Ça dort dans le bateau – Davide

Je poursuis l’expérience des portraits en recevant à mon domicile Davide. Un ami proche, avec qui je partage une intimité de pensée assez intense. À certains égards, il me connait et me cerne mieux que je ne me connais moi-même. Son parcours n’est pas similaire, mais s’est fait en parallèle du mien : désaffiliation d’avec les milieux évangéliques, divorce, ouverture à de nouveaux courants de pensées, exploration incessante de savoirs et d’idées nouvelles. Il est une grande source d’inspiration pour moi et j’avais envie d’explorer et de partager son parcours. Sans lui, je ne serais probablement pas celui que je suis aujourd’hui. Fantasque et truculent, il l’est. Autant que son esprit est posé. Par moments, j’aimerais lui ressembler un peu plus et avoir le dixième du talent que je perçois chez lui. Acteur, écrivain, musicien, artiste plastique… Je lui accole tous ces qualificatifs. Car comme le dit mon ami Mickaël, j’aime m’entourer d’amis que j’admire. Il m’a accordé plusieurs heures d’entretiens répartis sur deux rencontres.

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L’homme débarque à l’heure prévue. Je lance l’enregistrement. « Tu veux pas qu’on se mette bien là ? Je sais pas, café, quelque chose à bouffer, du pinard. » Je sors de l’amaretto, il roule un joint. C’est l’inspiration de David Lynch : fumer des clopes et boire du café. Il voulait me ramener des saucisses sèches, mais il a oublié. Je lui explique qu’il pourra tout relire pour valider son portrait… « je vais devoir me farcir tout ton truc là ? Non, je te fais entièrement confiance Jérôme. Tout est entre tes mains. J’ai ma tête entre tes cuisses« . Je fais quelques jeux de mots nullissimes et il rit à gorge déployée. C’est bon. On est bien.

« Je me demande bien quel est l’intérêt de toutes ces merdes que je vais te dire !« 

D’emblée, je prends Davide à partie car je considère qu’il y a dans son propos quelque chose de profond. J’ignore ou il m’emmènera, mais je me laisse guider. D’emblée, il évoque la posture socratique : il est complètement fou de s’engager sans se dire à un seul moment que peut-être, on est con. Nous sommes tous engagés dans ce que l’on fait. Cependant, il faut y être engagé en se disant que peut-être, on est con. Peut-être que l’on se trompe. De plus, la rhétorique qui consiste à ponctuer sa position avec un « peut-être que je suis con, mais je pense que… » est un outil utilisé à tort pour faire passer son absolu croyance. « Quand un mec te dit qu’il préfère être con et croire ce qu’il croit, en fait, il te crache à la gueule et ferme la discussion. Moi, ce genre de discussions, je ne veux plus les avoir. Ça suffit. » Il y a la conscience d’être con, et il y a le fait de le mettre sans arrêt en avant sans pour autant s’en saisir à bras-le-corps. Cette posture-là, de ne pas réfléchir et de se croire dans la vérité, Davide l’a porté jusqu’à ses 25 ans.

