
J’habite un village où la culture associative et locale est mise en avant, ce que j’apprécie particulièrement, car c’est vecteur de cohésion sociale et cela me garde connecté à mon terroir. Mes enfants prennent des cours de danse auprès d’une jeune femme du coin qui, pour une somme assez modique et sans engagement semestriel, leur donne une heure d’initiation par semaine. Tout au long de l’année, elle prépare des chorégraphies et une fois par an, elle profite de l’évènement d’une association locale pour permettre aux enfants de danser sur scène devant leurs parents et un public assez nombreux. Une expérience dont mes enfants se réjouissent à chaque fois (et moi aussi) : cela leur permet de se dépasser, d’obtenir une certaine reconnaissance pour l’effort et le travail qu’ils ont accompli, et cela me rend très fier d’eux. Cette année (comme l’année passée), c’est dans le cadre du Noël d’une église villageoise d’obédience évangélique qu’a eu lieu le spectacle. Et, je dois bien avouer que la soirée a été plutôt sympathique. La danse, les poésies et les chansons des enfants ont rendu les parents comme moi heureux. La pièce de théâtre du groupe de jeunes de l’église, indépendamment de sa morale biblique que j’ai personnellement trouvée tirée par les cheveux, était plutôt légère et sympathique. L’apéritif, offert par une autre collectivité locale à l’issue de la soirée, a été l’occasion de discuter avec d’anciens compagnons évangéliques que je ne vois plus depuis des années pour certains.
Sur scène, le pasteur qui a proposé un message très court (sur lequel je ne reviendrai pas car rien de neuf vu le contexte) annonçait qu’en partant, nous pouvions prendre un petit livre qui nous était offert, et qui permettrait de « penser et réfléchir Noël ». Cet ouvrage était déjà distribué l’année précédente, mais je ne l’avais pas pris. Les exemplaires étaient déposés sur la table à l’entrée. Le livre est petit, court, et j’étais curieux de voir comment le discours évangélique a évolué (s’il a évolué) ces dernières années. Est-ce que le propos s’est renouvelé ou est-il toujours ancré dans les mêmes certitudes et la même dialectique ? Évidemment, la lecture d’un petit livre ne répondrait pas de manière exhaustive à cette question. En revanche, cela me donnerait une idée de là où se situe aujourd’hui cette église que j’ai moi-même fréquentée à une époque. J’en ai pris un, je l’ai lu et j’ai décidé d’écrire un billet dessus. Non pas que je veuille combattre ce qui y est écrit, mais parce que le propos du livre, avec lequel je suis certes en rupture totale, me permet d’esquisser un peu plus les contours de ma pensée : ce retour de lecture est l’occasion de poser quelques bases sur le lien que j’entretiens avec les textes bibliques notamment, puisque c’est une question qui m’a souvent été posée à la suite de mes chroniques précédentes. Aussi: cela me permet et de poser une fois encore la question de la responsabilité en ce qui concerne le développement spirituel et/ou religieux.
Le contenu du livre
Précisons avant d’entrer dans le récit que même si ce billet est relativement long, il ne s’agit pas d’un retour de lecture exhaustif : en effet, l’auteure fait un grand nombre de digressions, et il serait vain de tout pointer du doigt. Il y a aussi beaucoup d’arguments, de parallèles et de constructions discutables et contestables. Je pose ici un regard critique sur le propos général seulement, m’arrêtant sur quelques points précis ici où là. Je précise également que certains points dont je parle ici ne sont pas nécessairement propres à la religion évangélique, et que l’on peut trouver les positions de l’auteure dans d’autres dénominations chrétiennes. Il s’est fait simplement que c’est dans une église évangélique que ce livre m’a été distribué.
