
Il y a quelques semaines paraissait sur la chaîne YouTube d’Arte un documentaire en trois parties sur le mouvement évangélique et spécifiquement la naissance en son sein depuis la guerre froide d’un fondamentalisme chrétien qui entretient d’étroits rapports avec le pouvoir politique et qui tend vers le nationalisme. Ce fondamentalisme vise à étendre son influence morale, mais également sa visibilité pour propager le message évangélique avec en ligne de mire le salut du plus grand nombre et l’application d’une morale stricte. Par salut, comprenons « conversion », puisque ce n’est que par le fait de croire que l’on est sauvé. J’avoue ne pas m’être intéressé au premier abord à ce reportage. En effet, j’avais déjà parcouru plusieurs ouvrages traitant de ce sujet (voire bibliographie en bas de page) et j’avais visionné il y a quelques années le reportage diffusé par Temps présent (2019) qui traitait peu ou prou du même sujet, bien que de manière moins approfondie. J’avais en outre, en fréquentant le milieu évangélique romand, côtoyé bon nombre d’individus, d’églises et de rassemblements concernés de près ou de loin par cette problématique de la volonté d’influence, de pouvoir et de conquête.
Pas d’amalgames ?
Une réaction m’a pourtant incité à regarder les trois volets de ce document pour me faire mon propre avis. Dans un article paru sur le site de « reformes.ch », on peut lire que la Fédération protestante de France (FPF) juge par le prisme de son président que des amalgames et des raccourcis sont faits entre les évangéliques français et l’extrême droite, alors que le documentaire montre la journaliste Christine Kelly, évangélique convertie, témoignant de sa foi sur le plateau de l’église Martin Luther King de Créteil. Ces images seraient des « juxtapositions malhonnêtes » pour mettre en lien l’évangélisme avec une frange politique se situant plutôt à droite de l’échiquier. J’ai donc eu envie d’aller constater ce qu’il en était.
Or, il est intéressant de noter que ce qui me frappe dans le reportage n’est pas tant le lien fait avec Eric Zemmour sur lequel s’achoppe la FPF, mais celui fait avec Vincent Bolloré, président de la chaîne produisant justement Christine Kelly ET Eric Zemmour. En effet, Vincent Bolloré, milliardaire et propriétaire de plusieurs médias (Direct 8, CNews entre autres) se veut ouvertement être un catholique pratiquant et défenseur d’une vision identitaire et traditionaliste de la foi chrétienne. On peut déceler chez lui une volonté analogue à celle de Berlusconi en Italie de propager son idéologie par les médias, non en entrant lui-même en politique, mais en relayant des positions chrétiennes que l’on peut qualifier de fondamentalistes. À titre d’exemple, l’émission sur CNews « en quête d’esprit » qui nous expliquait il y a quelques mois que les forces du mal, les anges et les démons sont une réalité à laquelle nous devons faire extrêmement attention, et que dans cette optique, nous pouvons compter sur l’archange Saint-Michel pour nous protéger. Le rapprochement fait avec une idéologie politique de droite est tout trouvé : pour des raisons de défense de valeurs judéo-chrétiennes, à l’instar de Zemmour pour ne citer que lui, une partie des évangéliques et des catholiques se retrouvent dans une idéologie faisant office de bastion « anti-progrès » parfois pavlovien, et en viennent à soutenir des idéologies politiques de défense des valeurs traditionnelles généralement situées sur la droite de l’échiquier.
