
Il y a cette patiente que, pour des raisons de confidentialité, nous appellerons Mathilde. Vous vous souvenez d’elle ? Alors que je l’avais croisé à la Coop de mon village, elle m’avait invité à boire un café chez elle. Malheureusement, Mathilde n’a pas pu garder son appartement très longtemps. Visiblement, après quelque temps, elle fut rapatriée dans un EMS.
N’ayant plus son contact puisqu’elle avait changé de numéro de téléphone, et lui ayant promis de monter boire une fois un café chez elle, j’ai donc appelé mes anciens collègues travaillant en addictologie, là où j’ai accompagné Mathilde pendant plusieurs années. On m’a rapidement communiqué l’EMS dans lequel elle avait été transférée afin que je puisse aller la voir. Il se trouve qu’il est dans le village à côté de chez moi.
Un matin, j’avais fini toutes les tâches en cours plus rapidement que prévu et il me restait du temps. J’ai donc pris la décision d’appeler l’EMS pour monter voir Mathilde. Au téléphone, j’ai parlé à une infirmière très sympathique. Je lui ai expliqué la nature des liens que j’avais entretenus avec Mathilde, et elle m’a encouragé à monter la voir. « À part sa fille, elle n’a pas des masses de visites » qu’elle me dit. Elle ajoute : « Et puis vous savez, elle est en fin de vie. Elle a un cancer. » Stupéfaction. Je ne m’y attendais pas. Après quelques secondes de silence pour encaisser la nouvelle, j’ai annoncé que je montais. J’ai préparé ma chienne, et nous sommes tous les deux partis.
Arrivé à l’EMS, j’ai entendu chanter. Au réfectoire, plusieurs patients réunis chantaient des chansons françaises populaires. J’ai jeté un œil pour voir si Mathilde était là, mais je ne l’ai pas vu. Elle aime chanter Mathilde, et c’est le genre d’animation qu’elle apprécierait. Je me suis approché de l’infirmerie. Elle me dit : « C’est vous que j’ai eu au téléphone pour Mathilde? » J’ai répondu par l’affirmative. Comme il faisait beau, j’ai demandé si nous pouvions sortir. Elle m’a expliqué que Mathilde était déjà trop faible pour marcher plus de quelques pas.
Je suis monté au deuxième étage et j’ai frappé à sa porte. « Entrez« . Je reconnaitrais sa voix entre mille. J’ai poussé la porte, sans vraiment savoir à quoi m’attendre. Mathilde était recroquevillée sur son lit, emmitouflée dans sa couette. Elle s’est retournée, m’a regardé. « Hééééé mon petit Jérôme, ça fait plaisir de vous voir« . J’étais tiraillé entre la joie de la voir et la surprise du changement de ses traits qui s’étaient émaciés. Pendant quelques minutes, nous avons comblé le temps qui était passé depuis notre dernière rencontre. Elle m’a parlé de ses quatre petits-enfants, de sa fille, de son parcours. Puis, elle me dit : « Et vous savez, j’ai un cancer. Les médecins me disent des trucs différents, je sais pas trop ce qui va se passer.«
J’étais ému. Beaucoup de choses dans le partage de ce jour m’ont touchées. Surtout, Mathilde m’a demandé des nouvelles de mes enfants. Elle se rappelait du prénom de ma fille, et même d’un jour où elle était montée avec moi à l’institution. « Elle est toute mignonne, votre fille. Et votre fils, je suis sûre qu’il est beau lui aussi. » Ma fille ne se rappelle pas de Mathilde. En revanche, elle se rappelle que son papa a trié des patates et traité du rumex avec une dame dans les champs quand il était civiliste. J’ai demandé à mes enfants s’ils voulaient monter voir Mathilde une fois. Ils ont dit oui. J’ai demandé à Mathilde si elle souhaitait que j’aille régulièrement la voir ces prochains temps, elle a dit oui. Je lui ai proposé de la pousser dans un fauteuil et d’aller dehors quand il fera beau. Elle m’a souri.
Afin d’être sûr de ne pas empiéter sur le rôle de mon collègue direct qui est l’accompagnant spirituel référent de cet EMS, je l’ai appelé. Je lui ai demandé s’il approuvait l’idée que je fasse l’accompagnement de fin de vie de Mathilde, au regard de la grosse douzaine d’années de relation que nous avons construite elle et moi. En plus, le profil thérapeutique de Mathilde rentrait parfaitement dans mon mandat… Mais, ça, c’était plus un bon prétexte. Il me dit : « Je ne fais pas de visites dans cet EMS, mon pourcentage ne me le permet pas (note : faute de moyens financiers, les accompagnants doivent parfois jongler avec un grand nombre d’institutions pour de petits pourcentages). Sauf en cas d’appel de l’équipe pour une fin de vie, je ne fais qu’animer des cultes. Donc c’est très bien pour moi si tu peux accompagner cette dame. » Une fois encore, joie et tristesse cohabitent. La joie d’avoir le privilège d’accompagner Mathilde. La tristesse de savoir que je devrai faire un deuil prochainement.
À n’en pas douter, elle sera présente dans une troisième chronique. Merci pour tout, Mathilde.
[…] Ruth pendant quelques années, jusqu’à son décès en 2014. En allant dernièrement visiter Mathilde, j’ai repensé à mon passé d’accompagnant spirituel en addictologie et j’ai […]
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