Le petit fascicule s’appelle donc « Noël, peut-on vraiment y croire ? » et a été écrit par Rebecca McLaughlin, une auteure chrétienne américaine d’origine anglaise. Il est court : 70 pages en format carte postale, mais opère un grand nombre de parallèles et de digressions. Ce petit livre se propose de tenter d’entrer sur le terrain de l’apologétique en parlant de la Bible et de Dieu du point de vue de la science (l’historicité notamment) et celui de la pop culture en basant le fil rouge de son récit sur un personnage de Doctor Who et convoquant ici et là des figures telles que Harry Potter ou Dr House pour ne citer qu’eux.
Le livre pose quatre questions, qui sont les titres de ses chapitres : « Jésus a-t-il vraiment existé ? », « Pouvons-nous prendre les évangiles au sérieux ? », « Une vierge enceinte : peut-on vraiment y croire ? », et « Pourquoi est-ce important ? ». Ce cheminement a pour ambition explicite de nous amener à croire que le récit biblique de Noël, ainsi que son historicité, sont « bien plus crédibles et plus importants que ce qu’on a voulu nous faire croire » (4ᵉ de couverture). Ce qui fait naitre deux premières questions qui restent sans réponse à la lecture du livre : qui est « on », et qu’a-t-on voulu me/nous faire croire ? Ce genre de grandes affirmations me mettent en général la puce à l’oreille. Il s’agit d’inciter le lecteur à ouvrir le livre, tout en le mettant en confiance, sans donner plus de réponses en amont. Mais, je mets cela de côté avant lecture : qui sait ? Je pourrais être surpris.
La deuxième chose qui me frappe avant même la lecture, c’est la collection de citations de plusieurs figures d’autorité du monde scientifique et chrétien qui adoubent le livre (premières pages et 4ᵉ de couverture). D’emblée, lorsque avant même de dérouler sa pensée, on convoque en guise de préambule ce genre de figures pour me dire que le propos est vraiment super, cela attire aussi mon attention. L’appel à l’autorité est souvent annonciateur d’un discours au maximum fallacieux, au minimum souvent pauvre : on compense la fragilité de son discours par pléthore de figures d’autorité qui vous soutiennent. Placé en début d’ouvrage de cette manière, cela ne vise qu’à de rassurer le lecteur et à le mettre dans de bonnes dispositions avant même d’avoir avancé son propos : encore une fois l’objectif est clair, faire que les personnes croient à ce qui est avancé dans le livre. Le livre étant gratuit, il ne s’agit effectivement pas d’une démarche marketing, ce qui continue de me mettre la puce à l’oreille. Mais, je mets aussi cela de côté pour me concentrer sur le récit.
Chapitre 1, de l’historicité de Jésus
Ce chapitre consiste en une démonstration d’arguments scientifiques concernant l’existence d’un Jésus historique. Si cette (courte) démonstration, bien qu’incomplète, permet d’arriver à la conclusion qu’effectivement au premier siècle de notre ère existait bien un homme prénommé Jésus, étant probablement celui dont la Bible parle, je trouve cela hors de propos en l’occurrence. En effet, si les sources historiques tendent à démonter son existence, la description de ses œuvres (et notamment celles qui sont miraculeuses) dans les évangiles n’est pas attestée en dehors desdits évangiles, qui ne sont pas des biographies (comme le prétend l’auteure en page 16) mais des hagiographies. Leur but n’est pas de rendre compte de l’histoire, mais de mettre en avant le caractère de sainteté du protagoniste dont il est question : Jésus. Ainsi les documents historiques font œuvre de science en ce qu’ils nous parlent de l’histoire, alors que les hagiographies (ici les évangiles) font œuvre de foi en ce qu’elles nous parlent d’une figure et de la portée spirituelle de son message et de ses enseignements. Ma position est celle-ci : c’est le mythe qui importe et non l’historicité des textes, dans une démarche de foi. Et, si la figure hagiographique se trouve, en l’occurrence, avoir une existence historique attestée, il n’en est rien de la portée miraculeuse de ses œuvres. La science a vocation à nous expliquer et à nous permettre de comprendre le monde, et non à justifier telle ou telle spiritualité/foi/croyance religieuse/idéologie. La démarche spirituelle, quant à elle, a pour horizon de démarrer des processus de travail intérieurs permettant à ceux qui la vivent de grandir intérieurement. Ce chapitre ne démontre donc pas que « l’on peut y croire » dans le sens où l’auteure aimerait nous en convaincre : c’est-à-dire croire que l’histoire de l’enfant