La relation avant la religion

La période de Noël

Depuis une dizaine de jours, je suis débordé par les fêtes de Noël en EMS (établissement médico-social). Raison de mon inactivité sur ce blog. De mon inactivité générale, en fait. Normal, me direz-vous, pour un accompagnant spirituel. Oui, sur le papier, c’est normal. Il est attendu de moi que je préside et prépare des célébrations de Noël avec mes homologues catholiques et salutistes. Mais, aussi, je suis invité aux différentes festivités, pour lesquelles on m’offre à manger contre un discours de cinq minutes joyeusement dispensé devant toutes les familles de mes patients.

Alors que Noël devrait rimer avec présence individuelle, chaleur et attention, il rime, en l’occurrence, plus avec religieux, image renvoyée et beau discours. De leur côté, les institutions ecclésiales ne boudent pas leur contentement : Noël, c’est l’occasion d’affirmer une certaine présence cultuelle. N’est-ce pas là la raison d’être des églises ? D’ailleurs, c’est plus largement le prétexte de chaque célébration. Encore plus à ce Noël qu’aux autres, j’ai le sentiment d’une sorte de décalage entre l’institution ecclésiale et les personnes. Un décalage, car sur le terrain, je suis proche des personnes et du personnel des EMS, et le discours que j’entends du côté des églises me parait sinon fantasmé, au moins en partie projeté.

Cette prise de conscience m’a sauté au visage lors d’une célébration œcuménique de Noël dans l’un des EMS où je travaille, alors que j’officiais en compagnie de mon homologue catholique. J’ai accepté de préparer ce culte pour deux raisons : la première, c’est que cela fait partie des attentes de ma hiérarchie. La seconde, c’est que j’ai cru à une « forte demande » de religieux pour Noël. Comme je suis centré sur les patients, si demande religieuse il y a, je me mets à leur service. Seulement, durant les deux célébrations que nous avons présidées, ma collègue et moi, je n’ai pas senti que les patients, dans leur majorité, attendaient ou espéraient ce genre de prestations. Ce fut d’autant plus fort dans un EMS, où la plupart des personnes sont démentes et où la majorité de ceux qui ne le sont pas dormaient purement et simplement pendant la célébration. J’ai eu le sentiment d’avoir dilapidé mon temps dans une activité qui ne faisait pas sens, là où j’aurais pu le passer auprès de mes patients, dans le lien et la relation, pour répondre à un besoin réel, explicite et objectif.

« Il y a une demande« 

« Il y a une demande forte » ou « il y a un besoin », voilà l’argument dans lequel prennent racine les célébrations mensuelles que je dois donner dans les EMS, l’aspect plus cultuel de mon travail. Quatre au total, une par institution, plus les célébrations œcuméniques de Noël et de Pâques. Si je ne m’en tiens qu’aux statistiques de présence, alors oui, il y a une demande. Il m’est arrivé que plus de 80% d’un EMS participe à un groupe que j’anime. Parfois, il y a même plus de monde en EMS que dans les temples le dimanche matin, c’est dire. Mais, cette présence est à relativiser. Pourquoi ?

Tout d’abord, il faut bien le dire : les célébrations sont parfois un prétexte pour caser certains patients qui ne s’occupent que peu ou pour permettre aux animateurs de faire autre chose. Pas de souci en soi, ce sont les règles du jeu et ces derniers sont effectivement souvent débordés. Certains participants viennent donc parce qu’on les y conduit et pas parce qu’il y a une demande. Ensuite, une bonne partie des résidents viennent parce que « Jérôme anime« . Ce qu’il ne faut pas comprendre comme le fait que je sois spécialement doué pour animer ces moments. Mais, ce qu’il faut comprendre comme l’envie d’honorer un lien parfois fort qu’il y a entre eux et moi : certains pensionnaires que je suis depuis plus de dix ans viennent aux réunions, car c’est l’occasion de se voir, dans un contexte autre que celui de l’intimité de la chambre ou de la convivialité de la salle commune. C’est par le prisme de la relation que naît leur fréquentation aux activités, et non celui d’un besoin religieux. Il y a ensuite ceux qui viennent alors qu’ils n’ont jamais été croyants ou pratiquants, parce que le groupe se retrouve et qu’ils participent à toutes les offres de l’animation, mais pas parce qu’il y a un besoin non plus. Il y a aussi ceux qui s’ennuient et qui viennent pour ne pas être seuls. Enfin, précisons ceci : il m’a été demandé par le personnel des EMS, afin de coller un peu mieux au public (notamment des personnes démentes), de transformer ces célébrations en groupe de parole faisant participer les personnes, privilégiant la participation active de chacun plutôt que la dispensation de religieux. Face aux démences parfois lourdes des patients, un prédicateur n’a pas beaucoup d’impact et ne semble pas très pertinent. Ainsi, même du côté des animateurs, si l’activité de groupe est recherchée, il n’y a pas spécifiquement d’attente religieuse non plus.

