Chroniques désabusées #2

Cette chronique fait écho à une récurrence que j’ai déjà rencontré dans le monde religieux, en lien avec le mariage et la morale sexuelle : le fait de ne pas avoir de relations hors mariage, y compris avec la personne avec qui l’on est engagé. Beaucoup de couples croyants attendent effectivement d’être mariés pour avoir des relations sexuelles, ce qui en soi n’est pas un mauvais choix lorsque c’est consenti par tous les partis et que cela s’inscrit hors de toutes pressions psychologiques et sociales. Dans le cadre des chroniques d’un désaffilié, j’avais déjà raconté comment une personne avait été interdite de chanter à l’église à cause d’une situation de concubinage que la pasteure n’acceptait pas. De la même manière, lorsque je travaillais à l’Armée du Salut, un collègue pasteur avait été momentanément suspendu de ses fonctions après son divorce, pour avoir le temps de « se remettre devant Dieu ». La patiente dont je parle ici n’est donc pas un cas isolé, mais un exemple typique d’abus s’appuyant sur la morale.

——————————————————

Dans le cadre de mon mandat à la psychiatrie ambulatoire, j’accueillais une dame qui, après plusieurs évènements survenus dans son parcours de vie, exprimait une fatigue psychique. Elle avait perdu des personnes chères à son cœur (dont une sœur beaucoup plus jeune), voyait peu ses enfants dont l’un venait de divorcer et peinait à faire face à sa nouvelle vulnérabilité. En effet, elle avait toute sa vie donné l’image d’une personne forte, qui portait beaucoup de choses sur ses épaules. Tant aux autres qu’à elle-même. Puis un jour, elle s’est écroulée et s’est lentement laissée glisser.

Quelques années avant cela, elle avait perdu son mari, qui avait 55 ans, des suites d’un accident vasculaire cérébral. Après cette perte, elle décida de s’engager dans son église, une assemblée « pentecôtisante » à tendance évangélique, mais non affiliée à une fédération. Elle devint membre du conseil d’anciens et prit de plus en plus de responsabilités. La communauté a d’abord été une ressource : en effet, elle s’est sentie entourée, portée. Cela l’a aidé à reprendre pied après le décès prématuré de son mari.

Un jour, cette dame a rencontré un homme. Son mari était décédé depuis trois ans. Après avoir fait son deuil, elle décida qu’il était temps de refaire sa vie. Elle rencontra celui avec qui elle vit aujourd’hui, mais qui n’est pas devenu son époux : étant veufs tous les deux, ils ont décidé de ne pas se remarier. Ils trouvèrent un charmant petit appartement qu’ils ont investi en couple. C’est là que la communauté a cessé d’être une ressource, en s’immisçant dans leur intimité.

Elle venait à l’église avec son nouvel ami, qui était lui aussi croyant. C’est alors qu’une personne, aussi membre du conseil d’église, s’approcha d’elle pour lui signifier qu’il y avait une clause qu’elle n’avait pas respectée par rapport à son engagement de conseillère : les membres du conseil d’anciens s’engageaient à respecter le caractère sacré du mariage, et à informer le pasteur et les autres membres du conseil de tout changement dans la situation maritale. En d’autres termes, il y avait un contrôle strict de l’intimité des personnes qui s’engageaient dans l’église. Prenant acte de cela, lors de la réunion suivante du conseil, elle prit la parole pour dire à ses collègues qu’elle changeait de statut en choisissant de vivre en concubinage avec son ami. Un autre conseiller prit alors la parole, et devant les autres membres, suggéra qu’elle prenne ses distances d’avec ses responsabilités en attendant que sa situation se clarifie. Par se clarifier, comprenez qu’elle soit en ordre moral devant Dieu, et donc qu’elle se marie avec son ami.

Après cette réunion, elle fut interpelée par le pasteur, qui lui expliqua qu’elle vivait « dans le péché ». Que vivre en concubinage, ce n’était pas le plan de Dieu pour sa vie, et que tant que cette situation perdurerait, elle n’aurait plus le droit de siéger au conseil ni de prendre la parole depuis l’estrade comme elle le faisait parfois. Et on lui dit que c’était pour son bien. L’explication était simple : les personnes ayant des responsabilités sont des modèles, et comme communauté, on ne peut pas tolérer que les modèles soient dans le péché. Tant que cette dame était dans les clous, elle n’avait rien à redire sur les pratiques de son église. Mais, le fait d’avoir fait un choix de vie hors du cadre établi, et de vivre les réactions que cela a suscitées l’a questionné en profondeur.

C’est à la suite de cet évènement, qui s’ajouta à tous les autres et à sa fatigue générale, qu’elle décida de venir me voir. Elle avait besoin de regarder la situation avec un peu de recul et d’analyser les choses. Après quelques entretiens, elle prit la décision de continuer à fréquenter son église, tout en vivant en concubinage avec son ami. Elle ne pouvait intérieurement renoncer ni à l’un ni à l’autre. « Je l’aime de tout mon cœur, et en même temps, je suis dans cette assemblée depuis plus de 40 ans. » Elle fit part de sa décision au conseil, qui campa sur ses positions initiales : il n’y aura plus la possibilité de prendre des responsabilités tant qu’elle ne serait pas mariée.

Elle continue aujourd’hui de venir me voir parfois pour déposer certaines choses. À chaque nouvelle séance, elle me parle des pressions psychologiques quotidiennes qu’elle et son ami subissent à propos de leur situation. Des sous-entendus à propos du mariage. Lors de notre dernier entretien, elle m’a avoué qu’ils avaient discuté de la possibilité de se marier. Non pas parce qu’ils en avaient envie, mais pour qu’on les laisse tranquilles…

Laisser un commentaire