Jésus et de Noël telle qu’elle est décrite dans la Bible s’est réellement et littéralement passée ainsi. De plus, la démarche de vouloir allier science et foi, très en vogue dans les milieux évangéliques, est caduque à mes yeux. La démarche scientifique et la foi sont légitimes l’une comme l’autre, mais n’ont rien à voir. Plus : l’auteure prend quelques exemples de passages bibliques avérés historiquement pour prétendre qu’il serait raisonnable de croire à l’entier des affirmations des évangiles. Ce à quoi il est aisé de répondre qu’il ne suffit pas que l’une ou l’autre partie de la Bible soit vraie au sens historique pour que cela s’étende à son entier. La conquête de Jéricho en est un exemple simple : il a été démontré qu’à l’époque présumée du récit, il n’y a eu aucune muraille détruite, voire que l’endroit n’était même pas habité. Pour ne rester que sur les évangiles, aucun document historiographique n’atteste les œuvres miraculeuses de Jésus.
Là où je suis en rupture avec la vision de l’auteure, et il s’agit là d’une opinion personnelle, c’est que comme tout livre à portée spirituelle, la Bible n’a pas vocation à nous parler de Dieu, mais plutôt à nous parler de nous. Lorsque je lis la Bible, je lis un récit qui me parle de moi et de mon intériorité, et qui me met en marche dans un travail intérieur, personnel et intime, n’ayant pas vocation à être étendu au reste du monde a priori. J’entre dans un processus qui me conduit à creuser des tunnels. J’irai même plus loin en disant que je pense que dans une démarche de foi, on ne devrait même pas avoir à se soucier de l’existence historique ou non de Jésus. Car en l’occurrence, cela ne prouve aucune des affirmations de foi de l’auteur ni ne justifie les récits bibliques dans leur véracité. C’est le mythe et ce qu’il nous dit qui est important et non l’histoire.
Chapitre 2, du sérieux des évangiles
Ce chapitre, dans la lignée du premier, tente de montrer comment l’on peut faire confiance aux évangiles en ce qu’ils relatent une réalité historique. Mettant, par exemple, en avant la démarche soi-disant scientifique de l’évangéliste Luc, présenté comme un historien rigoureux, argument que l’on m’avait déjà donné lorsque j’ai suivi des cours au centre de formation de l’Armée du Salut. Ce que je réfute pour une raison simple : nous avons tendance à regarder le passé avec nos lunettes contemporaines. Parfois cela peut nous inciter à ne pas voir le passé comme il était, mais à se le représenter par le prisme de notre monde actuel, de la pensée ambiante, de nos croyances contemporaines, etc… . La question du sacré n’est pas épargnée, et c’est là-dessus que je me base pour réfuter l’idée amenée par l’auteure. En effet, nous avons aujourd’hui un lien au sacré tout à fait particulier : nous pensons que nous devons le figer. Que les textes doivent être gardés tels qu’ils sont, qu’ils sont immuables et qu’à aucun prix nous ne devons les modifier ! Cette vision est parfois projetée à tort sur les copistes ayant copié les textes bibliques au fil des âges. On imagine des scribes extrêmement scrupuleux, soucieux de copier le texte à la lettre près. Mais, la critique textuelle nous permet de voir le texte biblique autrement. Car la culture du sacré n’a probablement pas toujours entrainé de figer les textes et de les préserver. Fut une époque où les textes étaient beaucoup plus vivants en ce sens que leur évolution était certes permise, et peut-être même encouragée : pour les copistes, un texte sacré c’est un texte qui honorait le divin. C’est dans cette optique qu’ils ne se contentaient probablement pas seulement de recopier le texte, mais de le rendre meilleur, afin qu’il témoigne « mieux » de la gloire de l’objet de leur foi. Au fil du temps, le texte a donc évolué pour se transformer de copiste en copistes, devenant de plus en plus exaltant. Cette évolution témoigne de l’envie de rendre gloire au divin en présentant son action comme d’autant plus merveilleuse et miraculeuse. Cela dénote aussi d’une posture vis-à-vis du réel et du symbole autre qu’une lecture littérale, prétendument scientifique et historique des textes. Partant de ce prisme de lecture, même en admettant que la démarche de l’évangéliste Luc ait été celle d’un vrai historien, qu’elle eut été scrupuleusement sourcée (ce que l’on ne peut évidemment pas démontrer), rien ne nous dit que les copistes, dans une démarche éminemment spirituelle et un élan de foi profond, n’ont pas enjolivé les textes pour qu’ils rendent encore plus gloire au divin.
