Chroniques d’un désaffilié – l’insulte au nom de l’amour

La date butoir que je m’étais fixée pour ma réflexion est arrivée, même si la décision était prise depuis un moment et actée. Les derniers jours de vacances ont été ponctués de messages aussi variés qu’abracadabrants. Je profite de mon dernier moment de calme avant la reprise pour pondre un petit écho de ces derniers jours.

Dans mon dernier billet, j’annonçais que je ne ferais plus tourner ma vie autour de la lecture et de l’écriture. Les réactions n’ont pas tardé. Parler de déferlement serait exagéré… mais, à mon échelle, la quantité reçue me paraît presque déraisonnable.

En schématisant, deux grands camps se dessinent : d’un côté, nombre d’anciens évangéliques désaffiliés, rencontrés au fil des années, qui ont trouvé dans Cosmogénèse et ce blog un écho à leurs propres cheminements (parfois même un prolongement). À cela s’ajoutent celles et ceux qui, en pleine sortie d’église, cherchent à rompre avec les abus vécus ou constatés et ceux chez qui Cosmogénèse a mis le feu aux poudres. De l’autre, les croisés, majoritairement évangéliques ou catholiques, pour la plupart d’anciens coreligionnaires restés fidèles à la cause, défenseurs acharnés du temple et de son appareil. Les avocats de Dieu et de son édifice, en somme.

Certaines personnes m’ont écrit avec bienveillance : pour dire qu’elles comprenaient, que c’était peut-être ce qu’il me fallait, que l’essentiel était que je reste fidèle à ce qui me fait du bien et/ou ce qui fait du sens. D’autres m’ont dit qu’elles étaient tristes, parce que mes textes les accompagnaient, les bousculaient, les aidaient à penser. Une personne m’a même simplement félicité, m’invitant à regarder l’ensemble du chemin parcouru et à en accueillir la cohérence. Merci à elles, à eux.

Et puis, il y a eu les autres. Ceux qui prient. Mais pas pour moi : contre moi (bien qu’ils affirment qu’ils prient « pour » moi). Ceux qui ont vu dans ce revirement un exaucement. Un signe du ciel. Un triomphe du camp du Bien. J’ai reçu des messages me disant qu’on avait prié pour que je me taise et que ma fatigue était, peut-être, la réponse de Dieu à ces prières-là, comme pour m’éprouver dans mon corps, pour me remettre sur le droit chemin.

Quand je me tais, ils remercient Dieu. Voilà qui en dit long sur leur foi. Car quel est ce dieu qui serait “si puissant” qu’il ne supporterait pas la contradiction ou la réflexion ? Quelle est cette vérité qui exigerait le silence pour continuer d’exister ? Si la vérité est vérité, elle ne devrait craindre ni le doute, ni la discussion. Non ?

Éclaircissons un point : pour ces personnes, je suis devenu un apostat. Pire qu’un apostat : le fait que Cosmogénèse ait ouvertement aidé plusieurs personnes à prendre des distances avec leurs églises (merci à vous pour tous vos témoignages) m’a fait entrer dans le cercle très fermé des tentateurs. Un traître. Un homme tombé du côté obscur. Parce que j’ai quitté ce qui, à leurs yeux, ne devait jamais être remis en question : les doctrines, l’obéissance, la structure. Et aussi parce que j’ai dit pourquoi j’avais quitté, ce qui a initié un mouvement chez d’autres qui étaient déjà bien avancés dans leurs questionnements. Mon passé de pasteur, d’enseignant, d’homme d’église rend mon départ d’autant plus suspect. Je n’ai pas seulement quitté : j’ai mis en cause ce que j’incarnais. J’ai ouvert une brèche. J’ai introduit du trouble là où l’on attendait une foi verrouillée.

Je me souviens de cette paroissienne, sincère, le jour où j’ai quitté l’Armée du Salut. Elle m’avait dit, ses deux mains sur mes épaules et son regard empreint de conviction plongé dans le mien : « Moi aussi, un temps, j’ai voulu explorer ce que le monde avait à m’offrir. Mais finalement, je suis revenue à l’essentiel. » L’« essentiel », pour elle, c’était une lecture littérale de la Bible, la soumission aux doctrines, l’obéissance à l’autorité spirituelle. L’ordre. La norme. La soumission. Toutes ces choses qu’elle regroupait sobrement sous un seul mot : « Jésus ». Elle qui, dimanche après dimanche, racontait la difficulté de vivre avec un mari « incroyant », qui n’avait jamais « accepté Dieu » (mari qui était mon professeur lorsque j’étais adolescent… ironique). Cette femme a été, sans le savoir, à la fois un des nombreux semis des doutes que je commençais à avoir sur ce milieu… et un arrosoir qui a permis à ces doutes de pousser. Je pense aussi à ce responsable de louange, en vue dans les cercles évangéliques en lien avec Jeunesse en mission : « Tu arrêtes la louange? Moi aussi j’ai arrêté un moment. Mais Dieu rappelle toujours ceux qu’il veut utiliser dans l’Église. Prépare-toi à ce qu’il te rappelle pour utiliser les dons (musicaux) qu’il t’a confiés. » Autrement dit, tu ne choisis rien. Tu n’échapperas pas au plan. Ce que tu crois être un départ n’est qu’un détour.

