
Grâce aux réseaux sociaux, j’étais au courant de l’actualité culturelle romande et de l’agenda des différentes salles de concerts et théâtres. Grâce à YouTube, j’étais au courant de l’actualité politique (surtout française) internationale. Comme je me passionne pour certaines activités de niche, dont je vous épargnerai la liste ici, je m’informais de leur actualité aussi. Tout cela prend du temps. Je ne l’avais pas mesuré, mais déconnecter des réseaux va m’ouvrir à une actualité nouvelle, que j’avais, je dois bien l’avouer, totalement délaissé : l’actualité régionale.
Actualité hors-sol
Hier a passé dans ma région le Tour de Romandie cycliste féminin. C’est avant-hier soir que mon ex-femme m’a téléphoné pour me demander comment j’allais me débrouiller. Elle me dit : « tu fais comment demain pour aller chercher les enfants à l’école, à cause des routes fermées ? ». Moi, de lui répondre naïvement : « fermées, pourquoi ? ». À cause du tour de Romandie ! Je dois bien l’admettre : je suis au fait de ce qui se passe en France, dans le monde, de l’actualité, et j’ai accumulé quelques connaissances dans plusieurs domaines. Mais, ne pouvant pas donner de la tête partout, j’ai délaissé la vie et l’actualité locale.
En rentrant chez moi, après le passage du tour de Romandie, j’ai pris le courrier. Il n’y avait que deux feuillets dans ma boîte : les deux feuilles d’avis régionales. Je me suis surpris à les prendre et à me réjouir de les lire. Je sais bien pourquoi je ne les lisais pas. D’abord, elles étaient souvent noyées dans le torrent de feuillets publicitaires que je parcourais rapidement pour voir les actions des magasins locaux. Ce à quoi je vais d’ailleurs remédier en apposant un autocollant « pas de pub » sur ma boîte aux lettres. En plus, j’avoue un brin confus que je ne trouvais a priori pas leur contenu intéressant, non en soi, mais en fonction de mes centres d’intérêt. Enfin, je peinais à me lancer dans la lecture de feuilles dont chaque page était quadrillée de plusieurs encarts publicitaires, même si j’ai bien conscience que c’est ce qui les nourrit financièrement, tout en donnant de la visibilité aux entreprises locales.
Des arrêtés communaux, des demandes de permis de construire, l’agenda des églises de la région, quelques communiqués des sociétés qui organisent des évènements à venir, quelques retours d’autres évènements qui ont déjà eu lieu. Quinze minutes et c’est lu. Bien sûr, si j’avais parcouru les feuilles d’avis de ces dernières semaines, j’aurais été au courant du passage du Tour de Romandie. Je réalise que ma culture est un peu hors sol, dans le sens où elle est déracinée de mon lieu d’habitation. Je suis certes passionné d’histoire de ma région, de mon terroir culinaire et j’aime cuisiner les produits de nos producteurs locaux. Mais, la vie de village, la vie associative locale, l’agenda villageois, c’est un élément qui me manque cruellement. J’espère que, par la force des choses, cela prendra racine en moi. Pour ma part, j’apprécierais qu’à la fin des feuilles d’avis, il y ait une page avec l’agenda régional du mois, sous forme de tableau.
Chassez le naturel…
Un autre aspect auquel je ne m’attendais pas, c’est la manière dont mes anciennes habitudes se sont remises en place d’elles-mêmes. Cela ne fait que trois jours, et cela ne présage rien sur le long terme. Mais, je trouve amusant de constater que de simplement remettre un cadre horaire et de retirer les réseaux sociaux de la donne ont radicalement changé mon comportement. Il y a quelque temps, comme je l’ai déjà dit, j’avais testé toute sorte de discipline. J’avais même, pendant plusieurs mois, déjà vécu celle que je recommence à m’imposer aujourd’hui (et que j’espère durable). Sans y penser, uniquement en remettant un cadre strict que j’ai déjà connu et en me disant consciemment que je m’occuperais d’autres aspects bien plus tard souhaitant réinscrire les habitudes les unes après les autres, mon comportement alimentaire a suivi le mouvement : plus de petit déjeuner, plus de grignotages, plus de sucre. D’habitude, lorsque mon fils prend une branche de chocolat, il m’en propose une. D’habitude, bien que j’en aie déjà mangé une auparavant et que je sais qu’il y aura des chips à l’apéro, je dis oui. Hier, quand il est venu me proposer une douceur, je me suis surpris à lui dire :« Non, merci, je ne mange pas de sucre. » En prendre conscience m’a conduit à réfléchir un moment. J’ai alors réalisé que mon comportement alimentaire ainsi que la composition des menus était redevenue idéale, sans y réfléchir. Comme si mon esprit avait imprimé un cadre global en lui, qu’il pouvait réappliquer à la demande.