Pour illustrer ceci, j’aimerais parler de la Haggadah. Il s’agit d’un texte liturgique que l’on utilise pour la fête de Pessah (la Pâque juive). Elle contient des versets et leurs commentaires, des psaumes de louange, des bénédictions et des prières rythmant la cérémonie du Seder de la Pâque juive. Et, si plusieurs familles disposent d’une même Haggadah, chaque famille est appelée à annoter, commenter, apporter des ajouts au texte, l’embellir, pour que celui-ci reste vivant. Ainsi, le texte n’est pas appelé à se figer, mais bien à évoluer encore, au fil des célébrations : ce n’est pas l’homme qui est fait pour la tradition, mais la tradition qui est faite pour l’homme. Le sacré ne réside pas dans l’immobilité et l’uniformisation du texte, mais en ce qu’il vit. Je vois un esprit similaire dans le Talmud : chaque homme, chaque génération est amenée à apporter son commentaire au texte sacré, mais aussi aux commentaires, aux commentaires des commentaires, etc…. C’est une œuvre toujours vivante et en mouvement qui se développe, qui ne se fige pas, mais reste mouvante. D’ailleurs, rappelons qu’avant d’être posés par écrit, les textes bibliques étaient des traditions orales, qui là aussi, au fil des prédicateurs, des enseignements, des récits racontés dans les maisons, des voyages, des rencontres et des influences interculturelles, ont probablement évolué, avant d’être consignés par écrit.
Cette vision du texte biblique contribue également à me faire persévérer dans l’idée que l’histoire et la démarche de foi sont deux choses dissociées. J’irai même encore plus loin : cela me conduit à penser que vouloir lire les textes de manière littérale par le prisme d’une prétendue historicité, c’est passer à côté d’une démarche spirituelle et de foi plus profonde et intense, d’une herméneutique et d’une intersubjectivité féconde et créative. C’est aussi passer à côté du mythe et de ce qu’il a à nous dire. Je crois que les évangiles portent quelque chose d’extrêmement sérieux (pour reprendre le mot de l’auteure), non pas dans une prétendue fiabilité historique, mais dans leur portée spirituelle.
