« L’ordinaire mérite beaucoup plus d’être mis en avant » – Mickaël

Alors que j’avais envie de mettre en avant d’autres parcours que le mien, j’ai proposé à mon ami Mickaël de faire office de cobaye : il fallait qu’il m’accorde environ deux heures de son temps afin de me parler de lui, de répondre à mes questions. Il a très gentiment et rapidement accepté. C’est un plaisir de pouvoir publier quelques morceaux choisis de cette entrevue qui décrivent si bien un ami qui m’est cher et sur lequel je prends exemple à bien des égards. Bien plus, ce portrait (et ceux qui suivront) est aussi une manière d’apporter un autre regard sur la spiritualité de manière plus large. C’est aussi une façon que j’apprécie de considérer la manière dont ce concept en apparence assez vague qu’est « la foi » peut s’exprimer de manière différente de celle que je propose dans mes esquisses ou dans mes chroniques. Merci à lui de s’être prêté à l’exercice.

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Mickaël est mon ami et il m’inspire beaucoup. Il a 33 ans. Bien que très différent de moi, il porte un regard similaire sur la vie en ce qu’il se laisse toucher par de simples choses ordinaires. Cela se matérialise dans ses goûts, dans ses relations de même que dans sa spiritualité. Lui et moi nous connaissons depuis quelques années. Nous faisons (quand on y pense) de la musique ensemble, avons collaboré en addictologie, et aimons tous deux la culture locale et nos terroirs respectifs. Pendant un temps, nous fréquentions même tous les deux l’Armée du Salut. Si ni lui ni moi n’arrivons à remettre un souvenir sur notre première rencontre, nous constatons simplement que nos chemins se sont passablement croisés lors des dix dernières années, et ce, via plusieurs canaux : travail, spiritualité, loisirs, culture. Ce dont nous nous souvenons toutefois, c’est de nos discussions insomniaques par écrans interposés : de longues nuits à refaire le monde. Pour ma part, même si je sais que c’est objectivement faux, j’ai le sentiment de l’avoir toujours connu.

J’ai une image de Mickaël comme celle d’un homme simple, qui s’inspire du réel, du concret, avec une teinte très marquée de nostalgie. Il aime voir ce qui se vit autour de lui, et le retranscrit dans ses textes avec beaucoup de poésie et de sensibilité. Je ne sais pas s’il écrit bien, mais en tout cas il écrit juste. Et je l’admire pour cela entre autres choses. Lorsque je lui demande quelles sont ses sources d’inspiration, sa première réponse est simple, à son image : sa famille et ses amis. Mickaël s’est entouré de personnes qu’il trouve admirables.

« Dans les figures que j’admire il y a mes parents. La plupart des gens qui me sont proches en fait. Parce qu’entre mes amis et ma famille, j’ai un cercle de gens admirables. Ils ont tous une individualité propre, ce sont des gens géniaux. Par exemple, les discussions qu’on peut avoir jusqu’à pas d’heure me font clairement monter des marches d’escalier dans la réflexion. »

Mais, s’il faut citer des artistes, alors sans surprise il cite Pascal Bouaziz.

« Il arrive à mettre en parole des vies ordinaires, et je trouve ça beau. C’est quelque chose qui me poursuit depuis ma petite enfance. Je pense que l’ordinaire mérite beaucoup plus d’être mis en avant. C’est facile d’admirer Elon Musk. Mais pour admirer ce qu’on a chaque jour ça demande un effort de conscientisation. C’est moins évident d’admirer sa mère qui fait à manger chaque jour. »

[…]« Il y a aussi Joseph Ponthus, pour les mêmes raisons que Pascal Bouaziz. C’est un gaillard qui a décidé de trouver de la poésie dans les travailleurs d’usine. J’ai aussi une très grande admiration pour Dostoïevski. Lui je pense que personne ne l’égale pour décrire le fonctionnement des esprits humains et des rapports sociaux, sans avoir fait des études statistiques et tout le bordel tu vois. Instinctivement, il arrive à mettre des mots sur des quantités de sentiments et d’émotions qu’on a tous ressentis une fois ou l’autre de manière assez admirable. Et après il y a les mecs comme Bukowski ou John Fante, qui sont un peu des « loosers magnifiques ». […] Mais moi je trouve que c’est important d’être un looser. Des grandes choses on est probablement tous capables d’en accomplir, mais pour un Steve Jobs qui a « réussi » combien ont raté leur création d’entreprise. Donc il faut qu’on arrive à tirer notre fierté dans l’accomplissement qu’on est capable de mener à bien. Du coup, on est un peu tous des loosers… finalement réussir ou pas quelque chose c’est un peu du hasard. »

