Journal de bord #28 – l’accident de voiture

Je n’ai jamais vraiment parlé du déclencheur de toutes les prises de décisions de ces dernières semaines. Tout ce dont je parle sont des choses auxquelles j’avais déjà réfléchi, mais pour lesquelles j’étais un « croyant non pratiquant ». J’ai déjà fait plusieurs expériences ponctuelles par le passé : des carêmes alimentaires plus ou moins contraignants avant la période pascale, une expérience végétarienne, locavore. Puis, en juillet dernier, j’ai eu un accident de voiture qui a engendré une longue série de remises en questions assez intenses. Je n’ai pas eu de problème de santé grave y relatif. Tout au plus, quelques douleurs et contusions, mais rien de méchant. Les frais sur la voiture ont été plus problématiques, et aujourd’hui encore, je rembourse en paiements échelonnés ce que je dois rembourser. En revanche, je continue de réfléchir à certains choix et à penser ma vie. La question pour chacun de ces aspects que je me pose est : « est-ce que j’ai vraiment envie de ça ? Si oui, pourquoi ? ».

Les études

À côté de mon travail d’accompagnant spirituel, j’ai entamé il y a quelque temps des études de théologie. C’est certes un sujet qui me passionne, et je lis beaucoup de livres sur ce sujet. Avec mes amis Davide et Philippe, nous en parlons souvent : ils s’intéressent aussi à cette discipline. Au fil du temps, plusieurs aspects m’ont convaincu de démarrer des études. Le manque de reconnaissance tout d’abord : j’ai beau avoir travaillé en paroisse, avoir des années d’expérience comme éducateur, veilleur, auxiliaire et accompagnant spirituel, avoir suivi un CAS et tout un tas de formations courtes relatives à mon activité, je n’en reste pas moins « qu' »un laïc. J’ai supervisé l’aumônerie d’un établissement hospitalier alors qu’une collègue était absente pour longue durée, j’ai créé une structure d’accompagnement de toutes pièces en partant de zéro. J’ai plus de dix ans d’expérience dans l’accompagnement pastoral et spirituel… mais je ne suis qu’un laïc. Je ne fais pas partie de la vénérable classe des pasteurs ou des diacres. Je peux donner toute la satisfaction du monde, faire le meilleur travail du monde, dans le cadre d’une postulation, je passerai toujours après eux : c’est ainsi. Je dois alors l’accepter, mais je n’en éprouve pas moins une légère frustration malgré tout. Comme j’ai déjà suivi la formation d’officier de l’Armée du Salut et que je n’ai pas été consacré à l’époque, je n’ai pas plus envie de me faire consacrer aujourd’hui. Malgré tout, pas un mois ne passe sans qu’un.e collègue ne m’invite à faire la formation de diacre. Encore et toujours…

L’entre-deux que j’ai trouvé est d’entamer une formation théologique académique pour justifier de ma position. Je serais certes laïc, mais j’aurais au moins ainsi une licence en théologie, ce qui, je l’espère, calmerait les ardeurs de mes incitateurs. Mais, voilà qu’une licence même ne serait pas suffisante. Une de mes responsables m’a bien signifié il y a quelque temps qu’être diacre, c’était donner le gage d’une formation de généraliste me permettant d’être placé n’importe où. J’ai failli me laisser convaincre, puis je me suis rappelé qu’une consécration devait venir d’un élan vocationnel et non pas d’une envie d’enjoliver son CV, ce qui n’est absolument pas mon cas. Finalement, l’accident de voiture m’a ramené à ce que je veux vraiment. Ou disons, ce que je ne veux pas. Je suis laïc et je ne souhaite pas être consacré. Mais, bien plus : cela m’a fait relativiser l’idée même de suivre des études.

Cela me rappelle une anecdote. Il y a quelques années, lorsque je fréquentais l’Armée du Salut, j’ai intégré le conseil des anciens en qualité d’animateur jeunesse. En parallèle, j’avais démarré la formation pastorale interne de l’Armée du Salut. Il y a eu un avant/après le début de mes études. Avant, j’étais un rebelle. Après, j’étais un étudiant qui savait ce qu’il disait. Pourtant, rien n’avait changé dans mon discours. La seule chose qui avait changé, c’était ma posture d’étudiant. La seule chose qui avait évolué, c’était mon aura. En allant au centre de formation, j’avais endossé le costume de « celui qui sait un peu mieux qu’avant ».