Chapitre 3, de la virginité de Marie
À la suite des deux chapitres précédents, il faut donc que Marie ait été enceinte vierge. Il faut absolument que cela soit véridique historiquement, sans quoi la foi serait vaine. Cet argument, je l’ai entendu des dizaines de fois dans mon parcours évangélique : si ce que dit le texte ne s’est pas réellement produit de manière objectivable, alors la foi est vaine. Que puis-je ajouter à ce qui a été dit sur les deux chapitres précédents, si ce n’est peut-être d’autres interprétations pour montrer qu’une lecture littérale n’est pas nécessairement indispensable à la démarche de foi :
Daniel Marguerat, dans son livre Vie et destin de Jésus de Nazareth, propose une lecture de Jésus comme étant un « bâtard » (un « mamzer » né d’une union illégitime), et donc, de fait, socialement handicapé dès avant sa naissance. Cette lecture nous propose un protagoniste proche des marginaux dès son plus jeune âge, et par extension probablement sujet au rejet, à la moquerie et aux brimades : il est aisé de développer une herméneutique où la virginité de Marie serait une virginité de cœur lorsque l’on voit quelles valeurs morales Jésus a pu développer en grandissant, considérant que l’enseignement de sa mère devait être en rupture avec l’expérience de rejet que vivait un enfant illégitime. La figure que nous présente le texte ne s’est pas développé dans le ressentiment par rapport à son statut, mais s’est construit une morale mettant en avant l’autre, et utilisant avec sagesse sa colère. De son côté, Rob Bell dans Trampoline met en avant qu’enceinte vierge pouvait tout à fait signifier enceinte à la suite de son premier rapport sexuel. Quelle que soit l’interprétation, et il en existe probablement des quantités d’autres, je crois qu’il faut encore ici aborder le texte comme une hagiographie décrivant le caractère de sainteté de la figure de Jésus. Peut-être s’agit-il d’un symbole dont la portée nous échappe à cause de la distance (culturelle, temporelle, etc…) que nous avons avec le texte. Mais, fonder sa foi, sa « fides », sa confiance, et vouloir croire dur comme fer de manière inaltérable dans le fait que Marie a été historiquement enceinte vierge et défendre la thèse de la parthénogenèse, c’est à mon sens combattre le mauvais combat, construire sa maison sur le sable ou encore manquer la cible, à vous de choisir. Il faut ici encore à mon avis dissocier le savoir de la foi. Il me parait plus sage de creuser des tunnels, d’énoncer des « peut-être » élevant la créativité, que de vouloir affirmer des certitudes.
En réalité, la place de la virginité de Marie n’occupe pas la majeure partie de ce chapitre. Non, celui-ci contient aussi des exemples de scientifiques s’étant tournés vers la foi chrétienne pour conclure qu’il est finalement raisonnable de croire à ce miracle. Encore une fois, j’y vois une confusion totale : en quoi le fait que des scientifiques croient à ce qu’affirme l’auteure donne du crédit à sa thèse ? Comme je l’ai dit, science et foi sont deux choses différentes.
Chapitre 4, de l’importance de la véracité de tout ce récit
Ici, l’auteure nous ressort un poncif : l’argument de la morale. « Si Dieu n’existe pas, ces affirmations ne sont pas des faits moraux : ce sont des opinions » (p.59). La logique est simple : si Dieu n’existe pas, alors il n’y a pas non plus de valeurs morales objectives. Celles-ci existant (ce qui reste à prouver), cela prouverait alors l’existence de Dieu lui-même. Ainsi, décider de vivre sans Dieu, c’est faire exploser tout cadre moral.
Cet argument a été entendu et réentendu, et il est facilement contestable. En effet, si une morale objective existait vraiment, alors celle-ci, comme Dieu, aurait dû exister de tout temps. Ainsi, pour ne prendre que les droits de l’homme que l’auteure cite dans l’ouvrage, ceux-ci n’ont pas toujours été admis, notamment par les témoins de la prétendue source de cette morale, et ne le sont toujours pas partout d’ailleurs. On peut aussi évoquer certaines pages de l’histoire comme l’esclavage. Si une morale objective existait, l’esclavage aurait révolté ses contemporains de tout temps, y compris les personnages bibliques qui le pratiquaient. On pourrait aussi parler du racisme, des discriminations homme-femme (qui ont tous les deux voix au chapitre dans certaines églises aussi), de la pédophilie, la polygamie/monogamie, etc…. Enfin, il faut aussi dire que la morale des textes sacrés ne correspond pas toujours à celle de notre époque : la morale évolue donc avec le temps, ce qui tend à démontrer qu’il n’existe pas une morale objective, mais que celle-ci est plus culturelle. Ce qui ne démontre pas que Dieu n’existe pas, mais montre l’invalidité de l’argument de la preuve de Dieu par la morale.
