Journal de bord #53 – Le retour de l’injonction au plaisir

Il y a deux ans, quand mon médecin m’avait envoyé faire un arthroscanner et m’avait diagnostiqué des problèmes articulaires, j’avais décidé d’adopter la posture d’une personne qui accepte le réel, s’y soumet et change son rapport au monde : avec les douleurs, il fallait adapter ma vie. Marcher plus, perdre un peu de poids (C’est là que j’ai adopté ma chienne). Déjà à l’époque, des connaissances, mon entourage et même jusqu’à un des médecins qui me suivait me disait de ne pas « exclure le plaisir » parce que sinon je ne tiendrais pas sur le long terme. Qu’il fallait faire des compromis et ne pas « m’oublier » et « m’accorder des plaisirs régulièrement. » L’injonction au plaisir et au bien-être étaient déjà bien présentes, mais je ne la conscientisais pas encore comme je la conscientise aujourd’hui.

Depuis que je sais que mon taux de cholestérol est trop élevé, évidemment, cela teinte certaines discussions. J’ai appris que plusieurs amis et personnes de mon entourage en avaient ou en avaient eu. Comme pour mes chevilles et mes problèmes de cartilage, j’ai décidé d’adopter une posture d’acceptation du réel et d’adapter encore mon hygiène de vie pour répondre au problème non en soignant un symptôme, mais en allant à la racine. Comme pour mes chevilles, le discours ambiant tourne autour du plaisir, de la frustration et de l’injonction à l’immédiateté. En moins d’une semaine, je ne compte plus le nombre de personnes qui m’ont affirmé prendre un médicament pour diminuer le cholestérol (comme les statines par exemple), et dans le même temps continuer à vivre « normalement ».

Je repense à l’introduction du livre de Jimmy Mohamed, « zéro contrainte, surtout ne changez rien » : « Tous les patients que je reçois savent très bien ce qu’il faut faire pour rester en bonne santé : manger mieux, moins gras, moins sucré, moins salé, pratiquer une activité physique, arrêter de fumer ou de boire… Pourtant, très peu appliquent ces conseils de bon sens, mais qui ont prouvé leur efficacité, parce que les suivre demande de la volonté, de la discipline, de modifier ses habitudes en profondeur. » Il a raison. Toutes les personnes que je croise savent très bien ce qu’il faudrait faire. Ne plus manger de chips, de pâtisseries au beurre. Bouger plus. Boire beaucoup moins d’alcool et arrêter les sodas sucrés. Troquer les mauvaises graisses contre de bonnes graisses et manger plus de fibres. Ne plus fumer. Et encore une fois, c’est l’injonction au plaisir qui l’emporte. Il semble visiblement préférable pour beaucoup de soigner les symptômes avec une pilule plutôt que d’aller à la racine du problème. Il paraît aussi préférable pour eux de m’encourager à suivre cette voie au nom du souverain plaisir.

Ça me fatigue. Mais, peut-être, est-ce moi qui me prends trop la tête ? Je me voyais déjà au prochain bilan avec ma médecin, à lui dire que je ne prendrai pas de médication sur le long terme si elle me prescrivait quelque chose, car d’ici à quelques mois les valeurs seraient revenues à la normale et lui demander un bon de délégation pour quelques séances avec un nutritionniste et ma psy afin de traiter la question de la gestion émotionnelle par l’alimentation pour aller jusqu’au bout de ma démarche. D’un autre côté, une petite pilule suffirait à ne pas faire d’effort et à continuer à vivre comme avant. Mais, est-ce vraiment « vivre » ? Je peine à me convaincre que masquer un symptôme, aussi efficacement soit-il, puisse réellement permettre de vivre pleinement. En choisissant cette voie, ne fait-on pas qu’ajouter une couche supplémentaire à notre déconnexion avec nous-mêmes ? En refusant d’affronter ce que notre corps nous dit, on le réduit au silence, mais à quel prix ? Et surtout, pour combien de temps ?

Je m’aperçois que cette question dépasse de loin mon propre cas. Elle touche à quelque chose de plus large : notre rapport collectif au confort, à l’effort et à ce qu’on considère comme « normal ». Dans un monde où tout semble pouvoir être optimisé, ajusté ou compensé par des solutions rapides, il devient presque subversif de choisir une voie plus exigeante, celle qui implique de ralentir, de réfléchir et de changer profondément ses habitudes. Pourtant, je ne peux pas m’empêcher de penser que ce chemin, bien que plus difficile, est aussi plus authentique. Je l’ai déjà dit, il ne s’agit pas de se priver pour se punir, mais d’apprendre à se nourrir autrement – physiquement, émotionnellement, mentalement. Oui, c’est frustrant parfois de dire non à un dessert appétissant ou de faire l’effort de cuisiner un repas équilibré quand on est fatigué. Oui, il est parfois décourageant de s’apercevoir que les progrès prennent du temps, que les résultats ne sont pas immédiats. Mais cette frustration, cette discipline, n’est-elle pas une forme de soin ? Un acte d’amour pour soi-même, même s’il demande de la patience et de la persévérance ? Surtout parce qu’il demande patience et persévérance !

Je repense souvent à ces conversations où l’on m’assure que « ce n’est pas grave » de prendre une pilule, que « tout le monde le fait ». Je me demande : pourquoi cette obsession à vouloir banaliser ce qui, au fond, est un renoncement ? Pourquoi est-il si difficile d’accepter qu’un changement de mode de vie, aussi contraignant soit-il au début, peut-être une libération à long terme ? Peut-être parce que cela confronte à une vérité inconfortable : que les habitudes, si rassurantes soient-elles, peuvent aussi être des chaînes. J’en reviens à la question de l’aliénation qui me suit depuis le début de ma démarche.

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