Cet amour de l’ordinaire, Mickaël l’a développé à travers son terroir et son terreau familiale, à l’image des liens avec son grand-père. Un grand-père avec qui il a passé du temps, et qui lui a appris à s’intéresser à ce qui l’entoure de près comme les arbres et les oiseaux : encore une fois la simplicité dans toute sa saveur.

« Mes grands-parents c’est des gens avec qui j’ai passé énormément de temps. Il me semble que je suis né juste après que mon grand-père soit arrivé à la retraite. Il était encore en bonne forme du coup il voulait faire des choses avec son petit fils. Les deux (avec sa grand-mère) m’emmenaient souvent promener et ils m’apprenaient plein de trucs. Ils avaient des sacrées connaissances sur le monde qui les entoure : les noms des oiseaux, des fleurs. Il me racontait l’histoire Suisse, l’histoire de ma région. J’ai de loin pas tout retenu, mais ils m’ont appris à m’intéresser à ce qui m’entoure. Et comme c’est des gens qui ont un long parcours de vie, ils ont beaucoup de choses à raconter. Et en plus, leur époque ne ressemblait pas à celle de maintenant. Quand ils étaient enfants, dans le village de ma grand-mère, il y avait peut-être deux voitures. D’ailleurs, ma mère a retrouvé il n’y a pas longtemps un article sur le premier accident de voiture par chez nous. C’était le médecin qui était dans la voiture, du coup il est mort… parce qu’il n’y avait pas de médecin pour le soigner. »

Il se développe aussi dans sa famille, avec laquelle chaque année, il fait la choucroute avec les choux du jardin, ou qu’il retrouve simplement autour de repas familiaux le dimanche. Repas que sa famille ne rechigne pas à partager avec d’autres personnes. J’ai moi-même eu la chance de profiter à quelques reprises de la cuisine de sa maman qui connait mon amour de ce que l’on appelle les « bas morceaux ». Elle n’a pas hésité à m’inviter lorsque le boucher avait un cœur de bœuf en rab. Il a grandi dans la simplicité donc, mais également dans l’ouverture à l’autre.

« L’amour du prochain, c’est du faire. Aimer c’est faire. Ce n’est pas aller vers l’autre pour le convaincre de quoi que ce soit, mais c’est aller vers lui avec un comportement d’ouverture et respectueux. Beaucoup parlent de charité chez les chrétiens aussi. Tu vois on dit de ne pas faire aux autres ce qu’on ne veut pas qu’ils fassent pour nous. Pour moi l’idée c’est de faire pour les autres ce qu’on veut qu’ils fassent pour nous. Entre ne pas faire et faire il y a une différence fondamentale. Dans une des deux visions tu es amené à l’action. Ce qui ne veut pas dire que je me jette à corps perdu dans toutes les ONG. Mais dans mon entourage proche, dans mon champ de connaissance, c’est ça faire preuve d’amour. Et par un comportement d’ouverture et de respect donc, on peut apporter des choses autour de soi. Que cela soit spirituel ou non, ça on s’en fiche. »

Mais, il a aussi développé son amour de l’ordinaire et de la simplicité à travers une particularité : il est malentendant, comme son père et son frère. Mickaël porte deux appareils auditifs. C’est donc naturellement qu’il a adopté une posture d’observateur.

« Ça a beaucoup forgé ma façon d’être au monde tu vois. Du coup t’es moins tolérant au bruit par exemple. A cause de ça je me suis trouvé souvent en retrait, parce que tu demandes aux gens de répéter une fois, deux fois, et après ça devient gênant de demander plus. Finalement tu te sors de la conversation tout seul. Ça a fait de moi quelqu’un d’observateur. Ce qui est marrant avec ses histoires de surdité, c’est que je réalise que je crois avoir une bonne faculté d’écoute (c’est vrai). C’est ironique, puisque j’ai des oreilles qui vont mal. Là ou d’autres ont des oreilles qui fonctionnent mais ne savent pas écouter les autres.