De plus, il est question dans ce chapitre plus que dans les autres de ramener le raisonnement à quelque chose de circulaire. Après avoir tenté de démontrer que l’on peut croire que la Bible dépeint des réalités et des évènements historiques, l’auteure s’appuie à plusieurs reprises sur la Bible pour ancrer son argumentation. En gros, on encourage à croire ce que dit la Bible, parce que la Bible le dit, ce qui est un argument circulaire. Enfin, elle termine le chapitre par un court discours autour du péché et du salut en utilisant tout le développement du livre : comme Jésus a existé, les évangiles relatent des évènements qui ont réellement eu lieu, il est donc raisonnable de croire que Marie ait été enceinte vierge et que le récit de Noël raconte une réalité historique. Et comme selon elle une morale objective existe, cela lui permet d’affirmer le fondement de sa foi, à savoir que Dieu est juge, que Jésus sauve, et que le péché nous expose au jugement. Ce qui lui permet de terminer par un encouragement à croire dans la véracité des textes bibliques, et de l’œuvre rédemptrice de Jésus, pour nous éviter le jugement divin (et par extension l’enfer et la damnation éternelle). Ce qui m’amène ici à mon problème principal avec ce livre : l’auteur tient un discours téléologique. Elle a construit tout son propos en partant de sa conclusion, arrangeant ainsi toutes ses prémices pour qu’elles coïncident avec la destination à laquelle elle veut faire arriver le lecteur : la conversion. C’est sa croyance qui est le moteur de son récit et qui oriente toutes ses réflexions. C’est l’inverse de ce que me semble être au cœur de la démarche de foi, de la démarche spirituelle : celle-ci nous amène à creuser des tunnels sans savoir où nous arriverons, ni même si nous arriverons quelque part. À poser des questions plutôt qu’à donner des réponses, à proposer des interprétations différentes plutôt qu’à arrêter des dogmes.
Ce livre est donc ce que l’on appelle communément un livre d’évangélisation, dont le but est de faire que les personnes adhèrent à la foi de l’auteure. Démarche avec laquelle, vous l’avez compris, je suis en rupture. Si ce livre voulait tenter de me convaincre, ni le raisonnement global, ni aucune de ses parties n’y seraient parvenus.
À nouveau la question de la responsabilité – retour à la fête de Noël
Ce qui est intéressant, c’est que toutes les personnes avec qui j’ai discuté lors de cette fête de Noël, n’avaient pas lu le petit livre en question. Je me pose une question à la suite de ces quelques discussions : est-il judicieux et responsable d’accepter en tant que communauté qu’un livre dont on ne connait pas le propos ni le contenu explicite, sous le seul prétexte qu’il parle de Jésus et de Noël, soit distribué gratuitement à un grand nombre de personnes ? À titre personnel, si je donne une lecture à quelqu’un, je m’estime responsable vis-à-vis de cette personne. Ce faisant, je n’offre jamais un livre que je n’ai pas lu. Car même si l’on est chrétien, croyant et confessant, ce n’est pas parce que cela parle de Jésus que c’est bien. Comme toute chose, la foi en Jésus et la Bible ne sont pas « bons en soi » mais ne le sont (ou non) qu’en fonction de ce que l’on en fait.
