
Qui est Phil Pringle, et qu’est-ce que C3 ?
Phil Pringle, le fondateur et leader du mouvement C3, était à Lausanne ce dimanche. Une occasion de me faire une idée plus précise sur la prédication d’un homme qui, je dois bien l’avouer, n’est pas dans mes bons papiers : il a notamment été épinglé pour des questions en lien avec les finances. Sa venue était l’occasion de me faire une opinion sur sa prédication.
C3, ou Christian City Church, est un mouvement d’église international fondé par Phil et Christine Pringle. La première église fut celle de Sydney en Australie. Après avoir implanté une église dans les années 80 à Sydney, celle-ci s’est agrandie jusqu’à accueillir 400 personnes assez rapidement. L’église a alors rapidement envisagé de s’étendre et a eu pour vision d’avoir dix églises dans dix villes majeures dans le monde et Pringle est devenu l’un des chantres de la croissance. C’est en 2008 que la Christian City Church a pris le nom de C3 Church. Aujourd’hui, ils comptent plus de 500 églises dans 64 pays. L’antenne de Lausanne est bilingue. Elle se réunit chaque dimanche pour deux cultes, dont un rediffusé en Livestream sur le site à Beaulieu à Lausanne.
Si je me suis intéressé spécialement à la venue de Phil Pringle, c’est parce qu’en novembre 2021, il a été mis en cause par un reporter sur la question de l’argent. On l’entend alors encourager les personnes à gagner beaucoup d’argent, pour ensuite le redonner à l’église : gagnez des millions et ensuite, donnez-les à la maison de Dieu. Mais au-delà de l’inlassable rhétorique du « donnez et Dieu vous le rendra au centuple », il a aussi été questionné sur la question du financement miraculeux. En effet, on entend très clairement Phil Pringle dire dans une prière que les fidèles reprennent : « Aujourd’hui est le jour où je vais donner pour ce miracle qui se produit dans ma vie », induisant ainsi l’idée que le miracle a plus de chance d’arriver si on donne de l’argent à l’église. Lorsqu’on lui demande s’il a déjà enseigné cela, il répond que non, qu’il ne l’a jamais dit.
L’autre raison pour laquelle je m’intéresse à sa venue est simplement qu’à ce jour, il m’a été donné de suivre deux patients issus de l’église C3. Les deux m’ont parlé de l’omniprésence de la question de l’argent et de la rhétorique y relative, mais également de la manière dont ils s’étaient sentis objets et non sujets : ils se sentaient des objets anonymes, des numéros sur une feuille de statistique.
Le culte du 29 septembre 2024
Phil Pringle était donc invité à prêcher lors du culte de 9 h 30 qui était rediffusé en Livestream, ce dimanche 29 septembre. Le soir-même, toujours à Beaulieu, a lieu une soirée de louange et de ministère, qui ne sera pas rediffusée. Mais, le culte du matin et les vidéos que l’on trouve sur YouTube de Phil Pringle donnent une bonne idée de la direction que suivra probablement cette soirée : un temps de louange exalté accompagné d’un temps de ministère (comprendre de manifestations divines miraculeuses). À 9 h 30 précises, le culte commence par le groupe de louange. Rien de particulier à dire, si ce n’est quelques éléments de langages sur lesquels je me suis achoppé, comme accompagnant spirituel qui travaille en psychiatrie, en lien avec la toute-puissance de Dieu : l’idée qu’il brise les dépendances, et qu’il fait des miracles sur l’anxiété et la dépression, sans plus de précisions. Dieu guérirait, fin de l’histoire. Puis, d’entonner avec force un chant qui scande « tu brises les chaînes ». Le temps de louange sera conclu par une prière qui dit que l’espoir naît lorsque l’on tourne ses pensées vers Dieu.
