
En entamant le livre « Changements, paradoxes et psychothérapie » de Watzlawick, Weakland et Fisch, je dois bien avouer que je trouve par moments cela très abstrait. En effet, l’idée de prendre des théories mathématiques et de les appliquer à la psychologie ne me rebute pas en soi. En revanche, j’ai l’impression que cela s’adresse à des personnes initiées. A priori, je peine à saisir tous les enjeux des théories de ces messieurs.
Néanmoins, il me semble comprendre ceci : Watzlawick se réfère à l’idée que les comportements humains et les problèmes psychologiques doivent être compris dans le cadre des interactions au sein d’un groupe, comme la famille par exemple. Watzlawick a utilisé cette approche pour développer des techniques de thérapie familiale et de couple, où les problèmes individuels sont vus comme des manifestations de dysfonctionnements dans les interactions du groupe. Il a ensuite expliqué comment les problèmes psychologiques peuvent persister à cause de confusions entre les niveaux de communication. Par exemple, un problème de communication peut être maintenu par des tentatives de résolution qui se situent au même niveau logique que le problème lui-même, ce qui nécessite un changement de niveau pour une véritable résolution. Il donne comme exemple la méthode et la méthodologie, qui paraissent être des concepts similaires, mais qui ne se situent absolument pas au même niveau : une discussion ou l’un des interlocuteurs parlerait de la méthode et l’autre de méthodologie, serait vouée à l’échec dans la résolution d’un problème.
En cela, il décrit deux types de changement. Le changement de type 1, qui consiste à des modifications mineures, mais qui sont sans impact sur le cadre général et la structure, qui est un changement plutôt interne. Le changement de type 2, qui est une modification profonde non pas de l’un ou l’autre paradigme, mais du cadre de référence global : un changement structurel et que l’on peut qualifier d’externe. Je crois saisir que les changements de type 2 sont surtout utiles lorsqu’il est question, dans les rapports humains, de modifier la structure dans le but d’opérer un changement lorsque l’on est dans une impasse ; là où le type 1 ne modifie rien à la nature des transactions, voire ne fait qu’aggraver les choses en confortant la permanence. D’où cette phrase : « plus les choses changent, plus elles restent pareilles.«
Quelles implications pratiques pour moi
Tout d’abord, et cela va dans le même sens que ce que disait Albert Moukheiber, le changement ne concerne jamais uniquement ma personne. Un changement trop rapide et « magique » comme peuvent nous le vendre certains gourous n’est donc effectivement pas souhaitable en ce que nous avons besoin de stabilité pour fonder nos rapports sociaux. Il concerne donc aussi, dans certaines mesures, les éléments des différents groupes dont je fais partie : le couple, la famille, le cercle social, le cercle professionnel, etc. En ce qu’il affecte l’un des membres du groupe, il aura un impact sur le système. Cela ne signifie pas que je doive abandonner le changement. Cependant, cela implique que je ne peux pas le penser pour moi seul indépendamment des autres et que je dois au moins conscientiser ces impacts et en tenir compte. En filigrane, même si je me focalise sur moi et sur le changement que j’initie, l’altérité et l’attention à l’autre doivent toujours nourrir mes interactions et la communication doit rester primordiale ; toujours. Je suis légitime, et mes besoins de changement sont bien réels. Cependant, je reste attentif à ce qu’ils impliquent pour les autres, notamment mon cercle intime.
Cela me conduit aussi à prendre encore plus de distance avec le développement personnel, qui, comme son nom l’indique, se focalise sur l’individu, voire porte une tendance intrinsèque à l’individualisme, et donc déconnecte son acteur de ses différents groupes. Julia de Funès explique comment le développement personnel fait advenir un idéal d’épanouissement qui tend effectivement à l’individualisme : « le seul et unique critère valable d’une vie réussie devient le « moi ». Le centre de gravité de l’individu se situe dorénavant en lui-même, et n’a plus aucune pertinence au-delà de la sphère subjective et privée. Chacun étant désormais seul juge du sens de son existence, pour certains ce sens se situera dans l’épanouissement professionnel, pour d’autres dans la qualité des relations affectives, mais quelles que soient les réponses à la question du sens de sa vie, chacune ne semble acceptable qu’à condition de ne dépendre que de celui qui la vit. » Le changement que je vis ne consiste pas spécialement à me rapprocher d’un « moi » focalisé sur lui-même, mais plutôt à me rapprocher d’un « soi » attentif à mes besoins, afin de me permettre de pouvoir aller vers les autres. En cela, je ne peux pas me contenter de méthodes clés en main totalement impersonnelles. Je dois penser le changement en fonction de mes besoins ET de l’impact qu’ils auront sur les différents systèmes auxquels j’appartiens.
