
Avant de lire cette chronique, je vous invite à lire les deux précédentes ou je parle de la possibilité d’une guérison, et de l’efficacité présumée de la prière dans le soin. Ce billet est l’avant dernier d’une réflexion plus large sur la question de la prière dans le soin.
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Après avoir exprimé ce que « guérison miraculeuse » pouvait signifier pour moi, et après avoir investigué ce que disent les études au sujet de l’efficacité de la prière, il convient d’ancrer tout cela dans un cas pratique. C’est à partir d’une vignette clinique que je proposerai donc ici une réflexion. Je précise que la patiente dont je parle n’est pas le sujet de ce billet, mais le point de départ des réflexions que j’essaie de déployer. J’ai d’ailleurs modifié certains détails de la vignette afin de renforcer l’anonymat de cette personne.
Vignette clinique
La patiente en question est une dame d’environ septante ans. Il y a maintenant plusieurs mois, elle a été diagnostiquée d’un cancer. Pour faire très court, la décision fut prise d’opérer une mastectomie afin d’éviter au maximum tout risque de récidive. Malheureusement, la maladie est repartie et handicape aujourd’hui madame au niveau du haut de son corps. Elle souffre notamment d’œdèmes et peine à bouger, ce qui nécessite des soins de physiothérapie et d’ergothérapie fréquents. Un traitement est en cours et la maladie perd du terrain très lentement. L’évolution est conforme à ce que l’on peut attendre du traitement suivi.
Il a été décidé, avec son consentement, de placer cette dame en institution de soin. Elle n’était malheureusement plus autonome. Elle vivait seule, car son mari avait décidé de la quitter, estimant que la charge mentale liée à la prise en charge de sa femme était trop grande. À la suite de cet enchaînement d’évènements, madame est allée voir son pasteur (église évangélique) afin de discuter avec lui et qu’il prie pour elle. Ce dernier a prié dans le sens d’une guérison totale, au sens du retrait de la pathologie, d’un retour de son mari, d’une récupération complète de son autonomie et d’un retour à domicile, tout cela pour la gloire de Dieu. Ces choses ont été affirmées de manière péremptoire, ne laissant pas la possibilité de penser que d’autres issues étaient envisageables.
Depuis ce jour, madame reste convaincue que l’action de Dieu va aller dans ce sens. Je la visite régulièrement, et à chaque visite, elle m’affirme qu’elle attend le miracle à venir et qu’elle persévère dans cette croyance. En parallèle, comme elle ne peut plus aller dans son église, elle fréquente une petite église évangélique de quartier à deux pas de l’EMS où elle réside, où le pasteur prie dans le même sens. Dernièrement, elle s’est également rendu à une conférence de guérison de Jérémy Pothin (le prédicateur de la vidéo dont je parle dans la première partie, ce qui est assez ironique quand on sait que j’avais prévu de parler de cette dame dans ce billet avant qu’elle aille à cette réunion) où ce dernier a prié pour elle en lui assurant que « le Saint-Esprit descendait sur elle et touchait sa tumeur avec son feu, la faisant ainsi fondre« .
Une prémisse à la réflexion : dissocier opinion et champ d’action
Avant d’exprimer mon regard sur cette situation, il me faut poser quelques jalons dans le lien que j’entretiens avec cette dame afin de bien dissocier mon opinion de mon action. Je suis accompagnant spirituel ancré dans une vision rogérienne qui se veut centrée sur la personne. Cela implique que dans ma pratique, je me focalise sur la patiente, sur ses besoins explicitement exprimés et sur ce qu’elle me donne dans l’échange. Non pas sur ce dont j’estime qu’elle aurait besoin. Cette posture me demande ici un décentrage conscient vis-à-vis de moi pour me centrer sur elle. En effet, son vécu et sa spiritualité entrent en résonance très forte avec mon vécu, mes blessures passées et mon rejet des milieux évangéliques. Ceci étant dit, la foi de cette dame semble être, pour elle, un pilier central de son équilibre émotionnel et psychologique dans une situation très difficile. Il est important de respecter ses croyances et de ne pas les contredire frontalement, même si elles paraissent éloignées de la réalité telle que je la perçois. Ainsi, la première chose que j’aimerais poser est que la spiritualité exprimée de cette dame est pleinement intégrée dans le processus de soin, et je m’attèle à ce que l’équipe soignante en tienne compte au maximum. Gilbert Bou Jaoudé résume ma posture en une phrase : Je ne suis ni juge, ni complice, ni encourageant, ni bridant.