Ces données m’incitent à relativiser l’idée qu’il y aurait une forte demande ou un fort besoin de religieux et de cultuel. Mais, ce n’est pas tout. Cette question, de savoir s’il y a vraiment un besoin, je l’ai posée dans un des EMS où je travaille. J’ai questionné les patients que j’y ai rencontrés, ainsi que tous ceux qui participent aux réunions. J’ai été étonné de voir que l’affirmation explicite du religieux formulée comme un besoin n’y était que très faible. Et même, parmi les quelques personnes l’affirmant (4 sur 70 pensionnaires), la moitié ne se rend pas aux célébrations lorsqu’elles ont lieu. Les trois quarts sont catholiques et répondent à ce besoin par la messe télévisuelle dominicale et se satisfont de la visite de ma collègue qui leur apporte l’eucharistie en chambre lorsqu’ils la demandent. La demande effective est donc réduite à peau de chagrin, et le besoin, s’il existe, n’est pas explicitement exprimé et n’est donc que supposé par les églises.

La pratique vient aussi confirmer cela. Dans un des EMS, spécialisé dans les démences lourdes, on m’a donc demandé de transformer les célébrations en groupe de parole, afin de faire participer les résidents au maximum et de les stimuler en les faisant participer pour mobiliser leurs ressources cognitives. Cela fait plus de deux ans que nous sommes sortis d’un paradigme cultuel, pour nous retrouver en groupe où nous réfléchissons certes à partir de textes bibliques, et ou nous écoutons quelques anciens cantiques, mais où il n’y a plus de dispensations religieuse et cultuelle au sens strict : je ne prêche pas, mais je suis dans le cercle et je modère le temps de parole. C’est un groupe de parole que je conduis. La demande religieuse exprimée par les patients y est nulle, et la participation mensuelle n’a jamais été aussi grande : le dernier groupe a compté 18 patients (sur 24 au total), plus un membre d’une famille, dont une grande partie ne sont pas spécifiquement croyants. Dans un autre EMS, il y avait une demande de la part de deux patients de se rendre au culte du village. Durant quelques mois, nous avions arrêté les célébrations dans l’institution afin de privilégier les visites individuelles et avons encouragé les personnes à se rendre au culte ou à la messe le dimanche matin. Les patients ne sont finalement pas allés aux offices villageois et la demande religieuse exprimée dans l’EMS a été nulle. En parallèle, constatant que l’accompagnant étant plus présent, les besoins spirituels des patients semblaient mieux comblés, il m’a été demandé d’intensifier les entretiens et de diminuer la fréquence des réunions. CQFD.

Enfin, pour aller encore plus loin, il faut aussi tenir compte des projections pour l’avenir : la sociologie montre qu’à mesure que le temps avancera, de nouvelles personnes aux profils de moins en moins religieux viendront peupler les institutions. En EMS, par exemple, lors de l’anamnèse spirituelle que j’effectue à l’arrivée de nouveaux patients, de moins en moins de personnes expriment un besoin religieux. Ceux-ci m’accueillent en revanche volontiers pour discuter en chambre, indépendamment de leur religion, de leur confession ou de leurs croyances. La relation passe donc largement avant la religion.

Explorer le décalage entre perception et réalité

Le décalage entre le besoin perçu et la demande réelle dans les EMS illustre les limites d’une approche reposant principalement sur des indicateurs quantitatifs, comme le taux de participation. Si la présence des résidents aux célébrations ou aux activités spirituelles semble significative, elle est souvent motivée par des raisons qui dépassent le cadre purement religieux ou cultuel. Certains participent parce qu’ils y sont conduits dans le cadre de l’organisation interne ou pour combler un vide dans leur emploi du temps, tandis que d’autres y voient une opportunité de renforcer des liens personnels, que ce soit avec l’animateur ou avec les autres membres du groupe. Ces motivations montrent que la fréquentation ne peut pas être interprétée comme une demande explicite ou comme une preuve de besoin religieux. L’aspect quantitatif n’est donc pas un bon justificatif de la perpétuation des cultes.

