Jésus toxique

De quoi ça parle ?

Plusieurs amis m’ont dit : « tu dois lire ce livre, ça va surement te parler ! » Je l’ai lu. Le livre en question : Jésus Toxique – Surmonter l’abus spirituel et le traumatisme religieux par Marc-Henri Sandoz Paradella aux éditions Olivétan. Et très franchement, après avoir considéré le récit et ce qui gravite autour, cela ne m’a que moyennement plu.

En un sens, ce livre m’a effectivement parlé. Comme le dit l’auteur, ce livre est l’histoire de sa résolution à se faire le porte-parole de son enfant intérieur et celle de nombreux abus spirituels (p.15). Et, en effet, les témoignages d’expériences personnelles se succèdent. Je peux y voir nombre d’abus spirituels et religieux que j’ai subis, constatés et que je constate encore comme accompagnant. Ainsi, à aucun moment je ne remets en doute la parole de l’auteur sur les blessures et les abus subis. Tout me parait cohérent.

L’auteur y présente plusieurs « Jésus toxiques », figures d’une divinité prêchée aux caractéristiques plus mortifères les unes que les autres. Ici aussi, beaucoup crient à l’hérésie tant ils croient que l’auteur parle de Jésus en soi. Ce qui démontre qu’ils n’ont tout simplement pas lu le livre. En effet, il n’est pas question de Jésus, mais de façons de le voir, de l’interpréter et de l’enseigner en fonction de différents contextes et situations. Il n’est pas question de Jésus, mais de la manière dont des évangéliques peuvent en parler. Jésus le négateur, le punisseur, le magicien, l’oppresseur, le puritain et le fanatique sont autant de figures prêchées, autant de manières de le considérer ayant effectivement cours dans le milieu évangélique. Pour cela, je vais dans le sens de l’auteur : toutes ces facettes du Dieu évangélique, je les ai rencontrées, et la manière qu’il a de nommer ces différents « Jésus » et de les décrire me parait intéressante. Le négateur qui rejette l’expérience, les sentiments et l’intelligence au profit d’un dogme et d’une morale. Jésus le punisseur qui privilégie le sacrifice et fait l’éloge de la souffrance. Le magicien qui nous incite à être attentiste. Le puritain qui fustige le plaisir et fait aussi l’éloge de la souffrance. Toutes ces facettes font effectivement écho à des expériences personnelles.

Il revient à plusieurs reprises sur le sentiment de culpabilité induit par l’enseignement religieux, plongeant le croyant qu’il était dans des positions intenables entre ses aspirations et ses envies, et les injonctions reçues justifiées par l’autorité et la parole divine. Là aussi, je trouve son propos intéressant dans la manière qu’il a de montrer comment, pleines de bonnes intentions, les personnes qui l’enseignaient et l’entouraient, à l’image de ses parents, le maintenaient dans une spirale culpabilisante. Et, il montre bien comment le groupe, alors plutôt présenté comme quelque chose de naturel tant nous serions des êtres grégaires, s’impose à la psyché et devient source d’angoisse plutôt que de bien-être : ne pas aller aux réunions, ne pas participer à la vie du groupe devient, à la longue, culpabilisant et angoissant. Il montre ainsi à travers tout ce récit, et c’est plutôt réussi, comment les différents Jésus l’ont « opprimé, comment ils en oppriment beaucoup, comment ils sont nés et se nourrissent des blessures non résolues, des peurs et des hontes cachées« . (p.29)

Mais…

J’ai néanmoins un peu de peine avec le ton de l’auteur. Par moments, on ignore si c’est un livre de témoignage accompagné d’une analyse d’un milieu dont il est sorti ou un livre de développement personnel tant l’auteur convoque le lecteur en lui posant des questions sur sa propre spiritualité, comme à la fin du premier chapitre par exemple (j’y reviendrai). Parfois, le changement de focus pour passer sur le lecteur me perdait dans ma lecture. Enfin, la fin du livre sur le thème de la grâce m’a un peu égaré aussi : parfois le langage me semblait un peu éthéré. Il n’y a pas de définitions claires sur les termes qu’il emploie. Et bien qu’il s’en défende, la dialectique me faisait là encore largement penser à du développement personnel tant les concepts sont flous et passe-partout.

En fait, j’ai l’impression que le livre fait appel, lorsqu’il s’adresse au lecteur et le questionne, à l’effet Barnum. C’est un principe psychologique basé sur l’auto persuasion. C’est croire se reconnaitre dans des propos généralistes et superficiels. Cette technique est notamment utilisée pour rédiger des horoscopes. On la retrouve dans des phrases passe-partout du style : « Vous êtes introvertis lorsqu’il le faut mais savez également être extraverti en fonction du contexte » ou encore « vous aimez bouger, mais vous aimez aussi votre chez-vous ». Le genre de phrases auxquelles tout le monde peut s’identifier. Même sans être aussi flagrant c’est ce que je ressens à la lecture. Cependant, je ne me permettrait pas de faire un procès d’intention à l’auteur ni d’affirmer que cela soit volontaire et conscient.