Quelques mots de vulgarisation sur l’accompagnement centré sur la personne : la posture rogérienne, inspirée par le psychologue Carl Rogers, est une manière d’accompagner une personne en la plaçant au centre de l’échange. Elle repose sur une écoute active, où l’accompagnant s’efforce de comprendre profondément ce que la personne exprime, sans jugement, sans interrompre et sans chercher à donner des conseils immédiats. L’objectif est de créer un espace sécurisant où l’autre se sent pleinement entendu et accepté tel qu’il est. Cette approche ne cherche pas à imposer une solution ou à guider la personne dans une direction particulière, mais à lui permettre de puiser en elle-même les réponses à ses besoins et à ses questionnements. Cela implique une attitude d’authenticité, où l’accompagnant est sincère dans ses interactions, ainsi qu’une empathie profonde, où il s’efforce de comprendre non seulement les mots, mais aussi les émotions et les intentions de la personne. Non pas en les devinant, mais avec la reformulation et la confirmation de la personne accompagnée, par exemple. Cette posture repose enfin sur une acceptation inconditionnelle de l’autre. C’est-à-dire une absence totale de jugement, quel que soit le vécu, les choix ou les croyances de la personne. En somme, la posture rogérienne vise à reconnaître et à valoriser la capacité de chacun à grandir et à trouver ses propres solutions lorsqu’un cadre de confiance est établi. Cela présuppose d’être, en tant qu’accompagnant, le plus congruent possible. La congruence se réfère à la cohérence interne et à l’authenticité d’une personne qui est alignée entre ses pensées, ses sentiments et ses comportements. Cette congruence favorise une relation authentique et empathique, essentielle pour établir une connexion efficace.
Ressource et perturbation
Ainsi, il y a mon action auprès de la patiente et le lien que j’entretiens avec elle. Et, il y a mon rôle de membre de l’équipe pluridisciplinaire, laquelle me demande, après chaque entretien avec cette dame, mon opinion et les recommandations en lien avec l’investigation du champ spirituel et comment celui-ci peut se déployer dans l’interdisciplinarité. La question que je me pose en tant qu’accompagnant spirituel est de savoir si la spiritualité qu’une personne déploie est une perturbation ou une ressource pour elle dans ce qu’elle traverse. C’est ainsi qu’une même conception de la spiritualité peut être une ressource pour une personne comme une perturbation pour une autre. Il convient donc non pas d’avoir un a priori sur une spiritualité déployée, mais de la faire dialoguer avec la singularité de l’individu qui l’exprime. Ici, la question est ténue, car la patiente exprime d’elle-même l’idée que sa spiritualité est une ressource, mais je (et toute l’équipe) perçois dans quelle mesure elle est aussi une perturbation.
Madame exprime certes que sa spiritualité est une ressource, car dans sa croyance, aucune guérison n’est possible sans l’action de Dieu. Si elle n’était pas croyante, elle est persuadée qu’elle serait déjà morte. En un sens, sa spiritualité est effectivement une ressource. En effet, dans un entretien, elle me disait qu' »à Dieu est l’impossible et aux hommes est le possible. Mon travail à moi, c’est de prendre mon traitement et Dieu lui me guérira. » Ainsi, alors même qu’elle attend un miracle, elle continue de prendre son traitement. En plus, elle exprime l’idée qu’attendre cette guérison lui permet de garder espoir, ce qui lui permet de persévérer dans un processus où, selon ce qu’elle dit, elle souhaiterait parfois abandonner et tout laisser filer. Ce que l’on peut aussi entendre en tant qu’accompagnant : notre rôle n’est pas de convaincre la patiente de suivre tel ou tel chemin, mais de l’aider à trouver son propre chemin à travers ce qu’elle traverse. Mais si la prière et la foi telle qu’elle l’exprime est une ressource dans la stabilité de ses émotions, elle devient aussi une perturbation à certains égards. C’est ce que j’aimerais explorer ici. Rien n’est tout blanc ou tout noir. Tout se décline plutôt en nuances de gris.
La prière comme performance
Dans la situation de cette dame, la prière semble s’apparenter à une sorte d’examen permanent où la qualité de sa foi est mise à l’épreuve. Cette dimension performative repose sur l’idée que prier « bien », « suffisamment » ou « suffisamment intensément » est une condition nécessaire pour que le miracle se produise et donc qu’elle puisse enfin guérir. Cette croyance peut entraîner une pression psychologique importante, car elle place sur ses épaules la responsabilité d’obtenir une issue favorable. Chaque prière devient alors une occasion de douter de soi : a-t-elle prié avec assez de ferveur ? Sa foi est-elle assez forte ? Ces interrogations l’éloignent d’un apaisement intérieur, en renforçant un sentiment d’insuffisance ou de culpabilité si la guérison espérée n’intervient pas.
