Le silence

Matthieu 21:12-15 Iéshoua’ entre au Temple. Il jette dehors tous les vendeurs et les acheteurs du Temple. Il renverse les tables des changeurs et les sièges des vendeurs de palombes. Il leur dit : « Il est écrit : Ma maison a été criée, une maison de prière, mais vous, vous en avez fait une caverne de bandits. » Des aveugles, des boiteux s’approchent de lui dans le Sanctuaire. Il les guérit. Les chefs des desservants et les Sopherîms voient les prodiges qu’il fait, et les enfants qui crient dans le Sanctuaire et disent : « Hosha’na, Bèn David ! » Ils en sont irrités. (traduction Chouraqui)

Trois mois de silence. Trois mois durant lesquels je n’ai plus rien écrit ni publié. Ni même lu d’ailleurs. Je voulais, mais je ne pouvais pas. Trop de bruit. À l’intérieur comme à l’extérieur. Trois mois où j’ai pris le temps de me reposer et de me recentrer et faire silence. Surtout le dernier mois. Parce que silence, il n’y avait plus dans ma vie. Ni à l’intérieur, ni encore moins à l’extérieur. Je confesse que de manière générale, je me sens continuellement agressé par le bruit. Le bruit partout. Quand je me promène, à mon travail, sur Internet… Les voitures, les discussions stériles, les pubs, les chantiers, les personnes autour de moi, etc.… Il y a un bruit de fond permanent qui m’assaille et avec lequel je dois composer pour rester focalisé sur mon espace. Le bruit du monde. Le bruit de ce que je considère être de la bêtise, parfois humaine. Bien plus :  les bruits s’enchevêtrent, tels des buissons épineux qui m’agressent et qui déchirent mon âme.

Maître Eckhart, lorsqu’il parle du silence, s’accroche à l’image des marchands du temple. Ces marchands bruyants qui empêchent le vide de se faire, et donc au divin de prendre la place qu’il doit prendre. L’énergie donnée par l’humain pour donner du sens, pour traiter avec le sacré, est telle qu’elle se transforme en un brouhaha, un tohu-bohu qui ne permet pas d’entendre l’essentiel, ce qui émerge dans le fond de l’âme. Du fond de l’âme. Une fois les marchands chassés, le temple est vide. Le silence peut enfin advenir. Ne suis-je pas moi-même le temple du divin ? Les marchands à l’intérieur faisaient trop de bruit. Cumulé au bruit à l’extérieur, c’était trop.

1 Corinthiens 6:19 […] ne savez-vous pas que votre corps est le sanctuaire du souffle sacré qui est en vous ? Vous l’avez reçu d’Elohîms : vous n’êtes donc plus à vous-même. (traduction Chouraqui)

Lorsque je fréquentais le milieu évangélique, on me disait que dans le cœur de l’homme, il y avait « un vide en forme de Dieu » qui n’attendais qu’à être rempli. Je n’y crois pas. C’est vouloir remplir le vide avec ses propres projections, et ne plus laisser la place à l’indicible et à ce qui advient. Je crois que le vide est bon. Le silence. C’était un vide que l’on comblait à grands renforts de lectures, de récitations et de toutes sortes de pratiques… de bruits pour mon âme. Une marchandise, la seule que je percevais, comme celle que les marchands vendent dans le temple. Elle n’est pas mauvaise en soi, mais cela fait trop de bruit. Pas assez de place pour le vide. Pas assez de place pour le vide.

Parfois, alors que le silence grandit, j’entends des choses que je ne perçois pas autrement. Les battements de mon cœur dans mon oreille lorsque je suis allongé sur mon oreiller dans la nuit silencieuse. Le bruit de mes pas sur les sentiers pédestres caillouteux lorsque je promène mon chien dans les champs ou en forêt. Le bruit du vent, de mes enfants qui jouent, des cris d’oiseaux, etc.… Davide m’expliquait que son imaginaire créait toute sorte de choses avec les sons, et que lorsqu’il y a trop de couche, c’est tout son imaginaire qui est bridé. Je ressens pareil. Quand il s’entend marcher en forêt, voilà ce que cela lui fait : « Le non-bruit de l’activité de production, nous redonne à la nature. L’espace d’un instant, je redeviens l’indien que je jouais enfant. » Lorsque les marchands du Temple n’y sont plus, lorsque le bruit cesse, c’est là que les miracles se produisent, que les guérisons ont lieu. Elles s’opèrent alors que le silence a pris place. Quel symbole !

Alors pendant trois mois, j’ai dû rechercher le silence. Pour le retrouver, il a fallu faire des choix. Intérieurs comme extérieurs. À trop laisser s’accumuler le bruit, il devient parfois trop dur de diminuer le volume. Alors, les couches s’accumulent. Jusqu’au moment où ce n’est absolument plus vivable. C’est ce moment où on se lève du canapé sur lequel on est resté avachi trop longtemps, et qu’on s’aperçoit que l’évier déborde, que la poussière a pris possession des lieux, et que la crasse s’est installée dans les coins. Alors, il faut nettoyer. Ça prend du temps, de l’énergie. Trois mois de silence, c’est long. Mais, c’est parfois nécessaire.

Progressivement, le moteur se remet en marche. Les marchands sont sortis, et les guérisons s’opèrent petit à petit. Surtout, ne plus laisser les marchands s’installer dans le temple. Demeurer dans le silence. Laisser la place au vide.

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