Chroniques d’un désaffilié : les responsables

Cette chronique marque le changement de plateforme de diffusion de mes textes. Je travaille actuellement sur les prochaines : des anecdotes sur la vie de paroisse. Ce sont principalement ces histoires que j’ai envie de relater, mais j’avais auparavant besoin de poser quelques bases pour donner à ces récits du volume et du relief, ce qui est fait maintenant que les six premières chroniques sont publiées. Grâce à ce nouveau site, je me permettrai à l’avenir également plus de digressions, de réflexions sur la portée de ces expériences, mais aussi plus d’esquisses spirituelles et théologiques pour proposer des voies/voix alternatives à celles que j’ai rencontrées. Je vais aussi vous proposer dans un avenir très proche des portraits de personnes, qui, elles aussi, ont pris du recul par rapport à la religion chrétienne, et qui portent un regard sur la vie et sur le monde que je trouve inspirant.

Formation des responsables : suite et fin

Mais, avant d’aller dans le vif de la vie communautaire, j’aimerais ici continuer d’approfondir la question de la formation des responsables afin d’affiner la réponse à ceci : les mécanismes mis en œuvre pour garder les personnes dans l’Église étaient-ils volontaires ? J’ai déjà donné des éléments de réponse : en ce qui concerne les pressions provenant des paroissiens, je ne pense effectivement pas que cela soit le cas. Il s’agit plus d’aliénations, de conditionnements et d’habitudes, que de malveillance. En revanche, j’ai pu constater que par excès de zèle, certains responsables utilisent des méthodes que je trouve discutables. Celles-ci, manipulatoires, ont pour double effet de contrôler et d’enfermer la vie des croyants tout en formant de futurs responsables souvent inconscients de leur impact et de leur influence.

Pour ma part, j’ai démarré en 2013, le cursus proposé par l’Armée du Salut pour ses futurs pasteurs (les officiers de l’Armée du Salut). Cette étape a eu lieu chronologiquement après tous les évènements que je vous ai déjà relatés. Cette formation avait lieu à Bâle et était donnée en interne par l’institution salutiste. Davantage que de vouloir devenir officier, je souhaitais avoir mon ticket pour étudier la théologie à l’université. Si mes camarades étudiants, de futurs officiers pour la plupart, arrivaient déterminés et confiants, j’étais pour ma part un peu sur la retenue, déjà très critique vis-à-vis de la vie ecclésiale et de tous ses biais. Ma confiance dans le mythe proposé par le milieu évangélique était bien émoussée. Mais l’Armée du Salut dispensant une formation en cours d’accréditation auprès de l’Université du Middlesex, j’y voyais une porte entrouverte : je n’avais pas de maturité gymnasiale et devais donc passer un examen de passerelle ou me soumettre aux examens d’entrée de l’université pour pouvoir y entrer. Les deux options étaient difficiles compte tenu de ma vie de famille en construction et de ma situation professionnelle et financière. En effet, je n’avais ni le temps ni l’argent pour consacrer une année pleine et entière à étudier. L’Armée du Salut m’avait proposé une alternative viable : étudier à distance (le présentiel étant limité), à mon rythme, valider l’équivalent de six semestres d’études et obtenir le Bachelor délivré par l’Université du Middlesex (Bachelor in arts of christian leadership) pour ensuite entrer grâce à celui-ci en cursus classique de théologie. Je n’ai finalement pu compléter que quatre semestres, soit l’équivalent de la formation d’officier, car l’Armée du Salut a décidé trois ans après son démarrage d’arrêter le processus d’accréditation. Je me suis donc retrouvé avec un diplôme non reconnu par les universités, et sans possibilité d’aller au bout de la formation entamée.