Depuis, il n’a cessé d’évoluer. Ce processus de réflexion s’étale sur des années. « Tu ne te lèves pas un jour en te disant putain ce que je suis débile ». Il y a eu des cycles dans le chemin parcouru. Un jour une ouverture se fait, une possibilité prend forme. On s’engage dedans sans savoir réellement ou cela nous mènera : un peu à l’image de cet entretien. Dans ce parcours, la prise de conscience d’être convaincu de ce que l’on croit s’ancre et les ouvertures se multiplient. Davide entre dans la religion à l’âge de six ans, lorsque sa mère se convertit à Jésus et à l’évangélisme. Depuis là, il fréquente des églises évangéliques. Assez naturellement, on lui a transmis une bible illustrée, qui probablement serait pour lui comme une madeleine de Proust s’il en voyait les dessins aujourd’hui. Sa mère était convaincue, croyante et très spirituelle. Mystique même. Elle l’est toujours. C’était une spirite qui vivait/vit avec l’idée que le diable et les anges existent, et qu’un combat spirituel a lieu dans le monde invisible. « Alors, j’ai lu la bible par ce prisme. Du coup, il y a des histoires qui m’ont intéressé plus que d’autres. Et le livre de la genèse est ce qui m’a fait sortir de l’évangélisme en fait ». En cherchant des informations sur le sujet, il se frotte au fait qu’il existe plusieurs créations et plusieurs traditions dans le même bout de texte. Parce qu’il y a plusieurs écrivains : cela transforme progressivement son rapport au texte. Cette pluralité lui ouvre les portes de mondes nouveaux. « À l’époque j’avais pas de livres, Internet n’était pas aussi vaste, et je n’avais que la parole d’un pasteur évangélique qui me dit que le texte veut dire ci ou ça. Je n’étais pas universitaire. Donc, je suis un peu limité par rapport à ça. Tout à coup, je trouve un bouquin et puis un autre…« . Baignant dans une vision unilatérale, il entre dans une vision beaucoup plus large. Il entre en fait dans une dynamique : le texte est obscur, il révèle ses secrets non pas à la première lecture, et non pas non plus à celui qui veut en faire des certitudes. « Le texte est hermétique car il demande des clés. Et, les clés ne sont pas données à celui qui y cherche des certitudes. Alors moi, j’étais dans des certitudes parce qu’on m’avait dit qu’il fallait les avoir : le sang de Jésus, donner sa vie à Dieu, la petite prière…« . Les différentes bornes allumées étaient ce qui donnait accès au royaume des cieux, sans qu’il n’y ait aucun pouvoir de transformation intérieure. Ce texte de la genèse lui a fait sortir la tête de l’eau et lui a fait prendre conscience que tout lui était encore caché. Enfin, les processus de travail internes commencèrent à tourner à plein régime.

Par ailleurs, il y avait chez lui l’envie de foutre le camp. L’envie de vivre sa vie et ses passions. Ses passions au sens des choses qui nous appellent et non au sens des choses qui nous dominent. Sa redécouverte de la genèse est donc un pied dans une porte entrouverte. « Si déjà dès les tout premiers mots de ce truc (la Bible) que j’ai lu pendant si longtemps, il y a tant de diversité et de possibilités de lecture, ça veut dire que le reste, très probablement, il y a des choses à découvrir. Alors j’ai commencé de m’intéresser à autre chose. » Quand on est toute sa vie dans un bain, que toute la vie se replie sur elle-même, dans des crédos qui font sens, c’est une démarche difficile. Toute une structure psychique dépend de cela. « Je me gardais sous le coude des trucs un peu tiède dans un premier temps, pour y aller un peu graduellement. Peut-être par manque de courage ou par peur. Mais, tu vois, je suis aussi marié à ce moment-là avec mon ex-femme. J’ai des enfants, je suis engagé. Tout mon être est engagé avec la foi évangélique. Du coup, c’est difficile de s’en sortir. » Il découvre une richesse qui lui était alors interdite. Cette envie de foutre le camp trouve un écho dans l’histoire de Samuel qui entend la voix de Dieu (1 Samuel 3, 1-10) : « J’avais une intuition que cette histoire, c’était moi… alors, je me suis forcé à entendre la voix de Dieu, à toujours essayer d’être proche de mon intuition, de ces trucs que tu entends à l’intérieur. Je faisais ça tout le temps : j’essayais d’être une antenne. Ça met énormément de pression, c’est hyper violent. Tu dois être dans la performance tout le temps. Alors moi, je suis dans la performance depuis mes 15 ans. Je vis une adolescence remplie de culpabilité, presque en burnout de toujours devoir produire des paroles pour les autres. »