Spiritualité

Comme pour chacun, c’est donc avec ce qu’il est qu’il faut aborder la spiritualité de Mickaël. Pour rester sur la question de la surdité, c’est un sujet pour lequel beaucoup de personnes ont prié pour lui. Il a fréquenté pendant de nombreuses années le milieu évangélique, où beaucoup croient à la guérison miraculeuse.

« Quand j’étais petit, et par la suite aussi, quand j’étais à JEM (Jeunesse en mission) par exemple, beaucoup de gens ont prié pour moi, pour la guérison de l’ouïe. Mais en fait, je n’ai jamais guéri selon ce qu’eux priaient. Mais au final, c’est comme tout : une fois que tu acceptes ce qui est, ça se passe vachement mieux. »

Il a fréquenté par la tangente les milieux charismatiques. Mais, il a été très ancrée dans une paroisse de sa région dans sa jeunesse, dans laquelle il allait avec ses parents : une petite communauté affiliée à l’Armée du Salut. Pourtant liée à un mouvement d’ampleur nationale et internationale, la paroisse qu’il fréquentait, qui n’existe plus aujourd’hui, était marginale dans le paysage salutiste. Par sa géographie d’abord puisque le Val-de-Travers n’est pas coupé du monde, mais un peu plus éloigné des grandes villes du canton. Aussi dans sa vision du monde, plus « rurale » et plus ancrée dans son terroir. Alors que les autres jeunes salutistes de Suisse romande développaient une expression de foi plus uniformisée et exaltée, Mickaël lui s’ancrait dans le concret et dans le réel de son contexte de vie.

« Le message des évangiles, je le reçois plutôt bien. J’ai l’impression de comprendre ce que Jésus essaie de nous dire, et de nous faire faire avec le monde, dans l’amour du prochain et le pardon. Du coup, je pense que j’ai aussi beaucoup compensé une absence de mysticisme en me disant que ma relation avec Dieu, c’est ma relation au monde. C’est ce que j’applique. Ça me permet d’être bien dans le monde dans lequel je me trouve. »

Je lui demande de définir Dieu :

« Je n’arrive pas à mettre des mots là-dessus. Une des choses qui vient avec la rationalisation du truc, c’est que dans la mesure où c’est quelque chose d’inconcevable, si c’est tout et au-delà, ça fait que ça ne sert à rien de le concevoir. Et du coup, tu n’essaies pas d’avoir une relation avec quelque chose que tu n’arrives pas à encadrer dans ta tête. Finalement, c’est un peu ce que j’ai décidé de faire : je ne vais pas réussir à concrètement mettre une forme là-dessus. Evidemment qu’il me vient l’image d’un personnage quelque part par là-haut, mais juste parce que mon cerveau en a besoin. Mais en définitive ça pourrait être n’importe quoi. Ce qui m’intéresse plus, c’est ce qui se passe dans l’enseignement de Jésus. Je dirais que je me sens plus proche de Jésus que de Dieu. Parce que justement il (Dieu) est trop difficile à cerner. Alors que Jésus, c’est quelqu’un de bien. »

Pour autant, il n’attache pas d’importance à une existence tangible et historique de Jésus :

« Je le considère comme une personne pure. Mais pour autant, qu’il ait existé ou pas, ce n’est pas forcément grave. Mais en tout cas, c’est l’incarnation d’un projet qui s’il était suivi à la lettre permettrait aux gens de vivre dans une bonne entente et de tourner dans le bon sens. C’est ce que j’ai envie de retenir : c’est à quel point le message qu’il transmet est intelligent. […] J’ai l’impression d’avoir compris ce qu’implique l’amour du prochain et le pardon. J’ai le sentiment qu’énormément de gens souffrent de ne pas réussir à pardonner et à être pardonné. Il y a ce truc dans les mangas des fois : des gens qui ont fait du mal et finalement le héro ne leur en veut pas. Mais la personne est tellement en détresse avec elle-même qu’elle entre dans un cycle de détestation d’elle-même pour faire encore plus de mal. Pas mal de gens réagissent comme ça : ils ont été blessant et ce n’est pas grave ça arrive. Mais elles porteront le poids de ça car elles ont l’impression d’être impardonnables. C’est pour ça que le pardon c’est bon. C’est un essentiel pour pouvoir s’aimer soi-même déjà, surtout dans une époque où on se met en avant comme la nôtre et ou en général ça va de pair avec une détestation de soi, ou au moins un manque de confiance. Tu ne peux pas vivre des relations optimales avec les gens qui t’entourent si déjà tu ne t’aimes pas toi-même. Car ça veut dire que tu ne fais pas assez confiance dans les autres pour discerner les qualités qu’ils voient chez toi. Du coup, le pardon c’est un essentiel pour moi. »