En tant qu’accompagnant spirituel, je me suis toujours posé la question de la résistance que j’ai pu rencontrer face à la psychiatrie, notamment chez les chrétiens évangéliques. La plupart d’entre eux ne souhaitaient a priori pas voir de psychiatre, sauf s’il était chrétien. J’ai un élément de réponse maintenant. L’injonction à la joie, très présente dans ce milieu, et ce genre de discours et de prières mis bout-à-bout, avec l’idée que l’espoir ne naît que lorsque l’on tourne nos pensées vers Dieu, plutôt que d’aller voir un médecin psychiatre, peuvent en effet provoquer une illusion chez le croyant que la dépression et la dépendance n’ont pas besoin d’être soignées par une intervention médicale. Mais, la non prise en charge de ces maladies peut s’avérer dramatique pour les personnes concernées, puisqu’à terme, il y a plusieurs risques majeurs comme l’installation d’une maladie chronique ou la décompensation suicidaire pour n’en citer que deux.
L’autorité en place
Une fois la louange terminée et les annonces passées, vient le moment tant attendu : Phil Pringle, le fondateur et le leader du mouvement mondial C3 s’avance sur l’estrade pour prendre la parole. Il sera traduit par le pasteur en place de l’église lausannoise. Je m’attendais à ce qu’il se lance directement dans sa prédication. Cependant, sa prise de parole commence par la promotion de ses livres qu’il vend sur place et ce que j’appellerais une « passation de pouvoir ». Le grand patron de C3 a expliqué à quel point le pasteur local était fantastique et à quel point il l’aimait. Il a affirmé son apostolat. Et, sans transition, il a fait la même chose avec la conductrice de louange, qu’il a invitée à monter sur scène avec son mari afin de prophétiser sur eux. Cette pratique, je l’ai déjà vue des dizaines de fois : il s’agit d’une manière d’affirmer l’autorité du personnel local en place.
En 2012, j’avais participé à un weekend organisé par le forum de louange qui avait lieu à Neuchâtel, dans les locaux de l’Église apostolique du Centre de vie. Les orateurs invités étaient Bob Sorge, Matt Marvane et Luc Dumont. Durant une des soirées de louange, le chanteur Luc Dumont a commencé à prophétiser sur les responsables locaux (parmi lesquels Sylvain Freymond entre autres), qui ont à leur tour prophétisé sur lui. C’est une méthode courante qui permet d’affermir l’autorité des pasteurs ou des responsables en place par l’adoubement d’une personne de renom et/ou faisant autorité dans le milieu. Pour le forum de louange, Luc Dumont, conducteur de louange, connu dans toute la francophonie et dont les chants sont repris dans de nombreuses églises affermissait l’aura et l’autorité de personnages actifs au niveau de la louange, devant un parterre majoritairement composé de musiciens actifs dans leurs églises. Pour C3 Phil Pringle, qui jouit de l’aura du fondateur et du leader du mouvement, adoubait un pasteur et une conductrice de louange locaux.
Mais, bien plus que d’affermir l’autorité des leaders locaux, il inclut ce moment, ainsi que celui de la promotion de ses livres, dans sa prise de parole globale, dédiée à l’enseignement aux chrétiens. Si bien qu’immédiatement après avoir prié pour le pasteur et la conductrice de louange, il enchaîne sans pause et sans transition sur le texte biblique et sa prédication, intégrant ainsi cette prise de parole qui semble a priori spontanée dans le temps d’enseignement. C’est indirectement une manière de dire aux fidèles que cela fait partie intégrante de la parole d’autorité que le fondateur est venu apporter aujourd’hui.