Cette dynamique transforme la prière en une tâche exigeante et potentiellement épuisante. Plutôt que d’être un espace de réconfort ou de connexion spirituelle, elle devient un exercice conditionnel, presque transactionnel, où la patiente tente de prouver sa valeur ou sa fidélité pour obtenir une intervention divine. Cette logique de mérite peut aussi accroître sa solitude, en nourrissant l’idée qu’elle seule est responsable de la réalisation ou non de ses prières, la coupant ainsi d’un regard plus bienveillant sur elle-même et sur sa situation.
La prière comme générateur de culpabilité
De cette idée de performance découle naturellement celle de la culpabilité. L’équipe et moi-même constatons que cette attente impérieuse de l’action divine miraculeuse a pour effet d’enfermer cette patiente dans une culpabilité et une vision d’elle-même mortifère. Considérant que le miracle n’advient pas, malgré les prières de pasteurs, d’un guérisseur de renom dans le milieu évangélique et toute la persévérance dont elle fait preuve au quotidien, tant dans la prière, que dans le suivi du processus de soin, elle en vient à se dire que c’est sa faute si elle ne guérit pas. « Dieu est tout-puissant, alors si je ne guéris pas, c’est peut-être parce que je ne prie pas assez, ou pas assez bien. Que je ne suis pas une assez bonne chrétienne« .
Cette conception vient directement du milieu évangélique lui-même, où de nombreux prédicateurs, parfois reconnus, prêchent l’idée que si rien ne se passe, c’est que le croyant n’en fait pas assez. Une pasteure et influenceuse chrétienne, aux centaines de milliers d’abonnés sur les réseaux, le dit explicitement dans une prédication (vue par plus de 100 000 personnes à ce jour), et cela illustre bien la croyance de ma patiente : certains « [passent] du temps avec Dieu, mais il ne se passe rien dans [leur] vie.[…] Il y en a qui prient, qui lisent leur Bible et qui sont fidèles. Quand ça, ça se passe dans votre vie, c’est que très souvent, Dieu vous demande un niveau supérieur. C’est-à-dire que tu es quelqu’un qui passe peut-être une demi-heure avec Dieu par jour et qui lit ta Bible. Peut-être que le Seigneur te dit : « maintenant jeûne, va plus loin ». C’est comme ça avec Dieu. Au début, avec Pierre (son mari) on s’est écrit des SMS. Après, on s’est tenu la main. Après, on s’est fait des bisous. Après, on s’est fiancé. Après, on s’est marié. Après, on a eu un enfant. […] Des fois, tu commences avec Dieu, et Dieu est un Dieu de gloire, en gloire, en gloire. » On voit bien comment ce genre de discours peut résonner dans la tête d’une patiente traversant ce que la dame que j’accompagne traverse : si tu ne guéris pas, c’est que tu ne fais pas assez. Considérant que pour elle Dieu est tout-puissant et parfait et l’homme pécheur par nature et faillible, il est inconcevable de remettre en question Dieu et son action présumée, d’autant plus lorsque celle-ci est appuyée et attestée par tout son cercle social (son mari mis à part, toute la famille de cette patiente croit en ce sens). Cela a pour effet de la faire crouler sous le poids de la culpabilité.
La prière comme enfermement
« Le miraculeux existe, la guérison aussi. Mais pas au sens littéral où l’entendent ces dealers d’espoir. Peut-être contre-intuitivement, c’est alors qu’ils acceptent leur maladie que des guérisons opèrent chez les personnes. Mais, guérison à ne pas comprendre comme un rétablissement dans la santé (santé qui n’est pas défini comme l’absence de pathologie), comme un retrait du mal/trouble diagnostiqué. Le miracle, la guérison, c’est un autre chemin de vie qui s’ouvre. Et, si le texte (biblique) est à lire symboliquement, la réalité nouvelle qui s’ouvre dans le parcours d’une personne est lui bel et bien réel. » C’est ce que je disais dans la première partie au sujet du miraculeux.
Je reprends ces mots, car dans le discours de ma patiente, il y a un refus qui se déploie dans le champ sémantique : « je refuse cette maladie au nom de Jésus« . C’est-à-dire que le réel n’est pas accepté tel qu’il est, pour ce qu’il est, mais qu’il doit être ramené à quelque chose que l’on considère être le plan de Dieu. Dieu, qui, rappelons-le, est parfait, là où l’être humain serait pécheur et faillible. Dans sa grille de lecture, accepter la maladie est un non-sens. Pire, c’est potentiellement le signe que sa foi n’est pas assez bonne, puisqu’elle accepterait une fatalité que Dieu lui-même n’accepte pas. Ce serait pour elle comme refuser sa guérison. Cela serait d’une certaine manière se mettre en porte-à-faux avec un être tout-puissant.