Enfin, il est bon de rappeler que Vincent Bolloré est le frère de Michel-Yves Bolloré, qui dirige lui aussi le groupe Bolloré dont fait partie CNews, la chaîne qui engageait à l’époque Kelly et Zemmour, et co-auteur du livre « Dieu, la science et les preuves » qui se veut avancer les preuves de l’existence de Dieu. Une apologétique dont le but est d’affirmer qu’il est raisonnable et logique de croire en l’existence de Dieu (livre auquel souscrivent beaucoup d’évangéliques de mon entourage, et relayé par les librairies chrétiennes dites évangéliques). Ainsi, le rapprochement fait avec le monde politique dans le reportage, que la FPF dénonce comme un amalgame, est loin d’être tiré par les cheveux. Il n’est pas étonnant, vu les convictions religieuses de la famille Bolloré, que le groupe Bolloré engage une journaliste évangélique convertie, et un Eric Zemmour, défenseur acharné de l’héritage judéo-chrétien ayant une vision politique identitaire de droite. Le rapprochement entre évangéliques, catholiques et le pouvoir en place n’est donc pas une théorie fumeuse, mais une réalité. Surtout lorsqu’il est question de défendre des positions morales traversant le mouvement évangélique telles que l’interdiction de l’avortement, du mariage pour tous, de l’adoption pour les couples homosexuels, ou encore pour faire un crochet par la Suisse, la loi anti-minarets de 2009. Je dis qu’en Suisse en tout cas, un rapprochement politique s’opère au fil du temps entre évangéliques et catholiques dans ce que je peux observer, notamment dans cette thématique de la défense des racines judéo-chrétiennes face à la sécularisation de la société et sur des positions morales notamment en lien avec la famille. En France, ces positions sont d’autant plus fortes dans un contexte laïc exclusif et où sont brandies des théories comme celle du « grand remplacement ». D’ailleurs, schématiquement, si l’on remonte aux lumières, à droite, on pense que l’homme est naturellement mauvais, et qu’il faut donc le corriger. Alors qu’à gauche, à l’image de Rousseau et de son homme naturel, on pense que l’homme est naturellement bon et que c’est la société qu’il faut changer. La doctrine du péché originelle considérant l’homme comme mauvais par nature mis en parallèle avec les grandes positions morales évangéliques, il n’est pas déraisonnable pour un observateur externe de penser que le chrétien évangélique lambda se rapproche de courants dits de droite.
Enfin, on peut voir dans le reportage d’Arte l’aumônier Thierry le Gall, pasteur au parlement français. Là aussi, je ne vois pas en quoi il y aurait amalgame puisqu’on nous montre un pasteur pentecôtiste, dont le but affiché est de témoigner de sa foi auprès des parlementaires (présenté aux côtés d’un sénateur catholique pratiquant) ce qui n’est pas sans rappeler l’action d’un certain Jean-Claude Chabloz, il y a quelques années sous la coupole fédérale à Berne. Il n’est certes pas question de fondamentalisme identitaire comme aux USA ou au Brésil, mais il est explicitement question d’influencer le pouvoir en place par le prisme de la foi religieuse et de la morale chrétienne. Alors que j’étais allé écouter M. Chabloz lorsque je fréquentais encore les milieux évangéliques, ce dernier nous avait ouvertement affiché son ambition : témoigner de la foi chrétienne sous la coupole afin que ceux qui dirigent puissent être influencés par les valeurs morales de l’évangile. La démarche est certes moins affirmée qu’aux USA ou au Brésil, mais elle n’est néanmoins pas anodine et montre tout de même des liens entre convictions religieuses, pouvoirs politiques et volonté d’allier les deux au travers de valeurs morales explicitement affichées comme « chrétiennes ». Le tout est que ces positions sont généralement celles défendues par les partis les plus à droite de l’échiquier politique.