Le cursus devait permettre aux futurs responsables de gérer une paroisse. L’accent était donc mis sur la pratique par le biais de modules sur l’un ou l’autre aspect de la fonction pastorale comme l’initiation à l’accompagnement spirituel ou l’homilétique par exemple. Nous suivions aussi des modules dédiés à l’une ou l’autre activité ecclésiale, en immersion dans une paroisse, que nous validions par un rapport. La partie théorique mettait l’accent sur la personne du leader et sur les différents types de leaderships ainsi que sur la praxis (prière, pratique du culte, etc..) dans le cadre de la vie paroissiale. En revanche, l’apport théologique était assez faible proportionnellement à l’entier de la formation. Quand apport théologique il y avait, il était centré sur la vision salutiste ou envisagé plus largement dans une perspective évangélique. Ce qui se comprend en un sens, car il s’agissait d’une formation interne à l’institution salutiste, qui se veut d’obédience évangélique. Toutefois, cela ne nous permettait pas de cultiver une plus grande ouverture de pensée ni ne nous entraînait à réfléchir. Il m’a, par exemple, été reproché à plusieurs reprises de faire appel à des auteurs athées dans certaines de mes réflexions. Je pense notamment à un module « d’introduction au travail social » pour le rapport final duquel j’avais convoqué la pensée d’Albert Jacquard, provoquant l’irritation de certains camarades et professeurs, ainsi que quelques procès d’intention douteux. Ces cours s’apparentaient à mes yeux plus à du catéchisme qu’à de l’étude théologique.

Une posture faible d’apparence forte

Mais, ce qui m’intéresse ici, c’est avant tout la posture dans laquelle étaient plongés les apprenants en tant que futurs leaders/officiers. Lors d’un cours faisant partie du module de « ministère chrétien » (le module le plus volumineux), le professeur, qui était accessoirement le directeur du centre de formation, nous a demandé comment nous nous imaginions un responsable de communauté. Je fais ici une parenthèse pour expliquer qu’au moment où se déroulait ce cours, je venais de commencer à travailler comme accompagnant spirituel dans une institution qui prenait en charge des personnes dépendantes à l’alcool. Fraichement débarqué dans mes nouvelles fonctions, j’ai été grandement aidé au départ par l’assistant social qui y travaillait depuis plus de vingt ans et qui a contribué à faire de moi l’accompagnant spirituel que je suis aujourd’hui. C’était mon premier poste dans l’accompagnement et j’étais encore très timide et mal assuré dans ma pratique. Parmi tous les conseils qu’il m’a donnés, j’en ai retenu un en particulier que je reformulerai ainsi : « n’oublie pas que dans le travail avec l’être humain, c’est à travers tes fragilités que tu seras fort dans le lien et non à travers une démonstration de force et de supériorité. Ce n’est pas parce que tu es accompagnant que les gens se confient à toi, mais parce que tu es qui tu es et qu’ils te font confiance. Tâche simplement d’honorer cette confiance. » Un infirmier en psychiatrie m’avait dit quelque chose du même ordre lorsque je faisais mon service civil : « trop d’infirmiers croient que les patients doivent leur parler en vertu du fait qu’ils sont infirmiers. Mais ce n’est pas notre statut qui crée le lien avec le patient, c’est qui nous sommes.« 

Ce conseil m’ayant réellement touché, je le passais au crible de la question qui nous était posée. L’idée qu’un responsable de communauté se montre authentique dans sa consistance comme dans sa fragilité me paraissait de bon sens. À qui sinon à une personne qui partage son humanité dans tout ce qu’elle a de plus vraie peut-on vraiment s’identifier ? Je me risquais donc à proposer un officier à l’image de n’importe quel membre de la communauté : un être humain avec une construction singulière, une personnalité propre, mais qui se permet de montrer ses limites face à ceux qui font de même avec lui. Un être humain dans la simple réciprocité du lien en somme. Le professeur, officier de l’Armée du Salut, semblant embarrassé par ma réponse face à mes camarades futurs officier, m’a répondu que je me trompais (!) ; qu’à ses yeux un responsable de communauté devait être un pilier pour les paroissiens et que ses fragilités devaient être mises de côté pour permettre à ceux-ci d’avoir un repère stable lorsqu’ils sont dans des moments de doute ou d’instabilité. « Les gens doivent avoir le sentiment qu’ils peuvent s’appuyer sur leur leader. Ce doit être un pilier fort. » qu’il nous disait. Cette vision du pastorat était pourtant mise à l’épreuve par les burnouts en nombre chez les officiers.