J’ajouterais ceci : j’ai une très haute opinion des personnes et de leur capacité de compréhension. Et je crois sincèrement que la plupart des personnes sont bien plus intelligentes que ce qu’elles veulent bien croire. L’un des arguments que j’entends souvent est celui qui consiste à me dire que le temps manque pour lire, et que tout le monde n’est pas appelé à lire des livres « érudits » et à les comprendre. Ce à quoi je répondrais que tout dépend du curseur et du niveau où on le met. Si la foi (quoi que soit ce qu’on entende par foi) devient un simple divertissement, un passetemps qui permet de se donner bonne conscience en se disant que l’on est, comme ceux qui croient comme nous, dans le bon chemin, alors le niveau de lecture de cet ouvrage peut effectivement suffire (et encore), bien qu’il enferme le lecteur dans une vision très étroite. En revanche, si l’on croit, comme les paroissiens présents à cette fête de Noël, en un Dieu qui a tout créé ex-nihilo et qui doit prendre toute la place de nos vies (comme le professent les évangéliques, dont la religion est englobante au sens ou elle concerne tous les aspects de la vie), ou plus simplement si l’on prend au sérieux l’expérience spirituelle, alors la lecture, l’implication et l’investissement doivent se situer au même niveau de sérieux. Ce qui ne veut pas dire qu’il faille nécessairement lire des choses « compliquées », mais des choses peut-être un peu plus sérieuses. Car la complexité dépend au moins parfois de l’image que l’on se fait des choses plus que de leur complexité réelle. Une quête spirituelle est quelque chose d’intense, de prenant, et de passablement déstabilisant : il ne suffit pas de suivre une doxa et de coller à un discours clés en main. Ce n’est ni un jeu ni un simple passetemps. Ce genre de littérature n’y rend pas service.
Enfin, je souligne ici que « je n’ai rien contre les agenouillés, j’en ai contre les agenouilleurs » pour reprendre une maxime de Michel Onfray. À ce titre, je n’ai rien contre les croyants, ni les croyances en soi. Et je porte la démarche spirituelle et l’élan de foi en très haute estime. Mais si ce livre sur Noël devait pousser certains dans une démarche de foi, alors je pense que leur foi, leur confiance, ne serait pas mise au bon endroit vu la teneur du discours de l’auteure. Je pense sincèrement qu’ils croiraient pour de mauvaises raisons. Et, je range volontiers l’auteure de ce livre dans la catégorie de ceux que j’appelle les agenouilleurs, dont le propos ne fait qu’enfermer les personnes. Le genre de lecture que vous pouvez sans aucun doute vous épargner.
Quelques sources/références qui ont orienté ma réflexion :
· Adin Steinsaltz, La Hagada. La Pâque juive expliquée à tous, Albin Michel, 2013.
· Daniel Marguerat (dir.), Introduction au Nouveau Testament , Labor et Fides, 2008.
· Daniel Marguerat, Vie et destin Jésus de Nazareth, Seuil, 2019.
· Jean-Louis Ska, L’Ancien Testament expliqué à ceux qui n’y comprennent rien ou presque, Bayard, 2021.
· Marc-Alain Ouaknin, l’esprit du Talmud : L’esprit du Talmud avec Marc Alain Ouaknin – YouTube
· Michael Langlois, Le texte de Josué 10, une approche philologique, épigraphiques et diachronique : Langlois_2011_Le_texte_de_Josue_10.pdf (uzh.ch)
· Rob Bell, Trampoline, Farel éditions, 2007.
· Rudolf Bultmann, Nouveau Testament et mythologie, Labor et Fides, 2013.
· Thomas C. Durant, Dieu la contre-enquête, humenSciences, 2022.
· Thomas Römer, Jean-Daniel Macchi et Christophe Nihan (éd.), Introduction à l’Ancien Testament, Labor et Fides, 2009.
[…] soit réellement passée comme écrite dans les hagiographies christiques, ce que je ne crois pas (à ce sujet lire cette ancienne chronique). Le Pape ramène ici le récit d’une expérience individuelle, sonnant certes déjà un peu […]
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[…] rien ne dit encore que ce qui est décrit dans la Bible fait œuvre de témoignage historique. Comme je l’ai déjà dit dans un autre retour de lecture, les évangiles sont des hagiographies et non des biographies. En cela, je rejoins Michel Onfray : […]
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[…] dimanche 22 décembre, comme en 2022, je me suis rendu à la fête de Noël de l’Armée du Salut. Comme en 2022, mes enfants […]
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