Mon système de récompense a bien fonctionné
En réalité, il n’y a rien de magique ou d’extraordinaire à cela. Tout vient de mon système de récompense. Il s’agit d’un ensemble de circuits neuronaux qui jouent un rôle crucial dans l’apprentissage des comportements, ce qui biologiquement permet basiquement, en nous motivant à adopter les bons comportements, de survivre. Lorsque nous accomplissons des actions qui procurent du plaisir ou une satisfaction, notre cerveau libère de la dopamine, un neurotransmetteur. Cela renforce le comportement, nous conduisant à le répéter. Le temps passant, à force de répéter les mêmes actions et de les lier à des récompenses spécifiques, les comportements s’ancrent. Il s’agit d’un conditionnement : si on administre une récompense à un individu dès qu’il fait la vaisselle, cette action sera, à la longue, associée au plaisir de la récompense. Grimper à un arbre pour la première fois et y cueillir un fruit provoquera non seulement le plaisir sucré du fruit, mais en plus le sentiment de satiété. Ce comportement et la libération de dopamine qu’il engendrera conduiront l’individu à le répéter en cas de faim. C’est ainsi que j’ai dressé ma chienne : lorsqu’elle faisait ce que j’attendais d’elle, je lui donnais une croquette. Elle a associé ainsi les mots à des actions et à une récompense. À force de répéter chaque jour tous les ordres et de la récompenser lorsqu’elle obéissait, elle est devenue de mieux en mieux dressée.
Basiquement, je pense que mon cerveau a associé l’alimentation saine au cadre de vie strict et en a gardé la mémoire. Inconsciemment, en reproduisant un cadre que j’ai déjà connu, mon cerveau doit avoir reproduit des comportements associés. Tout cela explique pourquoi une habitude prend du temps à s’ancrer et une mauvaise habitude à être retirée : un comportement doit être répété à plusieurs reprises pour être renforcé et s’inscrire dans la durée. En un sens, c’est plutôt positif. Car cela veut dire que d’anciens comportements peuvent aisément être retrouvés (ce qui est moins positif si on parle d’addictions). Toutefois, je trouve cela vertigineux : cela me montre à quel point je suis conditionné et déterminé. Je réalise dans quelle mesure la psyché humaine peut être un gouffre insondable.
La question des addictions
J’ai travaillé quelques années en addictologie successivement comme éducateur, veilleur, civiliste (dans les ateliers de réadaptation) et accompagnant spirituel. Si je ne peux pas affirmer qu’il s’agit des mêmes processus, il me semble qu’il y a des schémas transversaux entre ce que j’ai décrit plus haut et les addictions.
Le système de récompense est spécifiquement touché par la question des addictions. Toutes les substances psychoactives activent particulièrement une aire du cerveau que l’on appelle tegmentale ventrale et qui se situe au centre de l’organe. Cette aire est au cœur du système limbique, un réseau de voies nerveuses et non pas une structure cérébrale en tant que telle. Une des fonctions de ce système est de renforcer les comportements essentiels à la survie : procréation, alimentation, mécanismes de défenses, etc. L’aire tegmentale ventrale y reçoit les informations de la part de différentes régions du système limbique et les traite avant de les transmettre plus loin. La dopamine agissant, ce circuit permet donc d’ancrer les comportements.