Cette réalité interroge aussi la pertinence d’une vision standardisée des besoins spirituels dans les institutions. En considérant ces moments comme des réponses à des dynamiques sociales ou relationnelles, plutôt qu’à une quête religieuse fantasmée, il devient nécessaire de redéfinir les attentes. La « demande forte » présumée par l’institution ecclésiale pourrait être davantage une projection qu’un reflet fidèle des besoins réels des résidents, lesquels sont souvent plus ancrés dans des dimensions relationnelles, affectives ou communautaires.

Ce décalage invite l’institution ecclésiale à repenser son approche en matière d’activités proposées au sein des EMS, afin de les rendre plus pertinentes et adaptées aux attentes réelles des résidents. Plutôt que de se focaliser sur des célébrations collectives formatées, qui demandent souvent un temps de préparation important et répondent parfois à des logiques institutionnelles plus qu’à des besoins individuels, il serait pertinent de privilégier des activités plutôt axées sur la relation personnelle. L’écoute active, les entretiens individuels ou les visites informelles dans les chambres permettent de tisser des liens plus authentiques et d’apporter un soutien réellement adapté aux besoins spécifiques des résidents, qu’ils soient d’ordre spirituel, émotionnel ou simplement humain.

Cette orientation aurait également l’avantage de valoriser l’essence même de l’accompagnement spirituel : la proximité et la présence. En consacrant plus de temps à des rencontres individuelles, les accompagnants pourraient répondre plus finement aux attentes implicites, tout en renforçant les liens de confiance avec les personnes accompagnées. Cela n’exclut pas l’organisation d’activités collectives, mais celles-ci pourraient être repensées pour s’inscrire davantage dans des logiques participatives et relationnelles, plutôt que dans une approche cultuelle standardisée. Une telle évolution offrirait non seulement une plus grande pertinence aux propositions spirituelles, mais contribuerait aussi à mieux refléter la réalité vécue sur le terrain, là où le lien humain prime souvent sur le contenu religieux formel.

La relation avant la religion

Dans mon travail d’accompagnement spirituel, j’ai un parti pris qui me parait essentiel : les personnes passent avant les règles, les cadres, et avant la religion. Ce choix, je le fais chaque jour, notamment auprès des résidents des EMS que je visite. Ces lieux, marqués par des rythmes de vie souvent uniformisés et par un certain isolement, me rappellent que ce qui compte avant tout, c’est la rencontre humaine, ce lien tissé patiemment au fil du temps.

Lorsque je croise le regard d’un résident ou lorsque nous partageons un moment d’échange, il ne s’agit pas simplement d’accomplir une mission ou de répondre à une obligation institutionnelle. Il s’agit d’être pleinement là, disponible, sans filtre ni attente. La richesse de ces rencontres ne réside pas dans un contenu particulier ou dans une forme codifiée, mais dans la reconnaissance mutuelle, dans cette altérité qui fait que l’autre est unique et infiniment précieux.

Accompagner spirituellement, ce n’est pas imposer des cadres ou des règles ; c’est laisser la relation devenir le lieu où se vit quelque chose de profond qui pour moi confère au sacré. C’est une démarche exigeante, car elle demande de se décentrer, de lâcher ses propres attentes pour se laisser transformer par la rencontre. Le résident n’est pas un « récepteur » passif d’un service ou d’une activité spirituelle : il est un partenaire actif, porteur d’une richesse que je ne découvre qu’en me rendant disponible. Ce qui naît dans ces moments-là dépasse le religieux au sens traditionnel du terme. C’est la qualité de la présence, le lien de confiance et d’humanité qui a du sens.

Dans un monde qui valorise parfois davantage l’efficacité et les résultats, il est bon de se souvenir que l’essence de l’accompagnement n’est pas de « faire pour », mais d’ »être avec ». Les règles, les cadres ou même les traditions religieuses sont alors des outils, utiles parfois, mais secondaires. Ce sont les personnes qui donnent le cap, parce que c’est dans la relation que se joue quelque chose d’essentiel.

