Journal de bord #37 – l’ennui, encore.

Le tapis roulant hédonique

Plus on se divertit et plus on a besoin de l’être. Plus on s’expose à des stimuli plaisants, plus on en a besoin pour ressentir la même satisfaction. Une escalade dans la recherche de divertissement toujours plus intense et fréquent se met alors en marche. Le divertissement devient une manière d’échapper aux réalités quotidiennes. La sacrosainte idée qu’il faudrait combattre la routine. Sauf que plus on utilise ce divertissement, plus on ressent le besoin de s’y réfugier.

Le tapis roulant de l’adaptation hédonique se met alors en marche. Peu importe les évènements, positifs ou négatifs, le niveau de bonheur tend à revenir à un point de référence fixe. Par exemple, gagner à la loterie ou subir un accident affectera le bonheur à court terme. Mais, sur le long terme, les personnes reviennent à un niveau initial et stable. On se divertit principalement pour atteindre de nouveaux niveaux de bonheur par le prisme d’expériences ou de biens matériels. Mais, même après avoir atteint ces nouveaux niveaux, le sentiment de satisfaction diminue et nous incite à rechercher un nouvel écran de fumée. Cette capacité d’adaptation permet aux personnes de maintenir un équilibre émotionnel face aux changements. Cependant, elle conduit aussi à une insatisfaction chronique et une quête incessante de nouveauté et de plaisir. On croit avancer alors que l’on fait du sur place.

Cela illustre bien l’idée que le bonheur durable ne peut pas être atteint par des possessions matérielles ou des expériences. Ce bonheur durable passe par un travail sur soi, et la culture de sources internes de satisfaction. D’où le besoin de s’ennuyer.

L’absence de sens

J’ai l’impression que ce que l’on appelle communément l’ennui n’est pas tant l’absence de divertissement, mais l’absence de sens ou de direction. Ce n’est pas seulement une question de ne pas avoir quelque chose à faire, mais de ne pas ressentir de satisfaction ou de signification dans ce que nous faisons. Une activité n’ayant pas d’autre but que de faire passer le temps ne connecte pas à quelque chose de plus grand. Même les divertissements les plus sophistiqués sembleront creux et insatisfaisants. Trouver un sens transforme alors ce que nous appelons ennui en moments productifs et enrichissants.

Longtemps, je n’ai pas accepté que la vie n’avait pas de sens autre que celui que j’y injectais moi-même. Pas de sens intrinsèque. Cette vision est pour moi libératrice, car elle signifie que j’ai la liberté (et la responsabilité) de créer et de choisir le sens et la direction que je lui donne. Pendant une période de ma vie, j’avais choisi de lui donner un sens religieux, mais j’ai rapidement constaté que cela ne remplissait pas le vide. On me disait que la foi, que Dieu pourrait remplir un « vide en forme de Dieu » qu’il y avait en moi. J’y ai cru un moment. Après quelques années, j’ai compris que ce vide ne dépendait pas de Dieu ou de quelque chose d’externe, mais qu’il dépendait de moi.

Peut-être ai-je cru pendant un instant que la démarche que j’ai opérée avec ce journal de bord pouvait donner un sens. Mais, en réalité, ce n’est qu’une réponse. Une réponse certes, mais salutaire face à l’état de mon corps, et face au réel sens que j’ai envie d’injecter dans ma vie. Ce sens, je le trouve progressivement après une longue recherche. Il y avait jusqu’à présent mes enfants. Mais, étant divorcé et dans une garde partagée, je ne passe que la moitié du temps avec eux. Il me fallait alors trouver un sens à donner pour le reste du temps. Après avoir écrit le 101ᵉ billet, et réfléchi aux raisons qui font que j’écris, j’ai enfin compris le sens et la direction que je veux prendre.

Apprivoiser l’ennui

Pour cela, il m’a fallu apprivoiser l’ennui. Fuir le syndrome FOMO, fuir les stimulations incessantes et divertissantes. Fuir les réseaux sociaux… plutôt que de fuir l’ennui. Est-ce à dire que cette démarche perd de son sens ? Au contraire, elle devient d’autant plus pertinente en ce qu’elle m’a permis de dégager le sens que je voulais prendre. Mais aussi en ce qu’elle me permet d’élaguer le superflu de ma vie pour me concentrer sur ce que je souhaite ramener au centre.

Il y a donc mes enfants. C’est ma priorité absolue. Puis, comme je l’ai dit dans un de mes derniers billets, il y a donc aussi la question des abus. J’ai été abusé enfant, puis abusé adulte dans les milieux religieux. Aujourd’hui, jour après jour, dans le cadre de mon travail ou de mon quotidien, je constate des abus et des manipulations au quotidien. Religieux, mais pas seulement. Plus j’apprivoise l’ennui, plus je veux me concentrer sur cette question d’abus et me battre pour la liberté. La mienne, celle de mes enfants, et celle de tout un chacun.

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