Quant à moi, je ne vois pas d’amalgame. Tout au plus un manque de temps à disposition pour bien dérouler les liens existant en France et en Europe. Le documentaire parle tout d’abord de l’évangélisme de manière générale en énonçant ses quatre principes que sont la conversion personnelle, la lecture de la Bible, l’attachement à la mort de Jésus et l’élan missionnaire. Puis, il sera question des liens entre pouvoir politique et religieux. Le document parle d’une réalité du mouvement évangélique, qui est certes une nébuleuse, mais, d’une réalité qui tout d’abord n’est pas minoritaire, et qui n’a jamais évolué dans l’ombre et le secret. De plus, la parole est donnée aux opposants des fondamentalistes, à l’image de Shaine Claiborne pour ne citer que lui (il est le seul auteur évangélique dont j’ai gardé les livres avec Rob Bell après ma désaffiliation). En ce qui me concerne, je n’ai pas eu l’occasion de fréquenter en Suisse romande de milieux chrétiens évangéliques explicitement affichés comme « identitaires » ou « nationalistes ». En revanche, la volonté d’influencer la société par différents prismes, dont le politique, a été omniprésent durant mon expérience évangélique. Pas d’amalgames donc à mes yeux, même si je peux comprendre en quoi on peut estimer qu’il y en ait.
Pourquoi le silence ?
Dans un billet publié sur son blog, Jean-Denis Kraege se pose la question suivante : « Les hauts cris que poussent certains « évangéliques » suite à ces émissions me font également me demander pourquoi, dans ce milieu, ceux qui s’opposent aux « évangéliques » qui se lancent à la conquête du monde ne le proclament pas haut et fort. Il en va ici comme de cette majorité d’adhérents à l’islam qui ne disent presque jamais rien contre l’islamisme. Pourquoi nos responsables « évangéliques » en Suisse Romande ne lèvent-ils pas la voix, par exemple, contre l’Union Démocratique Fédérale dont les « valeurs et positions », « un document de base » pour la législature 2019-2023, reprennent la volonté d’infiltrer les « sept montagnes » dont parlait la dernière émission d’ARTE (religion, arts, médias, affaires, gouvernement, famille et éducation) ?«
Cette question est légitime. Et, j’aimerais tenter d’y répondre par trois prismes. Le premier est celui du relativisme, et pour l’expliquer, je vais m’écarter pendant quelques lignes du champ de la politique. Les scandales ne sont pas rares : des télévangélistes et leur désinformation durant la crise sanitaire ; de la manière dont le religieux a influencé les pouvoirs politiques comme en Ouganda, notamment concernant la répression pour les personnes homosexuelles (voir le film « God Loves Uguanda) ; de la manière dont les jeunes sont endoctrinés dans certains milieux dès leur plus jeune âge (à ce sujet, voir le film « Jesus Camp« ). Durant tout mon parcours évangélique, la seule réponse que j’ai eue lorsque j’ai pointé ces différents scandales (et bien d’autres) a été de me dire que cela ne concernait qu’une frange marginale de notre religion et qu’il ne fallait pas s’y attarder. On me disait que plutôt que de voir ce qui ne va pas, il valait mieux s’attarder sur ce qui va bien et voir le positif. Que finalement, pour témoigner, c’est ce positif qui serait mon meilleur atout ! Cette posture de ne pas vouloir pointer du doigt les problèmes, de mettre la poussière sous le tapis, continue d’avoir cours encore aujourd’hui. Travaillant comme accompagnant, je vois chaque semaine des patients qui posent ces mêmes questions aujourd’hui encore et reçoivent des réponses similaires : ne pointe pas du doigt ce qui ne va pas, mais vois le positif.
Lorsqu’il est interrogé sur l’avenir de « Radio R », une radio romande chrétienne d’orientation évangélique, son directeur va aussi dans ce sens, et cela illustre assez bien cette dynamique : « Nous avons décidé de dire ce que les chrétiens font de mieux, pas de perdre notre âme dans des débats qui nous divisent. Cela passe souvent par l’évocation des œuvres des chrétiens dans le monde associatif par exemple. L’an dernier, une de nos émissions les plus écoutées concernait l’engagement des croyants pour aider les réfugiés ukrainiens. Nous voulons montrer que quand le monde traverse des crises, les chrétiens se lèvent toujours. On l’oublie parfois, mais c’est un pasteur évangélique qui a créé la Croix-Rouge, par exemple. » En un sens, je comprends que l’on veuille montrer une image positive de qui l’on est individuellement ou institutionnellement parlant. Mais à taire les dérives les casseroles s’accumulent, et je pense que ce laxisme à répondre à ces questionnements et à prendre position explicitement face aux abus a été la cause de nombreuses désaffiliations. Baignant dans ce positivisme constant, je n’ai jamais fréquenté de pasteur ou de responsable prenant franchement position contre les dérives de l’évangélisme ou les abus que je constatais dans les milieux d’église.
