Réflexions d’un aumônier libertaire sur l’assistance au suicide – partie 1

Le suicide assisté n’est pas une idée abstraite. Ce n’est pas un débat de salon, ni une question de principe à trancher depuis une chaire théologique ou un pupitre politique. C’est une réalité. Une réalité vécue. Une décision intime, grave, traversée par des douleurs, des histoires, des corps fatigués, parfois brisés. Et c’est une réalité que je côtoie régulièrement dans mon travail. En Suisse, le suicide assisté est encadré par la loi. Il fait partie du paysage éthique, médical, spirituel. Ce n’est ni une évidence, ni une banalité. Mais c’est une possibilité. Et dans le cadre de mon ministère d’aumônier, il m’arrive d’accompagner des personnes qui font appel à cette alternative. Pas pour les convaincre de changer d’avis comme peuvent le faire certaines personnes. Pas pour les juger. Mais pour être là. Présent. Entier. Authentique.

Je voudrais d’abord situer d’où je parle. Je suis profondément attaché à la liberté de chacun·e de décider pour soi-même, y compris lorsqu’il s’agit de la fin de vie. Comme Kamel Daoud, je dis que personne ne mourra à ma place et que c’est donc à moi, et à moi seul, de choisir ce que je fais de ma vie jusqu’au bout. Et de la même manière, personne ne vit ce que je vis, avec ce que cela comporte de joies, de douleurs, de poids et de solitude : nul ne peut donc prétendre décider à ma place comment je devrais mourir. En élargissant ce principe à mes semblables, il me paraît à la fois légitime, digne et cohérent qu’une personne qui souhaite mettre fin à sa vie dans la dignité puisse en faire la demande. Pour ma part, je vis avec des douleurs chroniques, et je ne pense pas avoir recours à une telle démarche un jour. Mais ce n’est pas la question. Ce que je trouve inacceptable, c’est qu’on veuille, au nom d’une morale, d’une religion ou d’une peur, imposer à d’autres une façon de mourir qui ne leur ressemble pas. Il m’arrive d’entendre certaines personnes (et parfois des collègues, de toutes confessions) dire qu’une telle demande leur est « imposée » ou qu’elle leur « pèse ». J’ai envie de leur répondre : ce n’est ni votre vie, ni votre mort. Il n’y a donc, en réalité, aucune imposition. Juste une personne en face, singulière, qui cherche à reprendre la main sur ce qui lui échappe. Et ça, ça mérite d’être entendu.

Il y a quelque temps, je discutais avec une connaissance catholique farouchement opposée à l’assistance au suicide, pour des raisons religieuses et morales. Une personne en parfaite santé, pleine possession de ses moyens, loin de toute dépendance. La veille, j’étais au chevet d’une femme de 90 ans, atteinte d’une maladie incurable, en proie à des douleurs chroniques atroces, qui me disait : « Je me lève et je me couche dans ma propre pisse. » Ce billet ne parle pas depuis les hauteurs de la spéculation morale ou les concepts métaphysiques. Il ne parle pas de la mort. Il parle depuis elle. Depuis les visages que je croise. Depuis les regards qui cherchent encore un peu de paix. Depuis les corps qui tremblent, les souffles courts, les mains qu’on serre dans le silence des derniers instants. Je parle depuis cette proximité-là — là où les doctrines s’effritent, là où les grands principes deviennent parfois des violences supplémentaires. Dans ces moments, les théories ne tiennent plus. Elles se taisent. Il ne reste que l’humanité nue, dépouillée de ses dogmes.

Et une question, simple, déchirante, irréductible : de quoi a-t-on encore le droit de disposer… quand tout le reste nous échappe ?

La chambre d’agonie : la où les discours se taisent

Je ne prétends pas savoir ce qu’est l’agonie. Pas dans l’absolu. Mais je peux dire ceci : j’y ai été confronté. Pas une fois. Plusieurs fois. Dans ces chambres où l’on entre doucement. Où la lumière est tamisée. Où le silence est plus dense que d’ordinaire. Où le temps se suspend, étiré entre deux respirations. J’ai vu des corps se défaire. Lentement. J’ai entendu des râles durer des heures. J’ai vu des regards s’accrocher à une main, à une voix, parce qu’il ne restait plus rien d’autre à quoi se raccrocher. J’ai accompagné des personnes seules. Et d’autres entourées. Mais même entourée, la mort reste une traversée solitaire. Qui suis-je pour oser dire à la personne qui souffre atrocement, « non vous n’avez pas le droit de faire appel à l’assistance au suicide » ? Parfois, la souffrance prend toute la place. Elle déborde les soins, la morphine, les prières. Elle rend le monde trop lourd à porter. Trop dur à respirer. Trop long à attendre. Et ce ne sont pas de grandes déclarations philosophiques ou morales qui peuvent alors répondre à l’urgence de ces instants. C’est autre chose. Une écoute. Une présence. Un respect sans condition.

