
Pendant les vacances, je suis allé avec mes enfants au Bouveret, au Swiss Vapeur Parc. Pour les dix ans d’une copine de ma fille, nous lui avons offert la virée avec nous. Elle nous a donc accompagné. J’étais là, entouré de mes deux enfants et de leur amie, trois visages rayonnants, pleins d’impatience.
À peine entrés dans le parc, les enfants ont tout de suite voulu monter dans un train. « Papa, je veux faire le plus de tours possible », me disait mon fils, le sourire jusqu’aux oreilles. Les filles ont acquiescé. « Nous ferons tous les tours que vous voudrez », ai-je répondu, « mais avant, on va s’arrêter devant le panneau des règles. »
Elles sont simples, presque évidentes. Mais trois enfants ensemble, ça se disperse vite, alors on les a vite passé en revue. Les deux plus importantes sont des règles de sécurité : ne pas se lever dans les trains miniatures, et ne pas se pencher. Pendant la première heure, il a fallu répéter plusieurs fois : « Assis. » « Ne te penche pas. »
Puis, peu à peu, ils ont intégré les règles. Et quelque chose s’est passé : toute l’énergie qu’ils mettaient à se lever ou se pencher s’est déplacée ailleurs. Ils ont commencé à chanter, à saluer tout le monde, à souhaiter bon appétit du train en marche aux personnes mangeant aux places de pic-nic, à frotter les toits des tunnels pour voir qui aurait les mains les plus sales. Ils riaient fort, parlaient fort, se bousculaient un peu, mais toujours dans la joie.
Et moi, j’ai fait une erreur. J’ai confondu l’énergie avec la règle dont elle provenait initialement. J’aurais pu et du comprendre le mouvement qui s’était opéré. Je n’ai pas saisi tout de suite qu’ils respectaient les règles, tout en déployant leur vitalité autrement. Mes mots sont alors passés de « Assis » à « Ne lève pas les bras au plafond comme ça », de « Ne te penche pas » à « Ne parle pas si fort, on n’est pas tout seuls ». Et j’ai réalisé que j’étais en train d’étouffer ce qui vivait… pas par nécessité, mais par principe. Par peur que ça dérange.
Très vite (heureusement pour eux et pour moi), je me suis dis : après tout, ce sont des enfants. Et on est dans un parc d’attractions. Si quelqu’un est vraiment dérangé, il est adulte : il peut très bien le leur dire, calmement. Alors j’ai changé de posture.
J’ai commencé à chanter avec eux, à souhaiter bon appétit aux gens, à tendre les bras hors du train (sans me pencher… il y a des règles quand même 😄), à toucher les arbres, les murets, le métal chaud des installations. J’ai participé au concours des doigts les plus sales sur le plafond du tunnel. Et je me suis senti… incroyablement bien. Je me suis senti libre et vivant.
Sur ce petit train, entouré de rires, j’ai repensé à tous ces moments où je me bride, où je m’empêche de vivre par peur de déranger l’autre, qui est en fait assez grand pour me dire si quelque chose ne lui convient pas. Et je me suis demandé pourquoi diable on se met autant de freins et de stops dans la vie. Ma psychothérapeute a gagné : le petit Jérôme commence à parler plus fort.
Le pire, c’est que les gens ne nous regardaient pas avec un aire de revanche, mais en souriant.
Peut-être qu’à force de vouloir être sages et de se focaliser sur des principes, on oublie de simplement vivre. Et de goûter la liberté dans sa simplicité la plus nue, mais aussi la plus savoureuse.