Enfin, un mot aussi sur les prophéties proposées par l’orateur. Celui-ci a prophétisé sur la conductrice de louange et son mari qu’ils seraient des leaders en Suisse, mais également en Allemagne et en France. J’ai toujours été très prudent avec ce genre de prophéties : faites devant toute l’assemblée présente, et devant les téléspectateurs du Livestream, elles peuvent induire une forte pression sur la personne qui la reçoit, tout le monde s’attendant ensuite à sa réalisation : si elle intègre que cette parole était vraiment vraie, mais qu’elle ne se réalise pas, alors cela voudra dire que l’on est « passé à côté du plan de Dieu, créateur de tout l’univers », et cela aux yeux de tous. Pression donc, et potentiellement forte culpabilité. Cela m’était arrivé dans une convention évangélique (la rencontre de jeunesse), ou un pasteur responsable avait prophétisé sur moi que j’allais être un missionnaire et évangéliste important sur la fenêtre 10/40 (Afrique du Nord et Asie). Sur le coup, j’avais fortement angoissé, craignant l’avion. Puis, en cours de journée, j’ai réalisé qu’il prophétisait cela à tous les jeunes qu’il croisait, jusqu’à le faire sur la grande scène lors d’un plénum devant 2000 personnes : « je vois qu’il y a des jeunes ici qui partiront en mission sur la fenêtre 10/40 ». Pour ma part, j’interprète cela non pas comme une manière de transmettre une parole venant de Dieu, mais d’inciter les personnes à agir dans une direction donnée qui va dans l’idée de celui qui prophétise.
Élargir les piquets de sa tente
Il faut l’avouer, la prédication était très simpliste et se contentait de rebrasser l’idée générale de ces églises évangéliques : la croissance. Le texte biblique du jour est celui d’Ésaïe 54, qui enjoint à « élargir les piquets de sa tente et à affermir les pieux. » La lecture est effectivement ramenée à l’idée de grandeur et de croissance. L’auteur nous parle du cosmos, de l’univers, de la vitesse de la lumière, en expliquant que ceci vient de la création de Dieu et en expliquant donc que Dieu veut que ses créatures soient grandes. Tout est prétexte à exprimer l’idée de grandeur. Le mouvement grandit, comme doivent grandir les chrétiens. Évidemment, qui dit croissance dit finances : et même si ce n’est pas dit explicitement, on sent bien que cela infuse le discours. L’orateur encourage donc à « penser grand ». Ceux qui n’aiment pas la croissance sont ceux qui veulent rester petits. Et, d’ajouter que le Saint-Esprit ne veut pas (!) que nous restions comme nous sommes. Certes, il dit que grandir, c’est aller dans le sens de Dieu, mais dans le même temps, il exprime assez clairement que ne pas vouloir grandir, c’est aller contre Dieu. Il faut aller de gloire en gloire. La stagnation est donc mal vue. Ceux qui veulent suivre Dieu doivent donc adopter un certain état d’esprit, qui est celui de l’orateur et qu’il n’est absolument pas question de discuter, puisque c’est la volonté de Dieu.
Comme apport connexe, l’orateur parlera des épreuves, suggérant que c’est par celles-ci que nous grandissons. Demander à Dieu de grandir, c’est lui demander de rendre notre cœur plus grand. Infuse ici l’idée que si l’on souffre, si on traverse l’épreuve, c’est le signe que l’on grandit par l’action de Dieu. Mais, cette pensée est problématique en ce qu’elle ne permet pas réellement de vivre l’épreuve et d’en saisir la portée. L’épreuve devient le signe de l’action de Dieu, et non pas d’une épreuve en soi. Plus : elle devient l’attente de l’intervention divine et l’on ne peut plus y accoler un sens autre que celui-ci. Dans mon parcours personnel et dans celui de beaucoup d’amis, c’est la rhétorique qui fut utilisée pour nous empêcher de quitter l’église lorsque nous avions des critiques à émettre. L’épreuve fait grandir, et ne pas accepter l’épreuve, c’est se refuser à l’action de Dieu et à la croissance. Une bonne manière de faire taire les voix qui s’élèvent contre ce que l’on dit.