Les tempéraments créatifs auront peut-être tendance à entendre plus la « voix de Dieu », et Davide ignore que faire avec ça. Un mouvement purement humain se fait, un mouvement de croissance. Et le corps de Davide veut s’extraire d’une sorte de prison : tous les dimanches, avec toujours les mêmes personnes, à entendre toujours les mêmes textes et en tirer toujours les mêmes conclusions, sur les mêmes intonations, créé autour de lui un cloître dans lequel ses passions ne peuvent plus s’exprimer par manque de place. Jusqu’au jour où une personne, chrétienne et ingénieur du son, lui posera la question du son et de ce qu’il entend quand il écoute. « Pendant des années, je sais pas quoi foutre avec le fait d’entendre la voix de Dieu. Et tout à coup, quand le mec me demande comment j’entends le son, est-ce qu’il est poreux, est-ce que c’est du papier, est-ce que c’est rond, alors là mec, je fais le lien. Je fais le lien avec ce qui m’attire dans ce texte de Samuel. J’entends la voix de Dieu. Elle est dans la musique, dans les sons, dans la composition de ces productions. Ça, ça me permet de décoler, parce que je peux m’accrocher à ça. Et, à partir de là, je rencontre mes amis. Mes vrais amis. Pas les gens du dimanche, tu comprends. Pas les relations d’intérêt. » Le passage se fait d’une transcendance à quelque chose de plus immanent. Davide revient littéralement à lui. Le chemin s’ouvre, le fossé avec les évangéliques se creuse.

« Leur Dieu à eux reste le même tout le temps. Mais c’est pas le divin. C’est une forme, qui est figée comme ça chez eux. Et c’est rassurant de se dire que Dieu est toujours le même quand le monde change, quand il y a des transformations, des bouleversements sociaux et culturels, de se dire que t’es préservé de tout ça parce que Dieu ne change pas. Mais, c’est aussi une façon de se soustraire au réel qui est insupportable. […]Et en même temps, le Dieu qui prend la décision de me damner pour l’éternité et de me foutre en enfer, au même niveau que Hitler, que Mussolini ou un pédophile pour prendre des exemples extrêmes, à cause de mes postures réflexives ou de mes fulgurances, ben si tu veux, ils peuvent se le garder ce Dieu-là. Moi, c’est pas le mien en tout cas. »

La prise de distance est salutaire, mais elle a des effets concrets sur sa vie. Dans la prise de distance avec son cercle sociale, sa famille et certains amis. Mais aussi dans le rôle de père. Son cerveau reçoit une masse d’information importante dans un petit laps de temps. Et, son engagement dans ses nouveaux intérêts se fait à la mesure de son engagement dans la foi jusqu’alors. Il est total. Tout prend beaucoup de place. « Moi, je pense que j’ai été un mauvais mari, j’aimais profondément ma femme, mais je ne savais pas fonctionner en tant que mari. Il y a une complémentarité à trouver, on n’est pas tous un tout dans sa totalité. C’est en trouvant chez l’autre ce pour quoi il est doué et nul que tu peux constituer un tout. C’est pas qu’une question de répartition des tâches, mais aussi de répartition des forces. Les modèles qu’on critique, en fait, c’est ridicule de les critiquer, c’est un peu con. Le problème n’est pas là, il est dans la complémentarité qu’on trouve. Humainement j’étais paumé. Du coup, c’est difficile pour moi de prendre une place de mari et de père. Je comprends seulement à 40 ans ce que c’est qu’être un père de famille. » Les rôles assignés ne lui conviennent pas. Il ne s’y retrouve pas. Ils ne sont ni réfléchis, ni remis en question, ni incarnés concrètement. Il y a une doxa que l’on suit ou que l’on ne suit pas, et il perçoit de la tiédeur dans la manière dont ces rôles y sont décrits.

Il y a aussi une prise de conscience d’un rapport au corps distant. « Je ne savais pas quoi faire de mon corps. Jusqu’à mon mariage, je n’ai pas pu explorer les joies du corps. Quand t’es chrétien, si tu vas te branler, c’est péché et on te culpabilise. Tu vois où est la limite du coup, elle arrive vite. Alors, il y a une question du rapport au corps intime que je n’ai pas eu l’occasion d’expérimenter. Et les chrétiens n’ont pas un imaginaire et une érotique débordante. » C’est logique : va construire une érotique dans une religion ou l’on vénère le corps supplicié et la mère de Jésus est mère vierge.

