Journal de bord #31 – premier jour sans smartphone

Hier, j’ai effectué le changement de téléphone avec les enfants. Ils voulaient être là quand j’allais couper le smartphone. C’était amusant de les voir regarder mon téléphone à clapet avec des étoiles dans les yeux (cette phrase est si étrange parlant d’un téléphone à clapet), et de les voir réclamer de pouvoir appeler leur mère avec alors qu’ils n’ont jamais demandé à appeler quelqu’un avec mon smartphone. La magie de la nouveauté.

Ce weekend, je n’ai eu que peu d’interactions avec le monde. Trois SMS envoyés en tout et pour tout. Outre le fait que ces derniers sont dix fois plus longs à écrire, j’avoue que ce fut reposant à tout point de vue. C’est bon de revenir à un rapport au temps où chaque message compte, et où le choix des mots est important. J’avoue que j’ai un peu pesté le temps de prendre le coup de doigt, mais qu’au final, ce fut une vraie bouffée d’air frais.

Redécouverte du silence et impact sur les relations humaines

L’espace d’un peu plus d’un jour, j’ai redécouvert une petite parcelle de silence. Pas un silence total, mais une absence très savoureuse. C’est comme si quelque chose s’ouvrait devant moi, comme si de la place se faisait. Il y a eu un petit couac samedi : une personne a attendu un appel de ma part, et elle a attendu jusqu’à dimanche. Au moment de lui téléphoner, je ne retrouvais plus mon téléphone. Mon premier réflexe fut d’ouvrir mon ordinateur pour lui communiquer via WhatsApp que je ne retrouvais pas mon téléphone. Mais voilà, je n’avais plus WhatsApp… et je n’ai donc pas pu la contacter. Il a fallu que je retrouve mon téléphone le lendemain pour l’appeler et m’excuser. Conclusion, je ne suis pas le seul à avoir redécouvert le silence.

Ce petit couac me montre comment je suis devenu dépendant de certains outils pour maintenir les liens. C’est d’ailleurs une remarque que j’ai reçue dans un des messages juste avant de quitter : « je reste sur WhatsApp et sur les réseaux, car c’est pratique pour faire un petit vocal à une personne que je n’ai pas contactée depuis longtemps« . La question que je me pose est celle-ci : est-ce qu’effectivement entretenir autant de liens est pertinent et/ou porteur ? En vérité, si je réfléchis bien, je pense à une dizaine de personnes avec qui j’aimerais vraiment rester en lien régulier et une dizaine d’autres dont je n’aimerais vraiment pas perdre le contact. On est loin de mes 400 amis Facebook et des 350 contacts de mon répertoire.

On en revient à Guénon et à la quantité versus la qualité. Il est facile de se laisser emporter par la multitude de connexions superficielles, mais elles ne remplacent pas des liens profonds et significatifs. Privilégier des relations solides avec un cercle plus restreint m’appelle en ce moment, et j’ai le sentiment que cela va enrichir ma vie de manière plus substantielle. Comme si le nombre et la quantité avaient un peu amoindri la profondeur jusque-là. Je me dis cela, et dans le même temps, je me dis que je plane peut-être complètement, que je fantasme. Mais, la distance émotionnelle induite par les écrans et les liens quelque peu impersonnels que les applications génèrent, me font penser que privilégier un contact plus régulier et moins virtuel avec ceux qui me sont proches ne pourra que rendre les liens plus profonds.

La distance émotionnelle

C’est la chose qui m’a le plus marqué ces derniers temps avec WhatsApp et la quantité de messages que l’on peut s’envoyer rapidement. Je pensais naïvement que les mots suffisaient, et que l’on pouvait simplement dire les choses par écrit, « froidement », et régler des malentendus ainsi. C’est naïf, car je réalise que tout le monde n’attache pas une grande importance aux mots. Pour ma part, je me serais régalé dans un monde dans lequel l’on s’enverrait encore des lettres, et où le choix des mots importerait.

J’ai réalisé à plusieurs reprises que parfois un coup de fil, voire attendre de voir quelqu’un pour aborder un sujet de discussion un peu sensible, était largement plus bénéfique que de vouloir tout régler par écrit. L’appel du « tout, tout de suite ». Je crois qu’il n’y a pas une fois où l’écrit n’a pas apporté son lot de malentendu. En cause, probablement, la marge d’interprétation bien plus large laissée au lecteur : en ne pouvant se baser que sur les mots, et donc en mettant de côté tout le langage non verbal ainsi que le ton. Des choses qui me paraissaient claires par écrit semblaient dire tout autre chose que ce que je voulais dire à mon interlocuteur.

Dans l’autre sens, j’ai moi aussi souvent interprété des messages de travers. Il m’est d’ailleurs arrivé à plusieurs reprises d’appeler quelqu’un et d’avoir comme réponse à mon interprétation : « non, mais tu n’as pas vu le smiley clin d’œil à la fin du message ? Ça veut dire que je rigolais. » Ok, les émojis sont devenus une sortie de béquille émotionnelle dans les communications écrites, en ajoutant un peu de contexte, et je ne m’y suis jamais fait. Mais ils ne remplaceront jamais les nuances du langage non verbal, ni de la langue : je reste persuadé malgré tout que nous avons perdu le sens et l’amour des mots.

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