Dans ce contexte, je réalise combien les rencontres individuelles, ces moments où je prends le temps de m’asseoir, d’écouter, de partager un silence ou un sourire, peuvent être plus riches que bien des activités formelles. Ces instants, aussi simples soient-ils, révèlent une spiritualité vivante, incarnée, qui ne se limite pas à des pratiques ou à des mots. Finalement, choisir la relation avant tout, c’est affirmer que chaque être humain est une fin en soi, et non un moyen. Un sujet et non un objet. C’est consentir que l’autre soit pleinement lui-même, avec ses fragilités, ses forces et son mystère. C’est aussi accepter d’être changé, enrichi, parfois bousculé par cette altérité. Là réside, je crois, la dimension la plus profonde de la spiritualité : celle qui se vit dans la rencontre, dans l’attention portée à l’autre, dans une relation qui humanise et élève.

Une esquisse biblique

Cette idée de la religion comme secondaire prend racine directement dans les textes bibliques. Voici quelques exemples tirés de l’Ancien Testament :

Amos 5, 21-24 Je hais, je méprise vos fêtes, je ne peux plus sentir vos assemblées. Quand vous me présentez des holocaustes et des offrandes, je n’y prends aucun plaisir ; et les veaux engraissés que vous sacrifiez en actions de grâces, je ne les regarde pas. Éloigne de moi le bruit de tes cantiques ; je n’écoute pas le son de tes luths. Mais, que la droiture soit comme un courant d’eau, et la justice comme un torrent qui jamais ne tarit.

Ésaïe 1, 11-17 Qu’ai-je affaire de la multitude de vos sacrifices ? dit l’Éternel. Je suis rassasié des holocaustes de béliers et de la graisse des veaux ; je ne prends point plaisir au sang des taureaux, des brebis et des boucs. Quand vous venez vous présenter devant moi, qui vous demande de souiller mes parvis ? Cessez d’apporter de vaines offrandes : j’ai en horreur l’encens, les nouvelles lunes, les sabbats et les assemblées ; je ne puis voir le crime s’associer aux solennités. Mon âme hait vos nouvelles lunes et vos fêtes ; elles me sont à charge ; je suis las de les supporter. Quand vous étendez vos mains, je détourne de vous mes yeux ; quand vous multipliez les prières, je n’écoute pas : vos mains sont pleines de sang. Lavez-vous, purifiez-vous, ôtez devant mes yeux la méchanceté de vos actions ; cessez de faire le mal. Apprenez à faire le bien, recherchez la justice, protégez l’opprimé ; faites droit à l’orphelin, défendez la veuve.

Ces textes et bien d’autres pointent la primauté du lien et de la miséricorde sur l’aspect cultuel et se trouvent résumés dans un proverbe : la pratique de la justice et de l’équité, voilà ce que l’Éternel préfère aux sacrifices. (Proverbes 21,3)

La relation humaine, notamment avec les plus vulnérables, est au cœur de ce qui donne sens à la spiritualité. Les rites et les cadres religieux, bien qu’ils puissent avoir leur place, ne sont jamais une fin en soi. Ils deviennent vides de sens s’ils ne conduisent pas à une véritable rencontre avec l’autre, à un engagement sincère envers ceux qui souffrent ou qui vivent dans le besoin. La foi, dans sa forme la plus authentique, se mesure à notre capacité à reconnaître et à honorer l’autre dans sa dignité et à répondre concrètement à ses besoins.

Dans les textes bibliques vétérotestamentaires, la figure de Dieu rejette les sacrifices et les solennités qui ne sont pas accompagnés d’une vie de justice et de compassion. C’est une critique claire d’une religion figée qui s’enferme dans des gestes symboliques sans se traduire en actes concrets (on voit déjà poindre les idées directrices de l’épitre de Jacques). La véritable spiritualité se vit dans l’altérité, dans ce mouvement de sortie de soi pour aller à la rencontre de l’autre, en particulier les opprimés, les isolés, ceux qui sont dans le besoin et les oubliés. Cela signifie que la relation humaine précède et transcende les pratiques religieuses, car elle est l’espace où se manifeste l’amour, non pas en théorie, mais dans l’action.