Jésus dort dans mon bateau

Son regard sur la religion chrétienne d’aujourd’hui, Davide l’illustre par une vidéo TikTok. Celle-ci met en scène une jeunesse chrétienne qui danse en scandant les paroles suivantes : « j’ai Jésus dans mon bateau. Même dans la tempête et même dans les vagues, Jésus lui il dort au fond du bateau ».

« L’idée, c’est quoi : malgré la tempête, malgré les difficultés, malgré tout ce qui peut arriver dans l’existence, tu n’as rien à craindre parce que Jésus dort dans ton bateau. Il dort. Tu comprends, il dort au fond du bateau. Le fait que la posture du Christ soit celle de l’endormissement à l’intérieur du cœur, eh bien ça, c’est réjouissant pour ces personnes. Ils pensent que comme il est là, c’est pas grave que la tempête gronde. Mais les disciples, ils sont apeurés, ils n’ont pas la foi. Ils n’ont aucune posture qui leur permet de faire face à cette tempête, alors ils vont réveiller Jésus. Sitôt qu’il se réveille, la tempête s’arrête. Si tu veux, il y a un raisonnement totalement idiot de penser que c’est positif que Jésus dorme dans le bateau. Alors que c’est précisément parce qu’il dort qu’il y a la tempête. Donc en fait, rien ne va changer. Il n’y a rien qui va changer. Le monde, c’est le bordel total, c’est infini à quel point c’est la merde. Et les types dansent en face du bordel, plutôt que d’adopter une posture autre, de s’élever contre ce qui ne va pas.

Mais, ces types évangéliques là, qui dansent, est-ce qu’ils sont allés avec les gilets jaunes, par exemple ? J’en sais rien. J’en ai pas vu. J’ai jamais vu de types avec des couilles pour oser tenir des pancartes « Jésus est avec les gilets jaunes ». Peut-être, ils se seraient fait virer à coups de pied au cul j’en sais rien. Ce que je vois, c’est des chrétiens qui chantent Jésus est dans mon bateau, et qui sont heureux de voir une présentatrice française qui se met à genoux dans un studio de télévision (Référence à Christine Kelly qui témoigne de son engagement dans la foi en lien avec son travail à CNews). Mais, elle, elle est chez qui ? C’est qui son patron. C’est Jésus, ou ce sont ceux qui font de la propagande d’état ? Moi, je n’ai pas vu d’évangéliques gueuler sur des ronds-points. Quand tu prétends être engagé dans l’existence, tu peux pas juste dire « nous il va rien nous arriver ». Un moment donné, ça va leur péter à la gueule. Alors, je fais peut-être une projection de mon expérience, j’en sais rien. Mais moi, je trouve hallucinant de voir que nombre d’évangéliques ont des trucs qui pètent dans leur vie, et n’arrivent pas à s’en relever ! »

@hillsongyouthfr

Le son « J’ai Jésus dans mon bateau » est enfin disponible sur toutes les plateformes! Le clip arrive dimanche à 18h, en attendant voici notre video à Marseille @C O N O ✝️🎤 @Bigty Celest #tiktokchretien #adorationchretienne #jesustaime #rapchretien #sonchrétien

♬ Jésus dans mon bateau YouthFR – HillsongYouthFR

C’est vrai, j’en connais aussi. Il continue en expliquant que selon lui, c’est justement à cause de cette posture d’endormissement que c’est la tempête. Alors que la sagesse devrait nous inciter à nous dresser en face de la tempête, car lorsque l’on se tient face à ce qui se passe, cela s’apaise. Il faut réveiller en nous-même la position du Christ pour pacifier les choses. Mais, cela demande de sortir du sommeil, et arrêter de scander que Jésus dort au fond de son cœur. Il y a une inversion et l’image est toute trouvée : « lorsque tu roules et que tes freins sont pétés, que tu fonces contre un mur, il faut pas se réjouir que celui qui a la possibilité de réparer les freins dorme au fond de la caisse. » Il y a une inversion totale des valeurs. Pour Davide, cette vidéo est l’expression de ce qu’il y a de pire chez les évangéliques. C’est cette forme-là qu’il a fuie. Sauve qui peut. L’endormissement, compris au premier degré et non de manière métaphorique, c’est la noyade. Rester endormi, c’est se laisser mourir intérieurement.

