Chroniques d’un désaffilié : l’enseignement religieux aux enfants

C’est pour mieux te manger mon enfant.

Dans mon dernier billet, je vous parlais brièvement du moule dans lequel j’ai été mis très rapidement et des pressions psychologiques que l’on peut subir lorsque l’on se désaffilie du milieu évangélique. Plusieurs retours de la part de lecteurs m’ont incité à aborder cette thématique sous l’angle de l’intention. Une personne m’a, en effet, posé la question de savoir si les pressions psychologiques infligées étaient préméditées, intentionnelles de la part de mes anciens compagnons, ou s’il s’agissait d’actes involontaires. Un ami habitué de ces milieux m’a de son côté laisser entendre que pour des « non-initiés », mon propos pouvait laisser un goût de conspiration, de manipulation consciente et volontaire des nouveaux convertis comme celui que j’étais à l’époque. Ces deux retours me permettent d’aborder une question clé qui a traversé mon passage dans le milieu évangélique romand : la question de l’enseignement religieux aux enfants.

D’emblée, il faut franchement le dire : non, je ne pense pas que les personnes qui se sont occupées de moi après ma conversion sont toutes conscientes de ce qu’elles ont fait et refont. Mais si elles n’en ont pas eu conscience, elles n’ont pour la plupart pas non plus compris quel était le problème avec leur comportement lorsque, a posteriori, j’ai eu l’occasion de discuter avec elles. Elles n’ont pas non plus exprimé de regret ou d’empathie. Ce qui dénote malgré tout d’un endoctrinement certain. Ce qui était de l’ordre de l’abus, de la négation de l’autre était tout à fait normal dans leur cadre de référence. Elles ne voyaient très sincèrement pas le(s) problème(s). Une responsable d’une des églises que j’ai fréquentées m’a même suggéré d’aller « me faire suivre » (par un thérapeute chrétien cela va de soi) lorsque je lui ai présenté un abus d’autorité flagrant dans son église. Il n’y a donc certes pas volonté de nuire ou de manipuler de la part de tous. Non. Mais, il y a aussi une incapacité à penser hors du cadre usuel qui ne permet pas de conscientiser certains désagréments flagrants et ne permet pas l’évolution et l’élargissement de la pensée, même quand les problèmes sont présentés explicitement. Cela se ressent d’ailleurs très fortement dans les enseignements et les prédications qui restent les mêmes, année après année. Avec quelques amis qui fréquentaient le milieu évangélique à l’époque, nous allons parfois écouter les sermons généreusement déposés sur les sites de certaines églises : le discours n’a pas évolué d’un poil. Toujours les mêmes préceptes, toujours la même lecture souvent littérale des textes bibliques, toujours les mêmes questionnements auxquels on ne répond finalement pas autrement qu’avec des règles et de la norme.


La question de l’enseignement religieux aux enfants

Cet endoctrinement est certes multifactoriel, mais personnellement, je retiens deux aspects qui vont dans le sens de l’aliénation et de l’aveuglement des masses : la formation des responsables dont je parlerai dans un autre billet, et l’enseignement religieux aux enfants qui m’intéresse ici et qui me permet de vous relater quelques expériences.

Alors que je fréquentais une église de la FREE dans ma région, j’ai eu l’occasion de partir en Belgique avec un prédicateur, responsable et pasteur de l’église en question. Celui-ci allait prêcher dans un évènement ciblant les jeunes. Moi et plusieurs autres responsables de jeunesse étions mandatés pour l’accompagner. Pour ma part dans une optique formatrice car à l’époque, j’aspirais à devenir responsable dans ces milieux et j’étais actif auprès des adolescents de ma région. Durant ce séjour, en plus de participer à ce rassemblement de jeunesse (où je crois nous avons aussi joué un rôle musical), nous avons rencontré un parterre de responsables d’églises d’une fédération belge où nous sommes venus parler de la jeunesse chrétienne en Romandie. J’ai relu la présentation PowerPoint que j’ai toujours dans mes archives (je l’avais alors demandée à l’orateur en question) qui contient quelques éléments de compréhension sociologiques et quelques « clés » pour « garder » les jeunes dans l’église. Et je me rappelle parfaitement d’une prise de parole de l’un des membres de notre groupe adressée à nos hôtes belges. Il était question des conversions dans les églises. L’orateur expliquait qu’effectivement les conversions de nouvelles personnes comme celle que j’avais vécue moi-même étaient relativement rares. Les nouveaux membres ne sortent pas de nulle part : en général, ils sont soit des personnes provenant d’autres églises qui changent de communauté pour différentes raisons, soit des personnes ayant fréquenté une église avec leurs parents étant jeune et s’étant « reconverti » à l’âge adulte. Quand fut demandé quelle leçon tirer de cet état de fait, la réponse était claire : il fallait intensifier l’enseignement aux enfants. Risquant de partir une fois arrivés à l’adolescence, et il était donc pour tous primordial de leur enseigner les « vérités » bibliques et le sens de l’église dès le plus jeune âge pour « ancrer » ces préceptes en elles. Car oui, les enfants ancrent considérablement de réflexes et d’informations dans les dix premières années de leur vie. Ainsi, ancrer les préceptes évangéliques dès le plus jeune âge, c’est se donner toutes les chances de voir un adulte se convertir des années plus tard. De la même manière, les évènements d’évangélisation doivent être pensés en priorité avec les enfants comme cibles : en effet, en plus d’ancrer les choses en eux, et donc d’intensifier les chances de conversion à l’âge adulte, en faisant venir les enfants, on attire leur famille dans les locaux de l’église. Tout est bon pour la croissance du nombre de conversions.

