Journal de bord #6 : Les premières réactions

Je n’ai pas pris la peine d’informer tous mes amis et mes contacts, ni que je quittais les réseaux sociaux, ni que je mettais mon téléphone de côté pendant les journées. Je n’ai pas non plus transmis plus loin qu’aux quelques personnes qui lisent ce blog le lien vers mon journal, car le but n’est pas d’être lu par le plus de personnes possibles, cela m’importe peu. Alors, ce que j’ai un instant craint arriva : au moment de prendre mon téléphone pour répondre aux messages WhatsApp, j’ai été submergé de messages. J’ai alors pris conscience de la surstimulation que cette application représente. Comment est-ce possible de recevoir autant de messages en une demi-journée ? Entre les groupes, les messages importants, les gags, les liens vers des vidéos, etc. Un peu stressé par la quantité de notifications en attente, je n’ai pas répondu à chacun. Tout au plus à trois personnes, puis j’ai reposé mon téléphone en me disant que je prendrais le temps à ma prochaine consultation. En effet, la quantité de messages et m’imaginer devoir répondre à tous m’a stressé. Pourtant, il n’y en avait probablement pas plus qu’un autre jour : je les ai simplement vus tous simultanément. Le soir-même, le schéma s’est répété. Grosse erreur : j’ai encore moins pris de temps pour répondre. Résultat : certains se sont vraiment fait du souci à propos de mon silence.

Parmi le flot de messages reçus, une grande quantité sont des liens vers des shorts ou des reels. Bien sûr, lorsque je scroll, j’aime envoyer les pépites du net à des amis. Certains me transmettent aussi les leurs. Ne plus consulter ces liens représente certes quelques barres de rire en moins. Mais, c’est un gain de temps considérable. Car WhatsApp, ce n’était pas juste WhatsApp, mais également la porte ouverte vers les autres réseaux par la consultation de dizaines de liens chaque jour. Pour des choses qui, certes, m’ont passablement fait rire. Mais, des choses qui m’ont aussi, d’une certaine manière, coupé du monde réel.

Puis, un ami, qui était au courant de ma démarche, m’a appelé pour me dire qu’un autre ami lui avait écrit pour lui demander si j’allais bien. Qu’il n’avait plus de nouvelles. Il lui a donc expliqué la situation. En lisant tous mes messages, j’ai constaté que trois personnes exprimaient un certain souci à mon endroit à cause de mon silence. Outre le fait que je sois passé du noir au blanc sans prévenir, je réalise que j’ai aussi habitué les personnes à des réponses rapides et assez fournies. Je ne laissais effectivement que rarement trainer un message sans y donner suite.

L’envie de voir les personnes en chair et en os

J’ai écrit à mon ami pour m’excuser de mon silence en lui expliquant que j’essayais d’être moins présent sur les réseaux. Dans la foulée, je lui ai spontanément proposé de le voir dès le week-end prochain. Je constate que le fait de ne pas être tout le temps stimulé provoque chez moi un élan vers le lien dans la « vraie vie ». J’ai toujours pensé que j’étais une personne sauvage, qui n’avait pas envie de voir du monde. J’acceptais les rendez-vous, les soupers, avec parcimonie, souhaitant privilégier les sorties avec les enfants et les rencontres avec mes filleuls et quelques amis proches. Je réalise qu’il n’est pas question de ma nature, mais de la manière dont l’avalanche quotidienne de messages et d’interactions que je peux entretenir avec autant de monde, même virtuellement, me donne envie d’être seul le reste du temps. Avec l’absence de stimulations incessantes, je me (re)découvre moins sauvage que ce que je pensais être.

Les liens virtuels ont pris une grande importance dans ma vie depuis les confinements de 2019. J’avais le sentiment que ne pas me tenir quotidiennement au courant de ce que vivaient les autres et ne pas moi-même donner signe de vie pouvait être considéré comme de l’isolement. Comme si une fois que je verrais les personnes, je devais être au courant de tout ce qui s’était passé. Une sorte de FOMO relationnel. Alors que c’est pourtant l’inverse de ce que je vis dans mon travail. En effet, comme accompagnant spirituel, et surtout en gériatrie, je peux être amené à ne pas voir un patient pendant plusieurs semaines en fonction des urgences et des priorités. Pourtant, jamais le lien n’a été endommagé par une absence de nouvelles, même prolongée. À chaque rencontre avec mes patients, c’est un peu comme si nous venions de nous quitter. D’ailleurs, ce lien est la partie de mon travail que je préfère, qui donne le plus de sens à ce que je fais et qui me stimule le plus dans le bon sens.

Je l’ai toujours dit à mon ami Davide : ce qui me manque cruellement dans la vie, c’est une communauté. Ici aussi, je pensais que c’était, en soi, qui me faisait défaut. Mais encore une fois, ce n’est pas la communauté, mais l’absence de liens, elle-même générée par la surstimulation. J’ai interprété mon envie de ne pas voir de monde comme un trait de caractère inhérent à ma personne. Sur cette mauvaise interprétation, j’ai interprété ensuite que mon besoin était un besoin communautaire. C’est drôle, car quand je disais à des personnes qui me connaissent depuis longtemps que j’étais devenu sauvage, la réponse est toujours la même : « on n’a pourtant jamais connu de Jérôme sauvage. » Leur constat était juste. Je ne suis pas de nature sauvage, et j’ajoute que je n’ai pas un besoin spécifique de communauté. J’ai juste envie de passer du temps avec les personnes que j’aime, autour d’une table avec un bon repas. Ça, c’est quelque chose qui me manque vraiment !

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