
Comme je souhaite un téléphone sans écran tactiles et à touches, j’ai rapidement navigué sur le net pour voir si je trouvais quelque chose de peu cher. En allant voir sur le site de mon opérateur téléphonique s’il y avait ce type de téléphones, j’ai pris conscience de l’ampleur de l’aliénation marchande. Je m’explique : les téléphones à touches comme ceux que je cherche sont rangés dans la catégorie « smartphones pour séniors ». Quelle ne fut pas ma surprise de voir un autre onglet du menu intitulé « smartphones pour enfants ». Double surprise : le premier téléphone proposé pour les enfants est celui que j’ai en ce moment même en ma possession.
J’y vois une aliénation dans le sens que le nom de la catégorie conditionne l’attitude du consommateur. En l’occurrence, mettre les téléphones à touches dans la catégorie sénior, c’est indiquer à ceux qui ne sont pas seniors qu’ils doivent acheter un smartphone. Créer une catégorie pour enfants ancre dans la tête du consommateur l’idée qu’il y a des téléphones pour enfants. Mais, bien plus : que les enfants peuvent avoir un smartphone et que c’est normal. C’est normal, puisqu’il existe une catégorie « smartphones pour enfants ». Comme il a été question de montres connectées à la séance de parents, je suis allé voir la page du shop y relative. C’est intéressant car là encore, la mise en scène conduit le consommateur à penser que les montres connectées sont normales pour les enfants. On y voit une montre dont l’écran montre un appel. La personne qui appelle s’appelle « Mama », et la photo relative au contact montre une femme dans la trentaine, suggérant que la montre appartiendrait donc à un enfant.
Double aliénation
Il y a ici une double aliénation. Celle du parent aliéné qui se conforme au marketing pour acheter à son enfant un smartphone ou une montre connectée, sans prendre le recul nécessaire pour se poser la question de si cette technologie est vraiment approprié pour son enfant. Puis celle que l’enfant subira une fois en possession de son nouveau bien. Car mettre un smartphone entre les mains de son enfant, ce n’est pas seulement lui donner un moyen de communication. C’est le soumettre aux mêmes choses qu’un adulte normalement responsable : aux contenus inappropriés, certes. Mais aussi au contrôle et à la manipulation des choix via le marketing agressif des marchands en ligne et les algorithmes, qui en plus nous conduisent à ne pas nous déconnecter, amplifiant donc le phénomène de contrôle et de dépendance. À la surveillance et à la collecte de données. Aux pressions sociales et au conformisme des réseaux sociaux et liés à l’utilisation d’applications de communication. C’est finalement créer une dépendance à un mode de vie chez une personne qui n’a pas encore le recul et la maturité pour gérer sainement l’outil qu’on lui met entre les mains. Quand je vois la difficulté que j’ai à me défaire de mon smartphone pour passer à d’autres modes de communications alors que le premier iPhone est arrivé en 2007 et que j’avais déjà 24 ans, quel effet cela peut-il avoir en termes d’accoutumance lorsque c’est mis entre les mains d’un enfant de moins de 10 ans.
Cela avait d’ailleurs fait beaucoup parler lorsque l’information était sortie il y a quelques années : les premiers à ne pas exposer leurs enfants aux écrans et à leur limiter de manière très cadrée l’accès à la technologie étaient ceux qui commercialisaient ces mêmes technologies. Bill Gates et consorts étaient les mieux placés pour réaliser que l’accoutumance aux écrans chez les jeunes enfants provoquaient des troubles du langage, des problèmes d’attention et de concentration. « L’idée qu’une app ou un iPad puisse mieux enseigner à mes enfants comment lire ou faire des maths est ridicule », a lâché Alan Eagle, un cadre de Google, au New York Times. « Les écoliers qui utilisent très souvent des tablettes et des ordinateurs ont tendance à moins bien réussir que ceux qui les utilisent modérément », confirme au Guardian Andreas Schleicher, le directeur de l’éducation de l’OCDE. Les ingénieurs et développeurs californiens ont bien saisi le message.
Bill Gates dit « pas de smartphone avant 14 ans ». J’aurais envie de dire pas de smartphone du tout, pour être jusqu’au-boutiste.
Les patrons de la silicon valley et leur rapport aux écrans : https://www.francetvinfo.fr/sciences/high-tech/bill-gates-steve-jobs-quand-les-patrons-de-la-silicon-valley-interdisent-les-portables-et-les-reseaux-a-leurs-enfants_2514445.html
Smartphones pour enfants : https://www.swisscom.ch/fr/clients-prives/produits/enfants.html