Pour ancrer ces « vérités », on ne recule devant rien. Autre église, même combat : la deuxième anecdote se passe dans un camp de jeunesse d’été de l’Armée du Salut. Il s’agissait du camp des petits (deux semaines pour les 7 à 13 ans), auquel j’ai été engagé comme moniteur très peu de temps après ma conversion. Double avantage : en plus d’une main-d’œuvre bienvenue, c’était l’occasion de m’inculquer des préceptes évangéliques, puisque ce sont les enseignements religieux qui rythmaient la vie du camp. C’est en partie par ce genre d’évènements que j’ai été formaté à mes débuts. Un à deux enseignements religieux et bibliques d’une trentaine de minutes étaient donnés chaque jour à tous les enfants réunis dans la grande salle du deuxième étage (principalement en utilisant des jeux d’objets pour rendre la matière accessible). Enseignements auxquels s’ajoute un moment de méditation biblique et de prière mené en chambre tous les soirs par les moniteurs. Alors en soi, rien de choquant a priori : un camp chrétien évangélique, organisé par une église chrétienne évangélique, qui propose un enseignement chrétien évangélique (encore que l’on pourrait ici discuter de l’enseignement religieux aux tous petits). Normal. Oui, mais ce sont les méthodes qui m’interpellent : je me rappelle que lors des réunions plénières, pour capter l’attention des enfants, les responsables avaient divisé la salle en deux groupes. Chaque groupe avait trois ballons gonflés scotchés au mur de son côté. Si dans un groupe un ou plusieurs enfants se dissipaient, alors on crevait un ballon. Cela avait l’effet de reprendre l’attention des jeunes, pour les inciter à écouter ce qu’on leur disait. Puis, à la fin de chaque séance, on donnait un bonbon à tous les jeunes qui faisaient partie d’un groupe dans lequel il restait au moins un ballon pas encore éclaté. Ainsi, on limitait les effusions lors des enseignements, et l’on conditionnait ces jeunes à intégrer l’enseignement religieux apporté. Car oui, en plus des enseignements, il fallait apprendre par cœur des injonctions et des versets bibliques (souvent sortis de leur contexte et scandés comme des slogans). Parmi ces injonctions, les quatre points si chers aux évangéliques : « Dieu m’aime – j’ai péché – Jésus est mort pour moi – Je dois prendre la décision de vivre pour lui ». Quatre points que l’on répétait et faisait répéter chaque jour à tous les enfants. Ces méthodes, quoi qu’on en pense, s’apparentent ni plus ni moins à ce que je fais avec ma chienne pour l’éduquer : du conditionnement par le renforcement positif ou négatif. Les croquettes sont simplement remplacées par des bonbons.

Un jour, la cheffe de camp, alors responsable romande de la jeunesse de l’Armée du Salut, a pris la parole. Son enseignement portait sur le fait d’avoir une foi fraîche et éveillée. Elle a ainsi expliqué à tous ces enfants (je le redis, de 7 à 13 ans) que pour être dans le « juste », il fallait se rendre au culte le dimanche matin, chaque semaine. Je me rappelle qu’elle a illustré son propos avec un objet. Elle a pris un ballon de baudruche dans lequel elle a soufflé. Les enfants devaient s’identifier au ballon et l’air insufflé symbolisait le Saint-Esprit. Elle expliquait que le dimanche matin, aller au culte, c’était permettre à Dieu de souffler en nous et de nous remplir de l’Esprit-Saint. Qu’au fil de la semaine, nous nous vidons comme le ballon, mais qu’heureusement le dimanche suivant, l’église à laquelle nous appartenons organise un nouveau culte où nous pouvons retourner faire le plein. Chaque enseignement était accompagné d’un chant que les enfants reprenaient en chœur. En l’occurrence, le chant qui accompagnait cet enseignement s’appelait « une flamme en moi ». Ses paroles :

« Le lundi j’ai son (Jésus) amour, le mardi je prends sa paix. Mercredi est un beau jour, jeudi je veux le chanter. Vendredi si j’ai douté, Samedi il vient m’aider. Le dimanche cette joie vient briller en moi. »

Ainsi, par l’enseignement et les chants, on peut aisément conditionner les fidèles à ne pas prendre de distance par rapport à leur pratique religieuse. Ici, on conditionne des enfants, à penser que leur intériorité, leur spiritualité dépend prioritairement de la fréquentation d’un culte.