Pour revenir maintenant sur le champ politique et pour continuer à esquisser ma réponse, je pense que l’un des facteurs au fait que les évangéliques n’élèvent pas plus la voix, est une question de culture institutionnelle encline au positivisme.
Le malaise de la politique
Un autre aspect qui me parait émerger est le fait que nous ne sommes pas de culture américaine, et que par conséquents beaucoup d’évangéliques ont le tort de penser (et je les crois sincères) que ces manœuvres politiques n’ont pas cours ici et que finalement, il n’y a pas nécessairement de positions à prendre. Pourtant, à y regarder de plus près, les évangéliques et la politique suisse ne sont pas étrangers l’un à l’autre. Comme le dit M. Kraege, l’UDF reprend la volonté d’infiltrer les sept montagnes. De quoi s’agit-il ? Simplement de la volonté de placer des chrétiens qui pourront influencer la société dans le sens de la morale évangélique dans sept domaines clés que sont : la religion, les arts, les médias, les affaires, la famille, l’éducation et… la politique. Ensuite, comme je l’ai dit, il y a eu pendant des années la présence de M. Chabloz sous la couple fédérale. Plus connu du grand public, le parti évangélique affiche sa volonté de se laisser guider par Dieu dans son programme politique.
Enfin, je me permets une anecdote personnelle pour compléter ces quelques exemples. Il y a quelques années, je me suis présenté au conseil général de mon village. Il se trouve que j’ai été appelé, comme nous pouvons tous l’être, pour dépouiller les bulletins. Non seulement je ne pouvais pas y aller, mais en plus, étant dans la liste des candidats, je n’étais pas à l’aise de participer au dépouillement d’une élection me concernant. J’ai donc demandé à une connaissance de me remplacer. Celle-ci m’a relaté qu’à son grand étonnement, il y avait beaucoup de listes chrétiennes déposées dans les urnes. Je m’explique : plusieurs électeurs, et probablement sans se concerter, ont prélevé les noms des candidats chrétiens professants, indépendamment de leur parti ou de leur confession, pour élire leurs représentants. Ainsi, d’une certaine manière, c’est à cause du vote des chrétiens que j’avais été élu. Il peut être important de noter que la culture évangélique était très présente dans mon village à l’époque puisque la région comptait (aujourd’hui encore) pas moins de trois églises évangéliques en plus des communautés catholiques et protestantes.
Cette volonté d’influencer la société, notamment par le prisme de la politique, n’est pas minoritaire comme on pourrait le croire. Dans le milieu évangélique, on encourage aussi les jeunes dès leur plus jeune âge à investir ces « sept montagnes » sans forcément en donner le nom. Je me rappelle que ces encouragements étaient la matrice principale de la Rencontre de Jeunesse au Landeron, puis à Bulle, qui réunissait plusieurs milliers de jeunes romands alors que je la fréquentais. L’accent était mis sur deux points : l’évangélisation d’abord (la conversion du plus grand nombre), puis l’envoi des jeunes pour influencer leur cercle social à tous les niveaux. La foi évangélique était clairement envisagée de manière non seulement missionnaire, mais « missionnelle ». Ce n’était pas juste un acte, mais une posture, englobant toute la vie et toute la personne croyante. Nous étions très clairement encouragés à témoigner dans tous nos cercles sociaux pour influencer la société dans le sens de la vision évangélique. Cela comprend bien évidemment le politique pour ceux qui s’y investissent, même s’il n’a pas été dit explicitement qu’il fallait infiltrer cette sphère.