Dans le Nouveau Testament, on trouve cette même idée dans la bouche même de Jésus :

Matthieu 5, 21-24 Vous avez entendu qu’il a été dit aux anciens : tu ne tueras point ; celui qui tuera mérite d’être puni par les juges. Mais moi, je vous dis que quiconque se met en colère contre son frère mérite d’être puni par les juges ; que celui qui dira à son frère : Raca ! mérite d’être puni par le sanhédrin ; et que celui qui lui dira : Insensé ! mérite d’être puni par le feu de la géhenne. Si donc tu présentes ton offrande à l’autel, et que là tu te souviennes que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande devant l’autel, et va d’abord te réconcilier avec ton frère ; puis, viens présenter ton offrande. 

Il n’est pas question ici de dire que la religion est interdite et qu’elle doit être supprimée. Jésus lui-même était religieux. Mais il propose une hiérarchie claire : la relation passe avant la religion. Celui-ci va encore plus loin dans un autre passage :

Jean 4, 23-24 Mais l’heure vient, et elle est déjà venue, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité ; car ce sont là les adorateurs que le Père demande. Dieu est Esprit, et il faut que ceux qui l’adorent l’adorent en esprit et en vérité.

Alors qu’une femme samaritaine demande à Jésus s’il faut adorer Dieu sur la montagne comme les samaritains ou au temple comme les juifs, Jésus lui répond que ce n’est ni à un endroit ni à un autre qu’il faut adorer Dieu, mais en esprit et en vérité. J’interprète ce passage dans la continuité de ceux que j’ai déjà cités avant : la religion est secondaire. Il n’y a pas une religion meilleure qu’une autre. Ce n’est pas à une théologie, un culte, une religion que l’on reconnait un arbre, mais à ses fruits. Et le fruit que la foi est censée produire, c’est l’amour du prochain, plus grand commandement, qui, dit Jésus, résume toute la loi et les prophètes.

Dans les Évangiles, Jésus critique d’ailleurs à plusieurs reprises ceux qui mettent en avant une pratique religieuse ostentatoire sans amour véritable pour les autres. En Matthieu 23, 23, il dénonce les pharisiens pour leur attention scrupuleuse aux détails de la loi tout en négligeant « les choses les plus importantes de la loi : la justice, la miséricorde et la fidélité. » Jésus y affirme clairement que l’amour du prochain et l’intégrité morale ont une primauté absolue sur les rituels religieux. Cela rejoint l’idée que la foi n’est pas un concours de pratiques ou de dogmes, mais une question de transformation intérieure qui se manifeste dans des actes concrets d’amour et de justice.

Cela s’accomplit pleinement après la mort de Jésus, qui prétendait être capable de « reconstruire le temple », ce que ces contemporains prirent de manière littérale. Après sa mort donc, le voile se déchire et la notion de temple se transpose de l’édifice religieux à nous. Notre corps devient le temple (1 Corinthiens 6,19), confirmant ainsi l’idée que l’adoration se passe en esprit et en vérité, et non pas dans une religiosité.

Une spiritualité libérée des cadres religieux

Si la religion peut être voulue et demandée par certains, elle n’est pas une condition sine qua non pour vivre une vie pleine de sens. Jésus lui-même, en dialoguant avec la Samaritaine, ouvre la voie à une spiritualité détachée des lieux de culte spécifiques ou des dogmes exclusifs. En fait, plus que de faire de la religion l’aspect secondaire de la spiritualité, je crois qu’il va même jusqu’à affirmer que celle-ci est totalement dispensable à la vie du croyant, ce qui tranche drastiquement avec l’injonction à faire partie d’une église telle qu’elle est proclamée dans les milieux religieux. En effet, certains arguent que ne pas faire partie d’une église locale n’est pas dans le plan de Dieu. 

Pour les catholiques, l’institution religieuse est un horizon indépassable. En effet, c’est elle qui promulgue les dogmes et que c’est par tradition que le catéchisme est transmis, et non par un lien direct du croyant aux textes. Chez les évangéliques, une lecture littérale des textes s’applique dans la majorité des cas : ils allèguent que Paul disant qu’il ne faut pas « abandonner son assemblée », ne pas faire partie d’une église est une erreur. De plus, il y a une croyance établie assez forte que ne pas aller à l’église assèche la foi. Chez les protestants, bien que l’on soit attaché à la doctrine de Luther (Sola Gratia, Sola Fides et Sola Scriptura), on parle volontiers de « la centralité du culte ». Jésus insiste lui sur l’adoration « en esprit et en vérité », qui ne demande pas de religion, mais une posture intérieure : un cœur ouvert, une vie alignée sur des valeurs profondes. Le culte n’est pas la priorité ni le centre. L’Église n’est pas la priorité ni le centre. C’est l’autre, le prochain qui l’est. Croyant ou non.