La logique est inversée dans tous les domaines de la foi car on prend tout le texte biblique au premier degré. Ainsi cette chanson est à la fois représentative de ce qu’il a fui dans la religion, mais aussi de manière générale : comme le texte est lu au premier degré, que Jésus dormait vraiment, qu’il n’y a aucune intervention narrative, aucune poétique, on se dit que c’est vraiment arrivé. Cette lecture au premier degré évacue les symboles de leur puissance et de leur force. Il y a comme un kidnapping de la puissance transformatrice qu’un texte, ici biblique, peut opérer chez les individus. « Il faudrait juste avoir la foi que ça va s’arrêter tout seul, alors que non. Il faut se lever, et être dans une posture concrète. Moi, ça me rend cinglé parce qu’il y a cette lecture au premier degré qui fait chanter des milliers de jeunes qui pensent que c’est fantastique et que c’est un grand pas pour le Christ d’être scandé de cette façon. Il y a une inversion totale. » Davide me le dit tout net : c’est dans la déjection que l’on voit comment la nourriture a été digérée.

Dans un nouveau commencement

Après 25 ans de vie chrétienne zélée, les engrenages de la distance se sont mis à tourner à plein régime. Pour autant, comme déjà dit, cette démarche ne va pas de soi. Elle est même contre-intuitive. Quitter, encore plus après une si longue période, c’est se forcer. Car lorsqu’on abandonne 25 ans de sa vie, de ce qui a contribué à construire la structure psychique que l’on a, on ne peut pas ne rien laisser à la place. En plus de cela, il faut encore intégrer son passé à son parcours et faire quelque chose de ce que l’on a quitté : « il y a la musique qui est restée, ma collection de disques. Et, c’est grâce à cela que j’ai pu rencontrer Vic (un ami soufi). Et ça m’a fait du bien parce que après 25 ans, je ne pouvais pas complètement changer de logiciel. Je reste dans la mystique et la spiritualité. Il y a des altérités qui sont aussi intelligentes, qui réfléchissent et qui permettent de se constituer une structure psychique. Et, moi, pour ma santé psychique, j’ai dû composer avec ce qui m’avait été foutu dans la tête pendant 25 ans. Il faut simplement un peu de mesure. » Cela s’est matérialisé par des angoisses après sa séparation : plus de baraque. Et, il fallait trouver un nouveau travail. Du coup, Davide s’est retrouvé là où il a pu : ce fut d’abord auprès d’autres musiciens et de ses vrais amis.

« Jésus, il n’était plus là. À ce moment-là, je ne comprenais pas du tout comment il allait m’aider. Avant Jésus, c’était ma formule magique : « au nom de Jésus, j’ordonne ceci/cela. Mais, tout à coup, quand tu décides que ta vie, tu la mènes toi-même, que tu n’as pas de baraque ou de taf, ben tu demandes plus à Jésus de te trouver les choses. Et tout à coup, je me suis rendu compte que je me suis reposé sur Jésus toutes ces années, et que là, j’allais devoir m’éduquer. Alors à certains égards, cette expression de foi qu’on m’a filé, elle est problématique. […] J’avais plus besoin de Jésus. Mais, j’avais des amis, tu vois. Des amis qui m’ont hébergé, qui m’ont filé du fric, qui m’ont acheté à bouffer quand j’étais en galère. Par contre, tous ceux qui se sont dit être mes frères et sœurs pendant 25 ans, quand t’es sans thunes, sans taf et sans rien, il n’y en a pas un qui est venu vers moi. Au contraire… Les amis qui m’ont aidé, ce sont ceux que les évangéliques disent qu’il faut fuir. Cherche la logique là-dedans. Les mecs ont probablement prié pour que j’aie tout ce dont j’avais besoin, mais aucun n’a pris à cœur sa responsabilité d’ami. »