J’apporte tout de même une nuance. Il me semble percevoir que la mouvance identitaire et nationaliste n’est de loin pas aussi forte chez nous qu’elle ne l’est aux USA pour les évangéliques. En revanche, l’évangélisme étant par essence une religion englobante, et donc missionnaire, je pense que l’idée d’influencer la société par le prisme politique et mêler religion, croyances, morale et politique est quelque chose d’assez transversal sur lequel il y aura peu de divergences. D’ailleurs, je note que dans le documentaire, il est bien spécifié que des évangéliques s’insurgent contre le nationalisme chrétien, mais non pas contre l’influence de l’évangélisme (de quelque bord soit-il) en politique ou de manière plus large dans les « sept montagnes ». Les progressistes nient le nationalisme et la vision identitaire, mais non pas la démarche d’influencer la société et d’expansion de la foi chrétienne.
La pression du réseau
Un troisième élément de réponse est qu’il me parait difficile pour les responsables, en tout cas en Suisse romande, de prendre position contre les dérives, tout simplement parce que l’évangélisme, même s’il est une nébuleuse réunissant un grand nombre de sensibilités n’en est pas moins un réseau. Aux USA, l’influence de l’évangélisme est grande (un quart de la population serait évangélique), les « megachurchs » sont légion, la religion infuse beaucoup plus la société que chez nous : les évangéliques ne sont pas minoritaires. Ici en Suisse, même si des réveils spirituels et religieux ont eu lieu dans quelques régions et même si les évangéliques font partie du tissu religieux et social local, ils sont loin d’être majoritaires et suscitent souvent la méfiance, voire l’opposition, à tort ou à raison. Ainsi, et c’est compréhensible, ils se sont organisés en réseau à l’image du Réseau Évangélique Suisse. La dynamique de réseau permet d’être plus fort et de représenter un groupe plus nombreux que si l’on se présente comme des communautés indépendantes et éparpillées avec chacune un discours différent. Mais, ce réseau regroupe un grand nombre de fédérations d’églises aux sensibilités diverses, au sein desquelles sont réunies des paroisses locales de diverses sensibilités également. Pour avoir fréquenté plusieurs fédérations d’églises évangéliques et mouvements membres du Réseau évangélique Suisse, j’observe que cohabitent dans ce réseau des évangéliques zélés et exaltés semblables à la droite chrétienne nationaliste américaine dépeinte dans le documentaire d’Arte avec des chrétiens modérés de gauche progressistes, voire libertaires. Cohabitent des communautés modérées et sobres et d’autres charismatiques et extrêmement expansionnistes et missionnaires. Si aux USA, les progressistes s’insurgent et ont tôt fait parfois de retirer jusqu’au terme « évangélique » de leur nom, agir de la sorte ici pour ne pas être affilié à des fondamentalistes et prendre clairement position, c’est prendre le risque de faire éclater le réseau, et donc de perdre en influence et en force. S’élever contre une dérive, c’est prendre le risque de s’élever contre quelque chose qu’un autre membre du réseau considérera peut-être comme « normal » et ainsi de créer des divisions (et cela fait écho à la question du positivisme).
Pour ne pas subir les amalgames…
Si vraiment volonté de ne pas subir les amalgames il y a, alors il faut sortir de la confusion. Oui, l’évangélisme est une nébuleuse et l’on ne peut pas pointer une église du doigt et dire « tous les évangéliques sont ainsi ». Dans le même temps, les évangéliques sont organisés en réseau. De ce fait, ce qui éclabousse les uns affectera les autres. Prendre position contre des dérives, même externes au réseau, c’est ainsi prendre le risque de briser une union qui existe pour une raison simple : influencer la société vers une morale et des valeurs que le milieu croit juste. Ce que font tous les politiques.