Si les enseignements et leurs méthodes sont au centre de mes questionnements, il faut aussi noter que l’utilisation massive de chants n’est pas anodine non plus : si vous voulez connaître les contours théologiques d’une communauté, examinez son répertoire de chant les plus repris et vous en aurez de bonnes indications. En effet, si l’enseignement d’un prédicateur est déjà marquant, les chants ont cet effet d’ancrer les enseignements dans les croyants afin qu’ils gardent et suivent les préceptes prêchés, et c’est d’autant plus vrai pour des enfants qui apprennent par cœur rapidement. Ce n’est pas pour rien que ceux qui gèrent l’aspect musical des cultes s’entendent souvent avec les prédicateurs pour s’assurer que les chants aillent dans le sens du sermon : en chantant, le croyant scande lui-même les enseignements et met en mouvement son corps. Plus : il apprend de lui-même par cœur ce qu’il oublierait peut-être s’il n’y avait eu que le prédicateur, l’ancrant jusque dans son corps. Le pire, c’est que cette démarche est tout à fait consciente, puisque la manière dont les cultes sont conduits est parfaitement millimétrée en coulisse, tout en donnant l’impression qu’elle est spontanée et simplement « inspirée » sur le moment. Combien de fois ai-je entendu des personnes s’extasier devant la manière dont « Dieu a inspiré tel culte » alors que tout avait été orchestré au préalable par ses acteurs. Ces personnes pensaient sincèrement et naïvement que Dieu avait tout géré pour que nos différentes prises de parole et le choix des chants soient accordés sans que nous ne nous soyons concertés. Il n’en était rien. À titre d’exemple, avant chacune de mes prédications, le responsable de la partie musicale me demandait le texte de ma prédication pour bien choisir des chants allant dans la même direction, et collant le plus possible à mon discours.

C’est avec de bonnes intentions que ces pratiques sont mises en application. Car au-delà du fait qu’ils conditionnent les personnes, ces enseignements existent avant tout pour « sauver » la vie des gens. Et pour cela, la fin justifie les moyens. Car oui, seul Jésus sauve de l’enfer, ce qui divise le monde en deux catégories : les sauvés et les damnés. On peut dès lors imaginer les implications d’un conditionnement à cette croyance sur la psyché d’un enfant ou d’un jeune de sept ans. Forcément, on finit par mettre au centre de sa vie la conversion des autres. Pire : de ranger cette conversion de l’autre dans ce que l’on appelle « l’amour du prochain ».

Alors non, je ne pense pas que les multiples pressions psychologiques infligées le soient de manière consciente et volontaire. Je ne pense pas que le moule dans lequel on m’a mis dès mon arrivée soit conscientisé à ce point. Cela serait faire un procès d’intention abusif à mes anciens compagnons. En revanche, il y a une volonté très claire de la part de l’institution et de (certains de) ses leaders de maintenir les gens dans un certain cadre par le conditionnement, et ce, dès le plus jeune âge, ainsi qu’à certains égards par la formation des nouveaux responsables. Autrement dit, je pense qu’il y a beaucoup d’aliénations. Car si les pressions et le moule sont imposés de manière inconsciente la plupart du temps à ceux qui s’en vont et qui arrivent, le matraquage des jeunes et le conditionnement sont quant à eux tout à fait conscients, empêchant pour une bonne part les personnes de devenir critique sur le milieu. Cela instille de la crainte lorsque des personnes s’en vont en remettant en cause tout le système, à l’image de l’hôtesse dont je parle dans le précédent billet. Et, plus généralement, dès qu’un croyant réfléchit un tant soit peu hors du cadre. Car si ce dont je parle ici porte « seulement » sur deux semaines de colonie, pensez que beaucoup d’enfants participent chaque semaine à « l’école du dimanche » lors du culte dominical.

Il a été ici question du premier facteur qu’est l’enseignement aux enfants. Dans un prochain billet, je vous parlerai de la formation des leaders, de ce que j’y ai vu et entendu lorsque j’y étais moi-même étudiant. Spoiler : les conclusions sont les mêmes, on conditionne les gens. Pire : on apprend parfois en toute bonne foi à utiliser des préceptes de manipulation de masse pour la croissance de l’église. Mais, avant, je vais m’attarder sur cette notion d’enseignement et l’envisager plus globalement pour comprendre pourquoi les évènements que je décris ici sont problématiques à mes yeux.

5 commentaires

Répondre à Chroniques d’un désaffilié #3 – La raison et la foi Annuler la réponse.