Voilà qui contribue, avec les anecdotes des billets précédents, à construire le leader que je serais devenu si je n’avais pas pris de recul avec ce milieu : un responsable ayant appris des techniques de manipulation de masse, faisant reposer son interprétation des textes sur l’argument que « cela fait 2000 ans que c’est comme ça et pas autrement« , usant de la Bible et de l’autorité que les croyants y confèrent pour asseoir son autorité tout en dissimulant la vraie nature des épreuves qu’il traverse pour se présenter comme un modèle de foi inébranlable aux paroissiens. Si ce n’est pas suffisant, considérons la manière dont les nouveaux officiers furent reçus dans la paroisse locale alors qu’ils venaient de quitter le centre de formation où ils avaient étudié avec moi pendant de longs mois. Un paroissien leur remit les clés de l’église lors de leur premier culte en leur disant : « bienvenue, cela fait un moment que nous attendions des chefs » (la paroisse venait alors de passer une année sans officier). Ainsi, le leader que je serais devenu aurait probablement été reçu par de nombreux croyants comme un chef. Autrement dit comme une personne jouissant d’une certaine autorité spirituelle.

Ce que l’on dégage VS la réalité

Cette « aura », je l’ai expérimentée très peu de temps après avoir commencé mon cursus au centre de formation. Je siégeais au conseil de paroisse quand j’ai pris la parole sur un sujet tout à fait anodin. Alors que je ne faisais que répéter des choses que j’avais déjà dites plusieurs fois, que je radotais, une collègue conseillère de paroisse me dit ceci : « on sent que tu as commencé les études bibliques, ce que tu dis est bien plus mature qu’avant. » Cette expérience m’a marqué car je n’avais à aucun moment évolué dans mes positions. En l’occurrence, c’est mon statut d’étudiant et de futur pasteur/officier potentiel qui m’avait donné de la crédibilité. Même expérience avec une paroissienne qui se faisait du souci pour moi et ma situation financière. Je lui répétais avec conviction qu’il n’y avait pas lieu de se faire de soucis et que la situation évoluait à son rythme. Mais ce n’est que lorsqu’un pasteur a tenu un sermon sur l’espérance, semblable à ce que je lui disais, que cette personne a arrêté de se faire du souci pour moi. Ce qui, je l’avoue, m’avait un peu frustré à l’époque : mon ressenti et ma connaissance complète de ma situation n’avait pas lieu d’être alors que les paroles désincarnées d’un autre faisaient autorité du fait qu’elles émanaient d’une personne ayant le statut de pasteur.

Est-ce à dire que tous les pasteurs/officiers deviennent des responsables horribles tels que je les décris plus haut ? Bien sûr que non. Est-ce à dire que tous les paroissiens n’accordent de crédit qu’aux seuls pasteurs et boivent leurs paroles sans aucun filtre ? Non plus. Ce serait faire des généralités abusives. Néanmoins, cela m’interpelle sur des manifestations systémiques engendrant des situations bien plus préoccupantes. Maintenant que les bases sont posées, je vais pouvoir aborder les problèmes de fond que cela a pu générer dans le cadre de la vie de paroisse, et surtout comment moi-même ainsi que certains compagnons y ont été confrontés. Des faits, que certains jugent anecdotiques, tels que ceux dont je fais part ci-dessus, deviennent potentiellement dramatiques si on les articule avec les différents parcours de vie. Ainsi et pour faire un peu de teasing, il sera question d’autorité et d’abus spirituel, de se demander qui peut ou ne peut pas prendre la parole dans le cadre d’activités cultuelles, d’expériences de transes et d’états seconds, de guérisons prétendues miraculeuses. Mais également de leaders autoproclamés, de risque de repli sur soi en tant que communauté et de bien d’autres choses encore.

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