Mon départ (et surtout mon absence de retour), et depuis des années les départs, même silencieux, de tant d’autres personnes, mettent à mal ce scénario et inquiètent.

Alors, en annonçant la pause de mon activité d’écriture, certains se sont réjouis. Me l’ont écrit. Me souhaitant de revenir « vers le Seigneur » pour me remettre à son service comme je le fus à leurs yeux à une époque. Une époque bénie, un âge d’or où j’étais au service d’une idéologie mortifère et asservissante. Comme si mon silence signifiait que la remise en question s’arrêtait enfin. Comme si, après avoir dérangé, j’allais rentrer dans le rang, pour porter encore plus de fruits. Le fils prodigue qui s’en est allé et dont ils ont l’impression de percevoir enfin le retour. Saul sur le chemin de Damas.

Mais ce qu’ils ne voient pas, c’est que leur joie confirme tout ce que je dénonce depuis des années. Leur foi ne supporte pas l’ambiguïté. Elle prie pour que le doute se taise. Elle bénit l’épuisement de celles et ceux qui posent des questions. Et parfois, elle justifie, au nom de Dieu, les insultes, les condamnations, les menaces. Avant de se réjouir de leur effet. Car, disent-ils, peu importe comment la Parole est prêchée, tant qu’elle est prêchée… La fin justifie donc les moyens.

Dans ce théâtre-là, on célèbre non pas la parole vivante, mais la parole docile. Ce n’est pas la foi qui anime le système, c’est la peur. Peur de penser autrement. Peur de perdre le contrôle. Peur qu’un jour quelqu’un dise, simplement : je ne crois plus que ce soit juste.

Alors oui, certains se réjouissent que je me taise. Parce que ma parole troublait leur paix. Parce qu’elle rappelait que la foi peut être autre chose qu’un alignement idéologique. Une personne m’a écrit il y a quelque temps que cela lui était insupportable de savoir que des personnes de son église lisaient mon blog. Mais si la foi ne tient debout que lorsque les voix divergentes se taisent, de quoi est-elle faite ? Si vous avez besoin de faire taire pour avoir raison, si vous priez pour que les autres se soumettent, ce n’est pas la foi que vous vivez, c’est une consigne que vous suivez. C’est d’ailleurs, en passant, l’un des germes de toute dictature. L’obscurantisme.

Je vous le dis sans haine : on ne prie pas pour le silence d’un autre quand on est en paix avec ce que l’on croit.

Et puisque vous me lisez aussi, vous, des croyants (majoritairement évangéliques) que je ne peux pas réduire à ces bêtises, laissez-moi vous dire ceci. Je sais que vous existez. Certains m’ont écrit. Plusieurs sont des amis proches. Vous êtes les consciencieux. Les lucides. Les fidèles à voix basse. Pris en tension entre votre foi et votre pensée. Entre l’espérance et le doute.

Mais si vous tenez à témoigner d’une foi vivante, incarnée, ouverte, ce n’est pas ma voix qu’il faut faire taire. C’est votre propre camp qu’il faut oser interroger. Ce sont les outrances de vos frères et sœurs qu’il vous faudrait commencer à (enfin) nommer. Car tant que vous laissez les pires parler au nom de tous, ce sont leurs voix que le monde entendra. Et c’est votre foi qu’ils défigurent.

Si vous croyez, comme vous le confessez, que l’Évangile a quelque chose à dire au monde, alors commencez par vous adresser à ceux qui l’instrumentalisent, tout près de vous. Ceux qui prennent place à côté de vous dimanche matin. Ne restez pas silencieux face à la bêtise, la haine, la manipulation, simplement parce qu’elle parle en glossolalie et cite Paul et Matthieu. Car en avoir conscience et vivre avec ne suffit pas, encore faut-il le dire haut et fort.

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