
Ca y est, les vacances sont gentiment finies. Je me suis bien reposé et j’ai profité de mes enfants. J’ai mis un peu la rédaction de ce journal en pause pendant ce temps, ainsi que les réflexions y relatives. Pour que la notion de « vacances » soit bien réelle.
La page se tourne
Ce weekend, je supprimerai définitivement mes comptes sur les réseaux sociaux. Je n’y vais plus depuis plus d’un mois. Cependant, je ne les ai pas encore supprimé par envie de sauvegarder les photos qui sont de bons souvenirs pour la plupart. C’est pour dimanche. Mais, bien plus : je change ma carte SIM de téléphone et je l’insèrerai dans mon téléphone à clapet pour senior. C’en sera fini de WhatsApp. Je reçois d’ailleurs les premiers SMS de personnes ayant acté le changement, ainsi qu’un nombre considérable de messages WhatsApp me demandant si j’ai déjà quitté WhatsApp. Inception !
Ces jours, je me pose la question de savoir si je dois archiver les discussions pour en garder une trace ou si je dois tirer un trait sur tout ça. L’archivage serait plus compulsif qu’autre chose : si quand je prends des notes d’une formation importante, je n’y reviens que déjà que rarement, qu’en sera-t-il de mes anciennes discussions WhatsApp. Surtout, en parcourant les messages, je réalise que l’écrasante majorité, plus de 90%, sont largement dispensables. L’écrasante majorité de cette écrasante majorité est totalement futile et absolument non constructif. Je réalise plus que jamais que ce à quoi j’utilise mon temps quand j’ouvre WhatsApp ne sert pas à grand-chose. Blagues à deux centimes, détournements de photos, liens avec des vidéos marrantes, digressions chronophages, informations non essentielles, etc. Je me dis que les générations futures qui exhumeront nos discussions WhatsApp pour faire des études sociologiques ou anthropologiques risquent bien de nous prendre pour des cons.
Instagram, c’est pathétique. Les gens montrent un vieux bifteck. Je suis moi un vieux monsieur maintenant. Quel est l’élan lyrique avec cette assiette ? Quelqu’un va recevoir cette assiette en plein après-midi et va interrompre une conversation en disant : « tu sais que Claudine, regarde, elle mange un bifteck, putain, c’est génial ». Moi, je veux bien qu’il y ait de gros progrès dans la civilisation, mais pourquoi ce bifteck, pourquoi l’envie de le photographier, et pourquoi l’envie de partager ce bifteck ou cette tête de veau. Ce qui est fascinant, c’est qu’il y a des gens qui disent : « j’ai 16 millions de vues ». Donc, la quantité de vues est une aberration. Fabrice Luchini
De l’oubli des informations importantes
Ce que je réalise ces jours, c’est qu’avec WhatsApp, plus qu’avant, j’oubliais des informations qui m’avaient été transmises. Parce que je me disais qu’elles avaient été écrites et qu’il me suffisait de taper le jour, l’heure ou un mot clé dans la barre de recherche pour retrouver l’information. Seulement, parfois les informations sont contenues dans des messages vocaux ou sur des fichiers images archivés, voire supprimés suite à un petit ménage pour faire de la place dans la mémoire du téléphone. Alors, j’opère un petit retour en arrière (un de plus) et je repasse totalement à l’agenda papier pour mon organisation. Fini l’agenda téléphonique et WhatsApp.
Mais, plus encore, comme j’ai déjà parlé de la surstimulation et de la surcommunication, je remarque que la masse d’information et d’échanges que j’entretenais via les réseaux faisaient que ma mémoire était saturée de détails inutiles, évacuant ou recouvrant ce dont je devais me rappeler. C’est-à-dire qu’en plus d’avoir plus de temps à disposition, je réalise que ma mémoire vive est aussi libérée, ce qui est bien : je vais pouvoir rediriger mon attention sur ce qui en vaut vraiment la peine.
Partager les photos des enfants
Pendant ces vacances, je suis parti voir mon père et nous avons séjourné chez lui quelques jours avec les enfants. Lui a tout de même eu de la peine avec l’annonce. Que je quitte WhatsApp a été pour lui un deuil, dans l’idée qu’il ne recevrait plus de photos de ses petits enfants ! Je l’ai rassuré : je peux lui envoyer un courriel de temps en temps avec des photos des marmots. Il m’a regardé l’air de dire « ah oui, tiens ». J’ai trouvé intriguant de voir que même chez mon père de 70 ans qui ne perd pas son temps sur les réseaux et n’utilise pas WhatsApp outre mesure, l’application a agi comme les œillères d’un cheval : en s’imposant dans le quotidien, elle a occulté son champ de vision et réduit les possibles dans son esprit. Les habitudes technologiques peuvent vraiment s’ancrer profondément, même pour ceux qui n’en sont pas des utilisateurs assidus. Il est fascinant de voir à quel point ces canaux de connexion, pourtant dispensables, peuvent devenir essentiels pour certaines personnes…
En vérité, j’avoue que cela m’effraie plus que cela me fascine. Et que je suis bien heureux que le moment soit enfin venu de passer à autre chose.