Religion

La spiritualité de Mickaël s’ancre dans son vécu, et par extension dans son expérience religieuse. Comme je l’ai décrit plus haut, il fréquentait avec sa famille une petite paroisse « rurale » de l’Armée du Salut dans sa jeunesse.

« Je suis arrivé à l’Armée du Salut parce que mes parents allaient là-bas. Enfant, j’ai suivi. C’était sympa. Et c’est là que j’ai appris le plus grand de ce que je connais de la Bible, car je retiens bien les histoires. D’ailleurs la première fois que j’ai lu la Bible je devais avoir 20 ans. Et comme j’avais une bonne mémoire de tout ce qu’on me racontait, ben je compensais dans les discussions avec les autres sur la Bible par les souvenirs de ce qu’on m’avait raconté. D’ailleurs ça avait choqué un gaillard quand j’étais parti à l’école de disciples à JEM parce que pour eux ça semblait naturel d’avoir lu la Bible. C’était pas normal pour mon responsable. Ils avaient un truc qu’ils appelaient les one and one, et le but c’était que je me confie à lui. Et dans la discussion je lui ai dit que je n’avais jamais lu la Bible. Pour lui c’était inconcevable de partir faire une école de disciples sans avoir les bases. Mais j’ai l’impression que si t’écoute ce qu’on te dit, tu peux ressortir pas mal d’éléments. Par la suite, j’ai lu la Bible par moi-même pour développer mes propres idées. »

[…]« Du coup j’ai fréquenté l’Armée du Salut depuis petit jusqu’à il y a quelques mois quand le poste que je fréquentais a fermé. Avant cela, j’ai arrêté d’y aller il y a quelques années, simplement parce que je n’avais pas envie de me lever le dimanche. Et les six dernières années, j’y allais pour faire la garderie des enfants pour rendre service. Les prédications me parlaient moins, et du coup avec le changement de pasteur, j’ai un peu perdu de mon ancrage. »

C’est dans cette église que Mickaël recevait ce qu’il appelle sa nourriture spirituelle : une matière à réflexion pour pouvoir penser sa vie et penser le monde. C’est en cultivant la réflexion et la remise en question de soi qu’il grandit intérieurement, et non en adhérant à tel ou tel dogme. Il se nourrissait des rencontres et côtoyait beaucoup de personnes dites marginales.

« J’appréciais aussi d’aller là-bas parce que j’étais confronté à d’autre profils. Dans mon village l’Armée du Salut prenait un peu de son sens parce qu’il y avait beaucoup de gens seuls et en marge. Alors ces gens m’apportaient un autre regard sur le monde que celui de la norme chrétienne. Et sur la fin c’est plus ça qui a pris le pas sur mon intérêt à y aller. »

Et contrairement à beaucoup de jeunes de son âge qu’il rencontrait dans les camps ou les événements romands de l’Armée du Salut, il ne trouvait pas sa voie dans une expression de foi plus exaltée et uniformisée.