Il se trouve que les substances psychoactives provoquent une grande libération de dopamine. Cela crée une sensation intense de plaisir et de satisfaction, ce qui conduit à une répétition de la consommation de la substance. Le psychotrope « trompe » le cerveau et lui fait penser que la substance ingérée est nécessaire à sa survie. La libération de dopamine, bien que dans une moindre mesure quantitative, a aussi lieu lorsque nous nous attardons devant un écran : le scrolling est une réponse à un vide. Si je porte un examen honnête sur moi-même, je dois bien avouer que mon temps d’écran était trop élevé, et parfois de manière incontrôlée. Cela se produisait surtout la moitié du temps, quand mes enfants étaient absents (à cause de la garde partagée), générant un vide que je comblais avec du scrolling. Le problème, c’est que les addictions, même sans substances, conduisent à terme, aux mêmes modifications cérébrales que les addictions liées aux psychotropes : difficultés à prendre des décisions, des initiatives, atteinte à la motivation générale, difficulté à se mettre en marche, surtout s’il n’y a pas un devoir à accomplir. Je ne parlerai pas d’addiction pour ma part donc, car je n’ai jamais eu de peine à m’occuper de mes enfants ou à travailler, et mon autonomie n’a jamais été entravée. En revanche, pendant mon temps libre, difficile de trouver la motivation à bouger de chez moi pour des activités qui n’étaient pas de l’ordre du devoir. Dur de prendre des initiatives. Les réseaux, le scrolling et le visionnage de vidéos sur YouTube étaient bien plus gratifiants « dopaminergiquement » parlant.
La discipline, c’est la clé
Basiquement, plus je me repose, plus mon acuité et ma capacité à prendre les choses en main augmente. Moins je suis sur les écrans, plus je me concentre sur ce qui a de l’importance et plus je suis également attentif à ce qui m’entoure. Une discipline qui tend à diminuer un comportement qui pourrait devenir problématique contribuera par la même occasion à restaurer progressivement ce qui a été péjoré. Après deux jours sans réseaux et sans scrolling, je constate déjà que ma motivation à bouger et à socialiser est renforcée. Je dois tout de même avouer qu’automatiquement, il m’arrive de mettre la main dans ma poche pour prendre mon téléphone par moments quand je suis à l’extérieur de la maison, me rappelant instantanément les choix que j’ai faits. Je le relâche alors et profite de mon temps.
Lorsque je travaillais en addictologie comme accompagnant spirituel, l’un des éducateur mettait l’emphase sur la discipline. Pour lui, c’était le remède à l’absence de motivation. Les rituels, la répétition de routines quotidiennes et hebdomadaire était une des clés du potentiel de rétablissement des patients à ses yeux. Les cycles et la discipline ! Ainsi, il encourageait chaque patient à suivre les activités récurrentes, pour les inscrire dans un cercle vertueux. Bien entendu, je ne peux pas comparer une situation comme la mienne à la difficulté de vivre avec une addiction. Néanmoins, il y a un principe qui me parait sain ici : dans ma discipline du « sans », je pourrai recombler les vides avec des rituels. Je n’ai plus d’activité hebdomadaires comme ce fut le cas à l’époque : un groupe de musique, une équipe de sport. Nous avons beaucoup de rituels et de routines avec mes enfants lorsqu’ils sont ici, mais pour ce qui est de mon temps libre sans enfants, il n’y a encore rien. M’est avis que c’est une piste à creuser pour la suite.
Sources et pour aller plus loin :
- Vulgarisation des neurosciences de l’addiction : https://www.ssam-sapp.ch/fileadmin/user_upload/Neurosciences_de_l_addiction.pdf
[…] la peur de rater quelque chose ou le syndrome du ratage. Directement après avoir publié le dernier billet de mon journal de bord, je repense à une discussion avec une amie, psychologue sociale, qui me parlait du syndrome […]
J’aimeJ’aime
[…] validation sociale, hors réseau, provoque la libération de dopamine (j’ai parlé de la dopamine et du système de récompense brièvement dans un billet précéde…). Cette libération conduit à réitérer un comportement qui reçoit une validité sociale. […]
J’aimeJ’aime