Ce message est universel. On n’a pas besoin d’un cadre religieux pour tendre la main à l’autre, pour défendre l’opprimé, pour aimer son prochain comme soi-même. Ce sont des appels qui résonnent au-delà des églises, des synagogues, des mosquées ou des temples. Et même au-delà de la foi : combien de fois ai-je croisé des soignants athées, et pourtant totalement au service de ceux qu’ils accompagnent. C’est là que réside l’essentiel : dans la qualité de notre relation aux autres, dans l’attention sincère que nous leur portons, dans nos efforts pour bâtir une société plus juste et plus humaine.

La religion est superflue. Et elle devient même mauvaise si elle est utilisée comme un simple outil de séparation ou d’exclusion ou si elle masque l’essentiel. Si elle ne conduit pas à l’amour et à la justice, elle perd sa raison d’être et devient caduque. Si elle ne conduit pas à la liberté, alors elle devient caduque aussi. À l’inverse, une personne qui vit ces valeurs sans religion est déjà, en un sens, dans une dynamique spirituelle. La foi véritable, c’est peut-être cela : une vie tournée vers l’amour, qui ne réclame ni institution ni dogme, mais une ouverture à l’autre, une quête de vérité, et une fidélité à ce qui fait de nous des humains, capables de transcender nos peurs pour construire des ponts.

Conclusion

En conclusion, il semble clair que la « forte demande » cultuelle souvent perçue ou affirmée par les institutions ecclésiales mérite d’être réévaluée à la lumière des dynamiques réelles sur le terrain et repensée à la lumière de cette lecture des textes bibliques. La participation aux célébrations ne reflète pas toujours un besoin spirituel explicite ou un véritable désir de pratiques religieuses, mais souvent des motivations relationnelles, sociales ou organisationnelles. En continuant à mettre l’accent principalement sur les cultes, les messes, les rituels et les célébrations, les églises et les aumôniers/accompagnants spirituels risquent de passer à côté de ce qui est réellement attendu d’eux : un accompagnement de proximité, centré sur la relation humaine et l’attention aux besoins concrets des personnes. Mais, bien plus, l’institution ecclésiale prend une responsabilité en mettant l’emphase sur le cultuel : même si elle se défend parfois d’avoir un levier d’autorité, le fait est que pour beaucoup de croyants, la parole de l’institution pèse de tout son poids dans la formation de leurs opinions. Ainsi, en continuant à mettre l’emphase sur le cultuel, l’institution ecclésiale se rend responsable de potentiellement « détourner » ceux qui l’écoutent de ce qui est prioritaire.

La foi, lorsqu’elle se limite à des cadres formels ou des pratiques instituées, risque de devenir une réponse figée à des questions qui ne sont même pas posées. Les cultes, bien qu’importants pour certains, ne peuvent pas être le centre exclusif de l’activité spirituelle dans des contextes comme les EMS, où les besoins sont souvent ailleurs : dans la présence, dans l’écoute, dans le soutien individuel et dans la valorisation de la dignité des personnes. Il ne s’agit pas d’abandonner l’aspect cultuel, mais de reconnaître que sa place doit être rééquilibrée et réajustée. Peut-être faut-il même imaginer des pratiques plus souples, moins formelles, qui répondent davantage à la diversité des attentes et à la réalité des publics. Peut-être que la responsabilité de répondre aux besoins religieux des patients incombent aux communautés religieuses locales et non aux accompagnants spirituels.

En fin de compte, ce qui donne vie à la spiritualité, ce n’est pas tant le culte que la relation. C’est dans l’attention à l’autre, dans le dialogue et dans l’amour du prochain que se trouve le cœur de la foi. Les églises auraient tout à gagner à recentrer leur mission autour de cette priorité, plutôt que de persister dans des schémas hérités qui ne répondent plus pleinement à la réalité du terrain.

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