« Une fois je suis allé dans un camp d’ados de l’Armée du Salut, j’avais 15 ans quelque chose comme ça. Ils ont commencé à nous parler des dons spirituels, qu’il y a des gens qui chantent en langues, qui tremblent, qui crient. Mais même avec toute la bonne volonté du monde, je n’ai jamais réussi à entrer là-dedans. Ça ne venait pas, même quand j’essayais. Alors quand t’as 15 ans tu te poses des questions : est-ce que je ne suis pas assez bien pour ça ? Est-ce que Dieu existe vraiment ? Bon ben moi, le chemin que j’ai choisi c’est que j’ai l’impression d’être quelqu’un de plutôt rationnel, et le message des évangiles me parait assez terre à terre finalement. »

S’il peut porter un regard critique, rationnel et terre à terre sur lui, le monde, la religion et la spiritualité, c’est grâce à l’expérience de l’école de disciples qu’il a suivi avec Jeunesse en mission. Cela lui a permis de commencer à penser par lui-même.

« Le virage charismatique n’a pas trop pris dans mon église, contrairement aux rassemblements de jeunes, ou à mon expérience de JEM. Moi je n’y suis pas allé pour être un disciple ou pour faire de l’évangélisation, j’y suis allé pour apprendre l’allemand en fait. Et comme mon oncle bossait pour JEM, il m’a proposé d’aller à Berlin parce qu’il y avait une base là-bas. Alors j’en ai profité. Mais en soi, aller parler de Jésus aux gens dans la rue, c’est un truc que je ne comprends pas spécialement. Outre le fait que je suis d’une timidité maladive avec les inconnus, aborder des gens qui n’ont rien demandé pour leur demander s’ils connaissent Jésus, c’est un peu désincarné. Et il n’y a pas mieux pour foutre les pieds dans le plat.

[…] Du coup, je savais pas trop ce que je faisais là-bas (à Berlin), tout comme je savais pas trop ce que je faisais dans ma vie. Alors j’ai débarqué là-bas, on était dix jeunes. Le cadre était assez cool : Berlin-Est, assez alternatif, et globalement c’était tous des gens super. Mais premièrement j’ai réalisé que je n’aimais pas du tout la vie en communauté. T’as jamais d’intimité et ça vraiment je n’ai pas aimé. Et le truc c’est aussi que je passais énormément de temps sur l’ordinateur parce que je n’avais pas le sentiment d’être à ma place, ou en tout cas que je voulais pas recevoir ce qu’eux essayaient de me donner. Alors oui il y a eu des moments de rire et des bons souvenirs comme le contact avec les gens, mais spirituellement je n’ai pas reçu grand-chose. »

[…] Et j’ai pas appris grand-chose par rapport à ce que j’ai appris avant. Et bon il y a eu des moments assez glauques. Je me rappelle qu’une fois on a dû passer dans une pièce pour se présenter devant un pasteur. Ça devait durer le temps que ça devait, et en gros fallait lui dire tous nos péchés, tout ce qu’on avait dans la vie qui ne joue pas. Et ensuite le mec te posait ses immenses pates sur les épaules en hurlant. Et en plus c’était super gênant, car le pasteur avait un assistant qui lui faisait la traduction. Du coup je devais dire à un mec des trucs gênants sur ma vie avec un deuxième type qui écoutait et traduisait… c’était glauque au possible.

[…] Je me souviens aussi m’être fait recadrer assez sévèrement parce que j’avais demandé si les démons pouvaient être sauvés. Alors j’ai demandé comme ça si l’un d’entre eux allait demander pardon à Dieu, pourquoi ne pourrait-il pas être sauvé ? Et ça n’est pas bien passé, on m’a dit que si je commençais à réfléchir comme ça c’est que j’allais me faire posséder par le malin.

[…] Après cette expérience, j’ai pu bâtir les fondations de ma façon de réfléchir par rapport à ma spiritualité. Et depuis mes 20 ans et la période post-JEM, j’ai une approche plus philosophique et rationnelle.

[…] J’avais un ami qui était à fond dans la foi, la prière et tout ça. Ce mec fréquentait une petite église, et à l’époque il priait pour qu’une fille tombe amoureuse de lui. Evidemment ça n’a pas fonctionné. Et d’un jour à l’autre il s’est consacré à son église et il est comme devenu moine, il a disparu de la circulation. Et ça pour moi c’est occulter le message des évangiles dans le lien au monde, aux autres, etc…. Mon but n’a jamais été de convaincre quiconque de quoi que ce soit. Mais on discute, les gens comprennent ma vision des choses, je comprends la leur, et on fait naître chez les uns et les autres des questionnements, peu importe où ils aboutissent. Juste parce qu’on est ami, on s’écoute parler des choses qui sont importantes pour nous, et c’est valable qu’on soit chrétien ou non. Mes amis accueillent ce que je vis, et j’accueille ce qu’ils vivent. L’expérience de ce copain ça a confirmé ce que j’avais déjà pris comme route après mon expérience à JEM.

