François Ansermet – L’origine, qu’est-ce que ça change?

En 2024, les éditions Labor et Fides ont lancé une collection à l’occasion de leur centenaire : « qu’est-ce que ça change ? » Une série de récits courts, sur des thématiques spécifiques. « L’origine » du psychanalyste et professeur de pédopsychiatrie François Ansermet est le premier ouvrage de la collection.

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« Il y a l’origine génétique et ce qu’elle change. Il y a aussi le devenir, l’éveil du
sujet par rapport à ce qui le détermine génétiquement. Le devenir peut changer beaucoup
de choses. » (p.17)

Mon origine est donc multiple : d’où je viens, ce que je suis devenu, ce que je deviens et ce que je deviendrai. Mais également où je vais, avec tout ce qui peut encore surgir. Il y a ce dont j’ai conscience, mais bien plus tout ce que j’ignore. Il y a ce qui est et ce que j’en fais. Il y a ce que je décide et ce qui advient hors de tout contrôle. Il y a le désir de ce qui fut un jour et de ce qui sera. Et bien d’autres choses. La lecture de ce livre me fait prendre conscience que la question de l’origine est vertigineuse ; bien plus que ce que j’imaginais. À certains égards, j’aurais envie de ne pas avoir à réfléchir autant et à juste vivre sans plus me poser de questions. D’un autre côté, cela m’apporte ce qui m’est le plus précieux aujourd’hui : de la nuance. Enfin, à la lecture, j’ai l’impression de sortir d’une logique temporelle pour entrer dans le registre de l’accompli/inaccompli. Mon origine serait-elle déjà accomplie, même si elle n’est pas encore advenue ? Elle est agissante, même si j’en ignore la plus grande partie. Amor fati ? Oui, mais pas seulement : détermination, mais également possibilité de changement. Il s’agit donc plus d’une potentialité que d’une fatalité. Bonne nouvelle: c’est une ouverture plus qu’une fermeture.

Évidemment, ce texte fait écho chez moi à plusieurs récits et idées bibliques, indépendamment de ceux cités par l’auteur. L’idée que toute chose ancienne est passée et que toutes choses sont nouvelles, dans la possibilité continuelle d’un devenir, d’une nouvelle naissance, d’un nouveau « temps zéro ». Une porte d’entrée au renouvellement, au changement de regard et aux possibles qui s’ouvrent dans les origines dont je me ceins. Un écho aussi au miracle pascal : la possibilité de ne pas s’enfermer dans ce qui advient, mais d’en faire quelque chose et d’ouvrir de nouvelles portes résurrectionnelles ; parce que l’on peut même « advenir du pire« . Enfin, à la différenciation, la sortie du tohu-bohu par l’autodétermination vue par le prisme de la conscientisation et du choix de ses propres origines.

L’origine pour se dire

Je me suis souvent questionné sur le fait d’avoir une perception et un souvenir différents de certains évènements de mon histoire, qui m’ont construit, par rapport à d’autres personnes de ma famille. Il y a les détails : j’ai toujours vu ma grand-mère faire revenir ses échalotes dans le beurre, alors que mes frères voient ma grand-mère y rajouter de l’huile pour que cela ne brûle pas… Pourtant, je suis persuadé qu’elle m’a appris à faire la sauce tomate uniquement avec du beurre comme matière grasse, puisque c’est ce que j’ai longtemps fait. Un détail donc. D’autres éléments, moins anecdotiques, mais plus intimes (et que je ne partagerai donc pas ici) sont parfois très différents dans la tête d’un membre de ma famille et dans la mienne. Il y a donc un avant/après lecture du livre de François Ansermet, « origine », au-delà du simple élargissement de pensée. Avant la lecture du livre, je me torturais lorsque ces divergences apparaissaient : est-ce moi ? est-ce l’autre ? Après la lecture de ce livre, je réalise que la vérité n’est pas si importante. Ce qui compte, et c’est peut-être une déformation professionnelle de l’accompagnant, c’est plus ce que chacun dit quand il se dit. Ce qui compte, c’est plus de « devenir l’interprète de son désir d’exister ».
Il y a mon origine, et il y a l’origine dont je me revendique et dont la construction va potentiellement même dans l’arrangement de certains souvenirs (à moins que cela soit l’autre qui arrange ses propres souvenirs). Mais, comme dit, au final, ce qui compte, c’est comment je peux me dire, comment l’autre peut se dire. Comme personne et comme accompagnant, ce récit m’ouvre l’esprit et le champ des possibles : c’est une ode à l’altérité.

Quid de l’identité ?

Comme j’ai lu en début d’année « Le siècle des égarés » de Julia de Funès, je vois un dialogue poindre entre les deux auteurs. De Funès soutient que l’identité peut plus souvent égarer plus qu’elle n’oriente. Que la quête identitaire, exacerbée par la modernité, peut conduire à des rôles figés et des postures qui nous éloignent de notre véritable essence. Si l’origine est créativité infinie, l’identité devient chez elle source d’égarement plus que de créativité. Si l’origine n’est pas rigide, l’identité peut le devenir. L’origine devient un point de départ qui ouvre des potentialités, et donc qui ne sont pas appelés à s’enfermer dans des rôles identitaires figés. Pourtant, la quête identitaire peut être source de créativité aussi. L’identité est un concept un peu paradoxal qui cherche à concilier l’identique et le spécifique, là où l’origine se veut peut-être plus fondamentale et enracinée dans notre histoire et notre devenir personnel et collectif. L’identité construite, sociale, nous dissimule parfois à nous-mêmes. Julia de Funès marque un écart entre l’identité, donc, et le sentiment de soi : se sentir vivant et en adéquation avec ce que l’on est véritablement. L’autrice propose plusieurs pistes de pensée littéraires et philosophiques. Le tout est plus que la somme des parties : le livre de François Ansermet vient ouvrir de nouvelles potentialités dans la réflexion qui s’est ouverte chez moi.

Trois envies persistent après avoir fermé ce livre. Le relire, car je l’ai dévoré si vite que je n’en ai sans doute pas saisi la pleine essence : je crois que ces réflexions doivent infuser. Découvrir d’autres textes de François Ansermet. Et, finalement, l’envie qui fait que je conseille ce livre : il m’a mis en mouvement intérieur.

Vous pouvez vous procurer le livre (ainsi que les autres volumes de cette collection) directement sur le site des éditions Labor et Fides.

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