Enfin, pour nouer la gerbe, l’orateur fait appel à la figure de Zachée, qui, après avoir dîné avec Jésus, a décidé de rendre l’argent qu’il avait pris, avec un supplément. Pour Pringle, un chrétien est une personne qui passe du temps avec Jésus. Et Jésus est celui qui multiplie les pains, change des litres d’eau en vin et fait se casser les filets de pêcheurs : on reste dans le quantitatif. Ainsi, le signe visible que l’on suit Jésus est le fait que « l’on donne plus », toujours plus. La promesse est simple : d’abord, suivre Jésus, c’est s’attendre à recevoir beaucoup quantitativement parlant, à l’image des pêcheurs. Mais, le suivre, c’est aussi manifester l’envie naturelle d’offrir plus, de donner plus, à l’image de Zachée. Quand Jésus est venu dans sa vie, il ne garde plus pour lui l’argent, il le donne, et il le donne en abondance puisqu’il donne plus que ce qu’il a reçu : la même chose doit arriver aux chrétiens. Enfin, il conclut en expliquant que l’église est destinée à une grande croissance. Qu’une grande église appelle de grandes personnes ! La boucle est bouclée : l’église grandit, et doit grandir plus. Les personnes doivent grandir aussi. Pour grandir, l’église a besoin d’argent. Les personnes qui grandissent donnent de plus en plus à l’image de Zachée. Le tout enrobé dans le fait d’avoir affermi les leaders locaux dans leur autorité, et par une rhétorique lors de l’offrande qui appelait à se souvenir de la fidélité de Dieu.
Conclusion
Si je récapitule les divers éléments du culte, on peut pointer que la louange, engageant les affectes des personnes présentes, nous plongent dans l’idée que Dieu peut tout, y compris des miracles au niveau de pathologies compliquées à soigner. L’offrande nous rappelle de nous ancrer dans la fidélité de Dieu, qui rappelons-le, peut tout et nous incite à penser que l’espoir naît lorsque nous tournons nos pensées vers lui. Sur cette base, ancrée dans les affects, l’orateur proclame ce qui prétend être le plan de Dieu : la croissance quantitative, tout en utilisant une figure biblique (Zachée) qui exprime l’idée que lorsque l’on rencontre Jésus, s’opère en nous un changement de disposition intérieur et nous conduit à donner plus quantitativement. Cette figure biblique donne plus d’argent, incitant ainsi l’auditeur, plongé dans ses affects, à donner plus d’argent, pour la croissance locale. Enfin, la remise en question dans l’épreuve est présentée comme une attitude de défiance envers Dieu et son action qui n’ont pour but que de nous faire grandir. Indirectement, cela peut signifier que ne pas donner parce que l’on traverse une épreuve difficile financièrement parlant, cela peut être une défiance envers la fidélité de Dieu, présenté comme tout-puissant, et comme étant le seul à faire naître l’espoir quand il n’y en aurait plus.
Ma conclusion est celle-ci : tout ce culte est une aliénation.
Enfin, je dirais que l’apostolat dans l’église est vécu comme une sorte de management d’entreprise ou l’emprise (au niveau de l’autorité) sur les fidèles est une condition sinequanon pour s’assurer la vente du produit : ici, la croissance, présentée comme divinement voulue, et comme bonne pour les croyants. On engage la volonté de tous à se plier à une vision pour générer une quantité numéraire bancaire. Une prédication qui me semble donc fidèle aux questions pour lesquelles Pringle a été épinglé il y a deux ans. Et qui s’inscrit sans surprise dans la ligne de la croissance et d’une vision entrepreneuriale de l’église telle qu’elle existe dans certains mouvement évangéliques. Rien de nouveau sous le soleil donc.
[…] religieuse romande et francophone. La forme est encore à définir, même si j’avoue que l’exercice de déconstruction dialectique initié dans la dernière chronique me plait bien. Enfin, j’aimerais pouvoir proposer plus d’esquisses, mais je ne me fixe […]
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