Ce refus de la maladie, exprimé dans un cadre religieux, peut être perçu comme une forme d’enfermement spirituel. En rejetant le réel tel qu’il est, la patiente s’impose une double contrainte : celle de devoir lutter contre la maladie elle-même (ce qui est contre-intuitif, puisqu’elle espère en l’action d’un être divin) et celle de devoir prouver, par une foi irréprochable, qu’elle mérite d’être guérie. Cette approche crée une pression psychologique considérable, car l’échec apparent de la guérison peut être vécu comme un échec personnel ou spirituel, renforçant un sentiment de culpabilité. En plaçant ainsi la maladie en opposition au plan divin, elle limite les possibilités de trouver un sens à ce qu’elle traverse ou de se réconcilier avec sa condition actuelle. Elle s’enferme dans un logiciel, qui fonctionne en apparence très bien en vase clos, mais qui a pour effet de la faire tourner en rond dans les mêmes schémas.
À l’inverse, une approche qui s’émancipe de la lutte contre la réalité pourrait ouvrir des perspectives plus libératrices. Accepter la maladie, non comme une défaite, mais comme une part du parcours de vie, permettrait de sortir de la logique du combat et de la culpabilité. Cela pourrait offrir la possibilité de redécouvrir des ressources intérieures, d’apaiser la relation à soi-même et d’accueillir des formes de soutien ou de solidarité qui dépassent la simple quête de guérison. Cette acceptation n’annule pas l’espoir, mais elle élargit le champ des possibles en permettant de se projeter dans un avenir dans lequel la transformation repose sur la résilience et l’adaptation, plutôt que sur le rejet du réel pour la seule raison qu’il n’entrerait pas dans un plan divin prédéfini.
La prière comme évitement
Pour cette dame, la prière semble concentrer toute son attention et son énergie sur l’espoir d’une guérison miraculeuse. En focalisant ses pensées sur cet objectif, elle pourrait inconsciemment éviter d’affronter d’autres aspects de sa réalité, comme la nécessité d’adapter son quotidien à la maladie ou de faire le deuil de certaines de ses capacités physiques. La prière devient alors une échappatoire, un moyen de repousser la douleur émotionnelle et de maintenir une distance avec les ajustements difficiles que la maladie impose. Il devient plus confortable de « refuser au nom de Jésus », que d’accepter le réel. Cependant, cet évitement peut ralentir un processus d’acceptation, qui est pourtant souvent essentiel pour trouver une nouvelle forme d’équilibre.
Cette utilisation de la prière comme refuge peut également limiter l’exploration d’autres ressources ou soutiens disponibles. Plutôt que de s’ouvrir pleinement à des solutions qui impliquent des soins, des adaptations ou même des relations humaines, elle risque de rester figée dans une attente centrée uniquement sur l’intervention divine. Si cette stratégie lui amène un soulagement temporaire, elle pourrait, à long terme, renforcer sa difficulté à se réconcilier avec sa situation et à envisager d’autres chemins de résilience ou d’apaisement.
Ressources ou perturbation ?
Dans les deux cas, il y a ce que la patiente exprime. Pour la prière comme ressource, il y a ce qu’elle affirme de manière péremptoire : la prière, la foi et la religion sont des ressources pour elle, et elle a raison si l’on parle de son équilibre. Lui supprimer sa foi reviendrait en quelque sorte à l’empêcher de marcher. Pour la prière comme perturbation, il y a ce qu’elle dit d’elle à travers son expérience religieuse et spirituelle : la culpabilité, l’image qu’elle a d’elle-même comme « mauvaise croyante » et tout ce que cela entraîne. Entre la ressource et la perturbation, il y a une tension délicate.
Pour ma part, et dans ma grille de lecture, j’ai le sentiment que la balance penche plutôt du côté de la perturbation. La raison est l’état général de la patiente. Si son équilibre émotionnel tient tant bien que mal, je vois un moral qui, malgré le fait que la maladie recule, même très lentement, dégringole à mesure que le temps passe. Je me base aussi sur l’avis général de l’équipe, qui perçoit que la dame va de moins en moins bien, ce qu’elle exprime elle-même. Je l’ai notamment vu arriver après les fêtes de Noël en salle d’animation. Je lui ai demandé comment elle allait, et elle m’a répondu d’elle-même « pas tant bien« . Ce qui me semblait parfaitement congruent en l’occurrence et correspondait avec son non verbal.
