas ou j’en suis aujourd’hui. Enfin, un merci spécial pour Davide, qui jour après jour depuis 10 ans lis mes messages sans relâche (et m’en envoie autant). Merci infiniment.

2 commentaires

  1. […] Dans mon dernier billet, je vous parlais brièvement du moule dans lequel j’ai été mis très rapidement et des pressions psychologiques que l’on peut subir lorsque l’on se désaffilie du milieu évangélique. Plusieurs retours de la part de lecteurs m’ont poussé à aborder cette thématique sous l’angle de l’intention. Une personne m’a en effet posé la question de savoir si les pressions psychologiques infligées étaient préméditées, intentionnelles de la part de mes anciens compagnons, ou s’il s’agissait d’actes involontaires. Un ami habitué de ces milieux m’a de son côté laisser entendre que pour des « non-initiés », mon propos pouvait laisser un goût de conspiration, de manipulation consciente et volontaire des nouveaux convertis comme celui que j’étais à l’époque. Ces deux retours me permettent d’aborder une question clé qui a traversé mon passage dans le milieu évangélique romand : la question de l’enseignement religieux aux enfants. […]

    J’aime

Laisser un commentaire