[…] Après JEM, j’ai aussi compris que La place ou je veux être, c’est d’être là où il y a les gens que j’aime. 

Eloge de la simplicité et du lien à l’autre

Mickaël, c’est donc l’incarnation de l’éloge de la simplicité. Un homme qui ne refoule pas ses émotions, mais qui pour autant ne construit pas sa spiritualité sur ses affects. Un homme qui a su tirer des leçons et avancer avec l’expérience religieuse qu’il a traversé pour développer une spiritualité qui lui est propre. Une personne qui ne se gave pas bêtement des préceptes qu’on lui aurait inculqués et qu’il répèterait sans réfléchir. Parce que simplicité ne rime pas avec absence de remise en question. S’il a pu se développer dans ce sens, c’est aussi grâce aux membres de sa famille qui gardaient les pieds sur terre et qui l’ont toujours écouté malgré son éloignement progressif de l’église.

« De base dans ma famille, on n’a jamais cherché à faire de nous des gens qui suivent aveuglément. Mon père m’a toujours dit que ce qui est hyper important dans la spiritualité, c’est de douter et de ne jamais accepter les choses tel qu’on nous les donne. […] Dans ma famille, j’ai toujours eu le sentiment d’être entendu et que mes positions étaient considérées Mon père aussi aime qu’on lui donne matière à réfléchir comme moi. Ma mère est plus terre à terre, peut-être moins philosophe. […] Du coup, il n’y a pas eu de rupture avec ma famille. Je me suis certes éloignée de l’église, mais de manière assez naturelle. Des fois tu fais la bringue le samedi soir et tu ne veux pas te lever le dimanche. Et au bout d’un moment tu finis par sortir du truc. Et aussi, la plupart des évènements ou j’allais, ça ne m’apportait pas grand-chose. J’avais l’impression de ne jamais être à ma place, surtout quand j’allais en ville. Il y a quand même un dualité « campagnard-citadin », et souvent ces groupes ce sont des mécaniques très huilées ou tout le monde est très intégré et soudé. Et du coup t’as du mal à te faire une place dans le groupe, ce qui est normal. Mais il y avait aussi une uniformisation dans laquelle je n’entrais pas. Et puis un moment il faut dire les choses : ces moments de louange ou tu chantes pendant une heure cinq chants, ça me faisait chier. Je n’ai jamais trop aimé ce truc ou tout est très carré dans la façon de penser, où on te recrache des discours, sans pour autant se demander pourquoi. Tu ne dois pas faire l’amour avant le mariage… Pourquoi ? Personne ne m’a jamais donné de réponse. C’est un exemple parmi d’autres. »

Cette simplicité, il la trouve dans le lien qu’il crée et qu’il soigne avec l’autre, à l’image de son grand-père :

« Mes grands-parents ne se contentaient pas de raconter des trucs. Ils avaient aussi des leçons à nous donner sur le comportement à avoir avec les gens qui nous entourent. Il y a évidemment des trucs un peu archaïques que je laisse de côté, comme des règles de politesse qui sont un peu devenues obsolètes. Mon grand-père il était responsable du bureau de poste villageois, et à cette époque il y a certains gains pécuniers que les facteurs amenaient chez les gens. Et à chaque fois ils se faisaient offrir un verre et finissaient tous ronds comme des queues de pelle au milieu du village. Alors mon grand-père il devait aller les chercher dans la brouette tu vois. Et il m’a expliqué qu’il avait un facteur qui était particulièrement alcoolique. Il aurait très bien pu le convoquer dans son bureau, lui faire un sermon, le virer et puis basta. Mais non, lui il l’a invité à la maison pour manger, pour lui demander ce qui n’allait pas, comment ils pouvaient l’aider. Et pour moi ça c’est un exemple. C’est pour ça que j’ai une certaine admiration pour mes grands-parents. Ils ont souvent fait du mieux qu’ils pouvaient pour aider les gens autour d’eux. En tout cas ils étaient humains. Et mes parents aussi, j’ai le même rapport. C’est des gens qui ont une dévotion à l’autre qui est admirable. Je ne pense pas qu’un jour j’aurai la patience qu’ils ont. Mon père allait tout le temps rendre visite à des personnes qui venaient à l’Armée du Salut qui étaient en situation de handicap. Il allait réparer le téléphone, la télé, aider comme il pouvait. C’est aussi une façon de mettre en retrait ses propres envies pour donner du temps à l’autre, et je trouve ça beau. »