Il fallut donc quitter. Extérieurement tout du moins. Intérieurement, et je me retrouve dans son parcours, c’est difficile de tout quitter. « C’est étrange de se désaffilier sur le papier, et de pousser la démarche intérieure jusqu’à couper toute croyance. Tu comprends, un moment donné, les choses, on les a vécues dans notre chair, pendant des années. À titre personnel, ça m’a tellement marqué, physiquement, que c’est impossible de tout abandonner. Il y a une force derrière cette fabulation, et de réussir à croire pour que ça te permette de maintenir une certaine posture. Même derrière la culpabilité un peu tiède, il y a l’idée de courber la volonté, et ça, c’est intéressant. Autant tiède soit-elle. ». Pour autant, il n’a jamais ressenti le besoin de devoir rendre compte à qui que ce soit de l’évolution de ses croyances, de l’état de ses réflexions. Il a fait son chemin, et lorsque je le questionne, il me dit : « Moi, je n’ai jamais voulu échanger avec eux (ses anciens coreligionnaires), parce qu’il me semble qu’eux n’ont pas grand intérêt, dans leurs certitudes, à savoir comment moi je pense les choses. S’ils me demandent ce que je fais, et que je leur réponds que je fais des masques, que je me questionne sur les représentations de la mort… tu comprends, ça ne va pas forcément les intéresser. […] Mais, si tu veux, eux doivent sûrement pas comprendre qu’on puisse se sentir enfermé dans leurs croyances. Ils y voient une liberté, et du coup, c’est très difficile de dialoguer. Je ne suis pas sûr que ce soit très utile, ni pour eux ni pour moi. » Cette absence se creuse aussi à mesure qu’une lecture symbolique et allégorique des textes remplace la lecture littérale, au premier degré : « S’ils viennent en avant avec des questions eschatologiques, ça devient difficile de dialoguer. Les histoires de bête, d’antéchrist et tout ça, quand toi, tu commences d’adopter une lecture allégorique, c’est compliqué de discuter avec des gens qui lisent ça au premier degré. Ils arrivent à des finalités qui même si elles sont vraies, tu ne peux pas être d’accord avec parce que tu sais dans quel esprit ils te le disent : il y a une manifestation dans la réalité. Il y a une cristallisation de ce qui se passe dans une lecture eschatologique. Comme s’il y avait volonté de faire coller la réalité aux textes bibliques. Comme s’il fallait que le christianisme accomplisse l’application au premier degré du texte. Du coup, l’échange avec eux, ça se fait comme une partie de ping-pong ou il y a beaucoup de vent : ça marche pas trop.« 

Cette eschatologie devient donc caduque si on la lit au premier degré. L’immanence incite à se concentrer sur l’ici et maintenant, sur ce qui advient. Mais, lue par un prisme allégorique, il y a possibilité d’imaginer qu’elle n’a pas lieu dans la réalité, qu’elle adviendra dans le quotidien. Il y a la promesse d’une parousie : et l’on peut alors se dire que cette parousie a lieu intérieurement. La poétique de la révélation comme dans l’apocalypse est saisissante ! Des trompettes sonnent. Et, on peut alors se demander à quel moment dans l’existence sonnent les trompettes ? Quand une rencontre a lieu. Quand on prend de grandes décisions comme un divorce. Etc.… « Là, ça devient intéressant. » Ce son de trompettes est ce qui permet d’entrer jour après jour dans les nouveaux commencements de l’existence.

Le pardon

Le paradis ? Davide n’y croit plus. Du moins plus comme les évangéliques y croient. Plus comme un lieu ou l’on ira après la mort, parce que l’on a simplement choisi de croire, indépendamment de tout ce que l’on peut faire. Non, le paradis, c’est ici et maintenant, et c’est grâce au pardon. « Le paradis, c’est le pardon, parce qu’avec le pardon, tu es dans l’altérité. Dans la non-fixation de l’autre. Tu ne retiens rien aux autres. Tandis que quand aucun pardon n’existe, le paradis coûte un prix : « œil pour œil et dent pour dent » : on n’est plus du tout dans l’altérité ». Bien plus que de le théoriser, il l’incarne. Je ne l’ai jamais connu avec de la rancœur. Bien plus, il accepte l’autre comme il est. Et, il comprend profondément les gens. Fut un temps ou j’espérais qu’il pourrait devenir un collègue accompagnant spirituel car il en a vraiment la trempe. Mais là, je projette peut-être… Je suis déçu, parce que j’eus aimé travailler avec lui.