Ensuite, j’ai souvent dit, et je continue de dire, que je suis capable de tout changement, à partir du moment où j’ai dans ma vie un équilibre, quelque chose de stable. Je peux ponctuellement dormir moins, si le reste de ma vie est équilibré. Je peux ponctuellement travailler plus, moins voir mes amis, sacrifier mes temps de ressourcement, etc., si j’ai un socle stable. Il y a un lien étroit entre changement et invariance : un changement de type 1 à l’intérieur d’un système de fonctionnement, qui se veut donc mineur et n’affectant à priori pas le cadre de référence, est un changement en même temps qu’une invariance. C’est précisément ce à quoi j’aimerais tendre : que les aléas du quotidien, quels qu’ils soient, ne perturbent pas la stabilité de mon système. À vrai dire, mon aspiration est justement que les changements de type 1 puissent avoir lieu, sans que cela affecte la structure. Aujourd’hui, et c’est bien la raison de ma remise en question globale, je réalise que ce n’est pas le cas. Ma radicalisation s’apparente donc bien à un changement de type 2 : je ne change pas ma posture intérieure uniquement, mais tout le cadre de référence dans lequel j’évolue, afin de stabiliser l’ensemble.
Qu’est-ce que je recherche au fond ?
Globalement, mon équilibre est assez simple. Le sens de ma vie est aujourd’hui l’éducation et la croissance de mes enfants. Je tiens à ce qu’ils aient un cadre de vie leur permettant de se développer sainement. Qu’ils se nourrissent de bonnes nourritures terrestres, mais aussi intellectuelles et spirituelles ! Cette centralité implique d’autres impondérables : étant divorcé, je dois beaucoup travailler pour pouvoir leur offrir une vie stable lorsqu’ils sont chez moi (la moitié du temps), et être présent pour et avec eux au quotidien. L’équilibre recherché sert cet horizon. Si je décide aujourd’hui d’entamer ce changement de structure, c’est parce que je constate bien que la vie telle que je la menais jusqu’à il y a peu m’entrainait à ne plus pouvoir assumer ce qui a du sens, ce qui est le centre de ma vie, aussi bien que je l’aimerais. La fatigue, le fait d’enchaîner les tâches, le manque de temps, etc. sont autant de facteurs qui, lorsqu’ils sont péjorés, ne me permettent pas d’embrasser mon rôle sereinement.
À cela, je dois aussi ajouter que ma volonté d’ancrer ce mode de vie si radical tient également de l’expérience. En effet, j’ai par le passé expérimenté plusieurs sortes de disciplines ponctuellement : ne manger que local et de saison pendant deux mois, faire carême chaque année avec différentes privations. J’ai aussi vécu ce mode de vie actuellement recherché, certes plus light, durant mes transitions amoureuses (car c’était trop dur non pas à vivre, mais à concevoir pour mes anciennes partenaires). Ces expériences ont toutes généré un mieux-être global, une meilleure qualité de vie. Autant pour moi que pour le système familial ainsi que tous ses membres. Moins de stress, plus de présences aux autres, plus d’attention et de temps à consacrer à ma famille et à mes amis, moins de temps perdu, moins de courses, etc. Peut-être contre-intuitivement, le cadre et la discipline m’apportent plus de temps, et donc de disponibilités. La routine et les habitudes ne sont donc pas mauvaises en elles-mêmes.
Espérons que cette fois-ci aussi, le changement soit positif pour tous. En tout cas, j’y crois.
Sources et pour aller plus loin
- Julia de Funès, Développement (im)personnel – le succès d’une imposture, Editions de l’observatoire/Humensis, 2019
- Paul Watzlawick, John Weakland, Richard Fisch, Changements – paradoxes et psychothérapie, Editions du seuil, 1975.