Mais la simplicité, c’est aussi vivre avec peu et bien dans ses baskets comme me le dit Mickaël. Et cela transparait dans son rapport au travail. Après une licence en sociologie, il travaille aujourd’hui dans une scierie de sa région.

« L’usine, c’est un travail ultra chiant et répétitif. Mais il y avait un truc qui m’avait marqué, c’est que moi je savais que je n’allais pas y rester à l’usine. Mais t’avais des gens, ça faisait déjà quinze ans qu’ils étaient là, et ils allaient finir leur carrière là. Un jour il y avait une petite dame d’une soixantaine d’année, et qui est revenu du weekend avec un grand sourire. Et elle nous a raconté le weekend qu’elle avait passé avec ses petites filles. Je trouve ça hyper beau, car c’est là-dedans qu’elle trouvait sa raison d’être et pas dans son travail. Parce qu’il y a aucune raison à trouver là. Tu fabriques des pièces de montre, mais tu ne sais pas fabriquer une montre… quel intérêt.

[…] Moins je travaille, mieux je me porte. J’ai mis des années à trouver ce que je voulais faire, et d’ailleurs je ne sais pas encore vraiment. Mais je réalise que ce qui m’intéresse c’est d’avoir du temps libre. J’ai trouvé un travail à 60% dans une scierie, et la mon métier c’est de la manutention, c’est de porter des trucs et de les couper pour faire des planches et des carrelets. J’ai découvert que j’aimais bien faire des trucs répétitifs, parce que ça me permet de penser à autre chose : la vie, des projets artistiques, des textes… ça me permet de laisser mon esprit vagabonder sans risquer la vie de qui que ce soit. Je ne pourrais pas faire ça si j’étais pilote de ligne tu vois.

[…] J’ai quand même toujours du mal à comprendre comment on a pu accepter d’allouer autant de temps de notre vie à du travail. Se lever aussi tôt, déjeuner en ayant la tête dans le cul, prendre la voiture en ayant la tête dans le cul, arriver au travail en étant encore fatigué et boire une quantité astronomique de cafés pour finalement commencer à émerger vers 10h. Et puis finir aussi tard. En hiver, tu pars il fait nuit, tu rentres il fait nuit. Alors si t’es passionné par ce que tu fais c’est super. Mais c’est fou comme on donne beaucoup trop de temps à cela. Moi je trouve cela beaucoup plus précieux tout le reste. Quand t’es parent tu veux passer du temps avec tes enfants, c’est normal. Réussir à rendre le meilleur projet pour un rond-point en ville ça ne remplace pas d’avoir vu les premiers pas de ton gamin. »

Je suis heureux d’avoir un ami comme lui, qui me rappelle ce qui est important pour moi aussi : avoir du temps pour les personnes que j’aime, pour mes enfants spécialement, trouver mon bonheur dans les choses simples qui m’entourent plutôt que de succomber aux appels futiles. Aimer et admirer ceux qui me sont proches.

Pour continuer à sentir la personne qu’est Mickaël, voici deux liens vers des morceaux que nous avons enregistrés il y a longtemps. Les deux fois, nous nous sommes retrouvés avec une amie harpiste de Delémont. Les deux fois, nous arrivions sans matière aucune pour terminer la journée avec un morceau quasi fini et enregistré. Pas parfaits, mais dont nous étions contents. Les deux textes de Mickaël le reflètent bien dans sa simplicité, sa contemplation, sa lucidité et sa nostalgie :

https://nuitmusique.bandcamp.com/track/forsythia

https://nuitmusique.bandcamp.com/track/bavures

Merci Mickaël !

 

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