Le paradis donc. Il a un coût. La foi est certes proposée gratuitement. Mais, si tant est qu’encore une fois, on lise le texte au premier degré, il est un coût pour la foi que Davide trouve trop cher : « le Dieu des chrétiens, il demande vraiment beaucoup. Ce que ça coûte d’entrer dans la promesse, tu te rends compte? Dans l’Ancien Testament, le coût de la promesse c’est des génocides. Les femmes et les enfants. Je trouve que ça coûte beaucoup trop. Mais, ça c’est moi, parce que je suis un pacifiste et que j’ai envie qu’on s’aime. […] Et les chrétiens célèbrent quand même l’entrée dans la promesse du peuple dans le texte. Ils célèbrent parce que s’ils ne le font pas, ils ne peuvent pas célébrer le salut offert par Christ, puisque c’est l’image de ce coût que moi, je trouve trop élevé… l’expiation par la mort d’un innocent, tu comprends. Alors, il y a la substitution et ça allège le coût : on n’a pas besoin de génocide. » Dans une perspective de lecture littérale, comme ce coût n’est pas lu de manière allégorique, il doit être réel. Comme c’est la réalité, que le texte lui-même célèbre, alors il faut le lire au premier degré : un coût trop élevé. « Je ne sais pas si j’ai envie d’entrer dans un pays promis si ça doit coûter autant…« . Raison pour laquelle il est important à ses yeux d’y voir un symbole, une allégorie qui permet de comprendre métaphoriquement le sacrifice de Christ comme l’expression de l’allègement du coût, et non comme une réalité matérielle et historique. « Ça permet symboliquement de retourner dans le jardin. Tu vois la ritournelle quoi ! ».

Toutes ces questions le préoccupent. Donc à la question de savoir s’il est chrétien ou non, Davide répond oui. Non pas par l’objet de sa foi. Mais, par les questions qu’il se pose. Une affirmation non pas identitaire, mais qui permet de sortir de la confusion : « je ne suis pas chamane, je ne suis pas celte. Alors, c’est pas identitaire, tu vois. Mais, c’est la matrice de laquelle je tire ma réflexion. Le fait de questionner tout ça, c’est une façon de méditer là-dessus. Méditant sur cette question, ça fait de moi un chrétien. Non pas au sens de la croyance. Mais, peut-être qu’on s’en bat les couilles en fait.« 

La musique de fond qui nous baignait se tait. Davide avec elle. Il est tard et il s’assoupit. Moi aussi. J’ai ce qu’il faut pour parler de lui, même succinctement.

À bien des égards, il reste mon plus gros vis-à-vis en termes d’échanges d’idées. Une chance pour moi. Vu la quantité d’idées qu’il brasse, je ne suis pas près de m’arrêter. Sans le savoir, si vous lisez mes billets, il se trouve probablement ici où là une fulgurance que je lui dois. Ces quelques lignes sont l’occasion de rendre à César ce qui est à César.
Il sera sûrement pertinent de refaire un portrait de lui d’ici à deux ans. Le portrait étant une photographie, il est bien possible que les choses aient évoluées. Il est en marche : si l’évolution en soi est anticipable, impossible de prédire là ou il en sera. C’est ce qui fait la beauté du lien, le sel de l’échange.

Pour sentir un peu la sensibilité et le rapport au son de Davide, allez donc écouter Angst ici : https://coralic.bandcamp.com/album/angst

12 commentaires

  1. […] Ce blog existe depuis maintenant deux ans. Et, depuis deux ans, il génère des échanges avec tout un tas de personnes. Des échanges qui m’ont élevé pour la plupart et qui m’ont permis d’élargir mon cadre de pensées. Cela a également généré un grand nombre de discussions, orales et écrites, avec d’anciens compagnons évangéliques, paroissiens et responsables, que j’ai côtoyés à l’époque ou que j’ai rencontrés récemment. Ces échanges sont d’autant plus nombreux depuis quelques semaines et la sortie du podcast Cosmogénèse, que nous avons réalisé avec Davide. […]

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