Synthèse
En conclusion, cette vignette clinique met en lumière la complexité de l’articulation entre foi, prière et processus de soin. Si la prière peut être une ressource précieuse comme soutien émotionnel et spirituel, elle peut aussi devenir un espace de tension, générant culpabilité, enfermement ou évitement de la réalité. Ces dynamiques rappellent l’importance d’un accompagnement spirituel nuancé, respectueux des croyances tout en aidant la personne à naviguer entre espoir et acceptation. Il ne s’agit pas de contredire les croyances d’une patiente, mais de lui offrir un cadre où elle peut explorer toutes les dimensions de son expérience, y compris celles qui peuvent être entravées par des attentes irréalistes ou des pressions spirituelles. L’objectif est alors de favoriser un cheminement où la spiritualité peut réellement s’inscrire comme une ressource libératrice et intégrative, et non comme une source supplémentaire de souffrance ou d’isolement.
Enfin, comme je l’ai déjà dit dans le billet précédent, contrairement à une idée reçue très rependue dans les milieux chrétiens, la prière ne génère pas du bon dans tous les cas. Son effet peut en réalité être dévastateur. Plusieurs cas cliniques spécifiques comme celui-ci me le démontrent semaines après semaines, et certaines études également. Ainsi, comme beaucoup de choses, la prière n’est pas bonne ni mauvaise en soi. En revanche, elle est capable de pencher d’un côté ou de l’autre en fonction de ce que l’on en fait.
Ce que je perçois dans l’idée chrétienne selon laquelle « la prière ne peut pas faire de mal », c’est l’hypothèse que prier pour une maladie ne peut qu’aider et, en tout cas, ne risque pas d’aggraver la situation. Cependant, cette approche est très réductrice et un peu naïve (dans le mauvais sens du terme), car elle se limite à la maladie, sans prendre en compte l’ensemble de la personne. La prière et la spiritualité ne sont pas des remèdes universels que l’on peut appliquer à autrui sans discernement, comme une solution miracle. Prenons l’exemple des médicaments : un traitement peut effectivement agir sur une pathologie spécifique, mais il peut aussi provoquer des effets secondaires indésirables. La chimiothérapie illustre bien ce point : bien qu’elle lutte efficacement contre le cancer, elle s’accompagne souvent d’effets secondaires lourds. Personne n’envisagerait de prescrire un tel traitement sans évaluer ses risques et ses implications.
De la même manière, prier pour quelqu’un sans considérer la globalité de son être ni les conséquences que cela pourrait avoir revient à administrer des traitements médicaux sans tenir compte des contre-indications ou des effets secondaires. Affirmer que « la prière ne peut jamais faire de mal, mais seulement du bien » sans tenir compte de l’intégrité et de la complexité de la personne pour laquelle on prie, revient à ignorer la responsabilité inhérente à tout acte d’accompagnement. C’est une posture qui peut être malavisée, voire contre-productive, car la prière, comme tout élément spirituel et/ou thérapeutique, mérite d’être déployée avec discernement, en tenant compte des effets qu’elle peut engendrer sur l’ensemble de la personne. L’enjeu éthique est ici crucial : accompagner, c’est aussi éviter de susciter des attentes irréalistes ou des culpabilités injustifiées. En d’autres termes, je pense qu’affirmer que « prier ne peut en aucun cas faire de mal, mais ne peut faire que du bien » est profondément irresponsable.
Enfin, j’aimerais ajouter ceci : la prière est une pratique qui peut s’exprimer en communauté, mais elle découle avant tout d’une démarche intime. C’est une relation personnelle avec le divin (quelque soit ce qu’on appelle le divin, littéralement ou symboliquement) qui trouve son sens dans une connexion profondément subjective et intérieure. Dès lors, il est légitime de questionner cet élan qui pousse à proposer la prière aux malades, comme si cela allait de soi ou pouvait systématiquement leur être bénéfique. Une telle démarche, bien que souvent empreinte de bonnes intentions, peut parfois sembler déconnectée de la réalité de la personne malade. Elle ne prend pas toujours en compte son vécu, ses besoins réels ou encore ses propres convictions spirituelles, ce qui la rend, dans certains cas, complètement hors sol. Cette proposition vue par ce prisme est une simple injonction et dénote d’une certaine dépersonnalisation de la démarche spirituelle que l’on veut appliquer aux autres, voire une projection de la foi du proposant, plutôt qu’un véritable acte de soutien.
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[…] fait suite aux trois billets précédents sur la question des miracles (partie 1, partie 2 et partie 3), à la suite desquels on m’a énormément posé la question de savoir si je priais ou non […]
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