Le revers de la médaille

J’ai aussi quelques réserves vis-à-vis de ce livre pour des raisons externes au récit. Tout au long de ma première lecture, je me suis senti étreint par un sentiment que je ne peux pas mettre de côté : j’ai le sentiment que l’auteur a quelque chose à me vendre. La quantité de questions qu’il pose me fait penser tantôt à du développement personnel, tantôt à un boutiquier (pour reprendre l’expression d’Antoine Goya) qui cherche une faille pour attraper son lecteur et lui vendre un produit. La manière dont les questions me sont posées, notamment à la fin du premier chapitre, me donne justement ce sentiment d’effet Barnum. La manière dont l’auteur parle de lui fait que je me sens mal à l’aise, en ce que moi qui ai vécu les mêmes traumatismes que lui, moi qui ai rencontré tous ces Jésus toxiques dont il parle, je me sens une cible marketing. Pendant ma première lecture, je mets cela de côté. Mais même à la seconde lecture, ce sentiment ne me lâche pas.

À la fin du livre, on nous communique le site Internet de l’auteur. Je suis donc allé le consulter. J’ai compris d’où venait ce sentiment d’être une cible marketing. L’auteur a développé son propre business et est devenu indépendant. En quittant le milieu évangélique, il semble s’être ouvert à d’autres courants spirituels : il pratique désormais le tarot, la méditation et le yoga. En soi, pourquoi pas. Mais, bien plus que de les pratiquer, il se propose d’offrir une prestation rémunérée dans chacun de ces domaines. Une formation au tarot, 40 francs pour une séance de méditation, 100 francs pour un tirage de tarot individuel, ainsi que des entretiens individuels. Mais, et surtout une formation en ligne de quatre modules pour « guérir notre vie spirituelle » qui coûte 160 francs, et environ le double si l’on choisit la formule premium qui inclut deux entretiens par Skype avec l’auteur. Il se décrit comme mentor spirituel, écrivain, théologien, sociologue, formateur au tarot, thérapeute… Finalement, la multiplication des casquettes dilue la crédibilité que j’arrive à y accorder.

La page de la formation est une longue succession d’arguments censée convaincre l’internaute, de témoignages de tiers encensant la formation, ainsi que de longs descriptifs qui ne sont pas sans me rappeler, là aussi, un vide qui donne l’impression d’être plein, comme certaines dialectiques de développement personnel. C’est long, et cela fait beaucoup de storytelling pour pas grand chose au final. Je note aussi que le site propose d’acquérir gratuitement le premier chapitre du livre (en réalité ce n’est pas gratuit, puisqu’il faut donner son courriel pour l’obtenir). Chapitre à la fin duquel il invite toute personne qui suit une pratique religieuse (ou suivait… donc presque tous ses lecteurs) à se questionner sur celle-ci, et à voir s’il y a abus ou non. Une personne étant mal dans sa spiritualité le sachant en général, j’y vois la tentative de créer le besoin chez le lecteur. Après cette invitation, il nous pose quelques questions que personnellement, je trouve tournées de telle manière à ce qu’il est quasiment impossible de ne répondre positivement à aucune d’entre elles (effet barnum). Puis, il termine le chapitre en nous expliquant que la réponse positive à une seule de ces questions peut être la conséquence d’un Jésus toxique, qu’il nous invite à découvrir dans son livre (qui coûte 18 francs). Livre à la fin duquel il y a donc le lien vers son site Internet, ou l’on peut acheter toute ses prestations. La boucle est bouclée.

Le sentiment que me donne le livre, une fois tous ces aspects considérés, est que celui-ci est entièrement construit autour des multiples activités indépendantes de l’auteur, qu’il est un outil marketing, et, mais ce n’est qu’un sentiment, que son discours et son témoignage sont instrumentalisés pour servir de support à ce projet. Évidemment, ma vision est teintée et biaisée par une conviction : la spiritualité ne se monnaie pas, et capitaliser sur des personnes en détresse est quelque chose qui me dérange au plus haut point. C’est pour moi un problème de fond. Ce livre semble être un produit d’appel, une vitrine qui ouvre sur l’ensemble des prestations. Le premier chapitre en est la figure de proue. Finalement, plus qu’un témoignage je le lis comme un appel de phares.

Ainsi et pour résumer, je ne remets pas en cause les expériences de l’auteur. Bien au contraire, j’ai le sentiment de le comprendre tant j’ai moi-même rencontré ces Jésus toxiques : le fait de quitter son poste, abandonnant une certaine reconnaissance narcissique, le divorce… il décrit le même cheminement que moi avec des étapes similaires. Je ne remets pas non plus en cause son chemin de guérison. Il est certes différent du mien, mais il est tout aussi légitime. En revanche, j’émets une réserve sur l’après et sur la démarche marketing parallèle au récit.

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