Voici une anecdote qui illustre cette idée. Alors que je travaillais comme animateur jeunesse dans une paroisse de l’Armée du Salut, étaient organisées dans le même village par l’AIMG (Association Internationale des Ministères de Guérison) des soirées « Miracles et guérisons ». Le principe était simple : on invitait un orateur qui venait prêcher l’évangile, puis avait lieu un temps de prière ou les malades et les infirmes étaient invités à s’avancer afin que l’on prie pour eux et qu’ils soient guéris. La motivation d’organiser ces soirées tenaient dans la croyance ferme que la guérison était le signe manifesté par Dieu chez le croyant de la véracité de son existence lors de sa conversion. À cette époque, je côtoyais des membres des quatre églises du village, parmi lesquelles deux églises évangéliques (la troisième église évangélique qui existe aujourd’hui officiellement est formée des personnes qui organisaient à l’époque ces soirées « Miracles et guérisons »). Si les catholiques et les protestants réformés n’avaient aucun problème à exprimer leurs désaccords avec la démarche et ce même publiquement, les deux églises évangéliques (Armée du Salut et Free), alors même qu’elles éprouvaient quelques réserves, se sont abstenues. En cause, la volonté de ne pas créer de divisions à l’image d’une paroissienne dont j’étais très proche (familial) qui me dit ceci : « nous servons le même Dieu. Même si ça m’horripile et si je pense qu’il peut y avoir des abus spirituels, eh bien, je m’abstiens. Ils parlent de Dieu. Pas comme j’aimerais, mais ils en parlent. » Un verset biblique a été brandi à plusieurs reprises pour justifier le silence : quoi donc ? Toutefois, de toute manière, soit comme prétexte, soit en vérité, Christ est annoncé ; et en cela, je me réjouis et aussi, je me réjouirai. (Philippiens 1,18). Comprendre : peu importe les raisons pour lesquels et les moyens utilisés, on parle de Jésus, et c’est tout ce qui compte. Voilà bien l’exemple d’un verset biblique brandi afin de justifier une certaine tiédeur.
Pour ne pas subir les amalgames, il faut dès lors oser différencier les choses, et prendre position comme le font ces chrétiens américains contre le nationalisme chrétien. Cela demande de sortir du bois, et de devenir encore plus minoritaire que l’on ne l’est déjà. C’est une démarche difficile, j’en sais quelque chose : me désaffilier du milieu évangélique, c’était quitter un groupe pour, au départ, me retrouver complètement seul. Il est bien ardu de se retrouver seul, d’autant plus lorsque cette solitude signifie la perte de force induite par le nombre. Mais, je pense que des prises de positions tranchées, au-delà du relativisme, du positivisme à outrance et de la division potentielle, seraient de bon aloi de la part de ceux qui crient à l’amalgame. Parce que je rajoute ceci : crier à l’amalgame, ce n’est même pas encore affirmer son désaccord.
Quelques références pour aller plus loin:
Le documentaire d’Arte « Les évangéliques à la conquête du monde »:
Partie 1: https://www.youtube.com/watch?v=PXKIBopAmvw&t=190s
Partie 2: https://www.youtube.com/watch?v=eKVo6uc9XTQ
Partie 3: https://www.youtube.com/watch?v=XRQrwbvUgSE
Temps Présent – les évangéliques à la conquête du pouvoir: https://www.youtube.com/watch?v=vNudUOSQEbQ&t=3s
Yannick Fer, L’offensive évangélique. Voyage au coeur des réseaux militants de Jeunesse en Mission, Labor et Fides, 2010.
André Gagné, Ces évangéliques derrière Trump, Labor et Fides, 2020.
Philippe Gonzales, Que ton règne vienne. Des évangéliques tentés par le pouvoir absolu, Labor et Fides, 2014.
Jorg Stolz, Olivier Favre, Caroline Gachet & Emmanuelle Buchard, Le phénomène évangélique. Analyse d’un milieu compétitif, Labor et Fides, 2013.
Sébastien Fath, Du ghetto au réseau. Le protestantisme en France, 1800-2005, Labor et Fides, 2005.
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