Alors, c’est en lisant un livre de théologie à chroniquer pour mon blog, en parallèle d’un module de théologie systématique que je suis en ce moment, que j’en suis arrivé à la conclusion qu’étudier ne m’était absolument pas indispensable. D’un côté, je fais face, dans mes études, à tout un tas de constructions, parfois contradictoires. De l’autre, je regarde la personne que je suis devenu et je réalise que je me suis construit à partir de mon expérience et de mon vécu. La même chose professionnellement. Alors, si avoir tenu la main de dizaines de mourants, avoir accompagné des dizaines de personnes dépendantes, avoir évolué dans des foyers de psychiatrie aigüe et partager le quotidien de personnes démentes est moins valorisé que d’avoir étudié l’histoire de l’Église pour être accompagnant… eh bien je serais moins valorisé. Ma foi, tant pis.

La conscience de l’éphémère me fait largement relativiser cela. Si avant mon accident j’étais parti pour des années d’études, je pense aujourd’hui que je ne vais pas continuer jusqu’à la licence. J’ai envie d’investir mon temps ailleurs. Et puis Davide a raison : si on ne reconnaît pas pleinement ma valeur avec tous les gages que j’ai donné, ce n’est pas un diplôme qui changera la donne. Ou alors, c’est une illusion de reconnaissance que l’on me donne.

Pourchasser le temps

L’autre décision est de ne plus souhaiter courir après le temps. C’est ce qui m’a amené à entamer cette démarche. J’ai (re)réalisé que la plupart des choses que je devais faire, je les faisais sous stress. Que je me mettais souvent mal pour faire les choses dans les temps. Qu’en parallèle, j’avais tout un tas de petites activités ici ou là, dont les réseaux sociaux, qui me prenaient tout un tas de minutes précieuses. Ces minutes mises bout à bout me volaient mes journées, en plus d’en entrecouper les moments, me faisant aussi perdre un temps précieux. C’est finalement la raison qui a lancé toute cette histoire de « tiramisu ». L’envie de retrouver la maîtrise de mon temps d’abord. Mais, surtout, l’envie de ne plus vivre sous stress et de faire le yoyo intérieur en passant d’un mode survie à un mode détente/décompression une fois en vacances.

Vient aussi le fait que mes enfants sont encore jeunes. Même si je passe le plus clair de mon temps avec eux et pour eux, je ne veux pas à l’avenir me retourner et me dire que j’aurais perdu de précieux instants. Le fait d’être père célibataire et de ne les avoir que la moitié du temps amplifie probablement cette aspiration. Le fait de prendre concrètement conscience par mon accident que les choses sont bien éphémères l’a encore plus ancré. J’ai besoin que ce que je dois faire soit fait pour pouvoir faire ce que je veux. Et ce que je veux premièrement, c’est avoir du temps. Non pas pour moi, mais pour mes enfants d’abord. C’est ma priorité absolue, car en devenant père, je suis devenu responsable (à moitié ; l’autre moitié appartenant à leur mère) de leur croissance et de leur développement. Tout le reste passe après eux.

Voilà pourquoi j’ai besoin de revenir aux fondamentaux. Sabrer le superflu et me concentrer sur ce que je considère comme l’essentiel. Voilà pourquoi je veux prendre le réel tel qu’il est, avec mon état de santé (mes articulations), et faire en sorte de durer le plus possible. Voilà pourquoi je ne veux plus me faire aspirer par des illusions de choses qu’il faudrait faire ou mettre en places (comme mes études). Comme je l’ai dit, ces aspirations étaient déjà présentes. Mais, depuis l’accident, il y a comme un sentiment « d’urgence » à les incarner enfin pleinement qui s’est enraciné en moi. Tout comme je peux aujourd’hui mieux, je pense, relativiser certaines choses et prioriser mes choix.

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