Et c’est là que je ressens un décalage profond : entre ce que je vis, dans la proximité avec ces personnes en fin de vie, et ce que j’entends parfois dans les prises de position publiques contre l’assistance au suicide. Beaucoup de ces discours, souvent religieux, parfois politiques, parfois littéraires, s’expriment avec assurance, comme s’il s’agissait d’un débat d’idées. Mais ils viennent rarement de gens qui ont vu quelqu’un mourir lentement. Rares sont ceux qui ont tenu une main jusqu’au bout, ou entendu les derniers mots d’une personne qui demande que ça s’arrête. Je ne prétends pas détenir une vérité. Mais je refuse qu’on parle de ces situations comme si elles étaient des cas de conscience théoriques. La mort réelle n’a rien à voir avec les abstractions morales. Elle a une odeur, une texture, une lenteur. Elle vient habiter les corps avant même qu’ils soient partis. Et face à cela, parfois, vouloir partir devient un ultime acte de lucidité. Et d’amour de soi.

L’inégalité face à la douleur

Il y a donc des douleurs que l’on ne peut pas imaginer tant qu’on ne les a pas traversées. Et même là, elles ne se comparent pas. La douleur n’est jamais la même d’un corps à l’autre, d’une vie à l’autre. Elle n’est pas seulement physique. Elle est aussi morale, existentielle, relationnelle. Elle ne se mesure pas uniquement en intensité, mais en durée, en isolement, en épuisement. J’ai accompagné des personnes très âgées, parfois au-delà de 90 ans, qui vivaient avec des douleurs chroniques devenues insupportables. Des douleurs que même certains traitements n’arrivait plus à calmer. Des douleurs qui rongeaient leur quotidien, qui les empêchaient de dormir, de bouger, de respirer sereinement. Elles me disaient parfois : « Ce n’est plus une vie. » Et je ne pouvais pas les contredire. Parce que pour elles, ce n’en était plus une.

Je ne romantise pas la souffrance. Et je ne sacralise pas la résilience. Il y a des personnes qui, face à la douleur, trouvent encore des ressources inattendues. Qui choisissent de continuer malgré tout, par amour, par foi, par instinct de vie. Et c’est admirable. Mais ce n’est pas un modèle universel. Ce n’est pas une norme à laquelle on pourrait soumettre les autres. Je vis moi-même avec des douleurs chroniques, mineures, une arthrose tenace, quelques points sensibles, des réveils parfois pénibles. Rien de grave. Mais suffisamment présents pour m’enseigner l’usure. Cette fatigue diffuse qui s’installe, cette fragilité du corps qui vient te rappeler, chaque jour, qu’il y a des seuils. Alors quand j’écoute une personne me dire qu’elle ne veut pas franchir les seuils suivants, que la douleur et/ou la souffrance est trop grande, je ne me permets pas de juger. Je comprends.

Nous n’avons pas tous les mêmes corps, les mêmes seuils, les mêmes histoires. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise manière d’endurer. Il n’y a pas de hiérarchie morale entre celui qui tient bon et celui qui dit : « J’arrête là. » Nous ne sommes pas égaux face à la douleur et à la souffrance, et c’est ainsi. Il n’y a que des trajectoires singulières. Des tentatives de garder, jusqu’au bout, une forme de dignité. Et parfois, cette dignité passe par le choix de partir. Non pas par facilité. Mais par lucidité. Par fidélité à soi.

Un principe de liberté incarnée

Mais au fond, ce que ces situations m’ont appris, ce que ces visages m’ont transmis, c’est qu’au-delà de la souffrance elle-même, ce qui compte peut-être encore davantage, c’est la possibilité d’en dire quelque chose. D’en faire quelque chose. De choisir, dans la mesure du possible, comment continuer… ou non. Certaines personnes m’ont confié que ce n’était pas tant la douleur qui les terrifiait, mais le fait de ne plus avoir prise sur leur propre vie. D’être réduites à une série de protocoles, de soins, de décisions prises par d’autres. Comme si leur subjectivité se dissolvait dans la machine médicale, sociale, ou familiale. Comme si, à mesure que leur corps leur échappait, le droit à décider de leur propre trajectoire leur était retiré.

Et c’est là que se joue, pour moi, le cœur du débat. Non pas dans des abstractions philosophiques, morales ou religieuses, mais dans cette simple et radicale conviction que chacun est le mieux placé pour savoir ce qu’il vit. Et ce qu’il peut encore, ou non, endurer. Et c’est là que me revient en tête l’idée de Kamel Daoud, qui considère que personne ne mourra à sa place, personne n’a à vivre à sa place non plus. Cette idée, pour moi, n’est pas un slogan. C’est un socle. Elle dit ce que tant de discours publics oublient ou refusent d’admettre : que l’autonomie n’est pas un luxe, mais un droit fondamental. Et que, inversant la logique de son idée, refuser à quelqu’un la possibilité de choisir sa mort, c’est aussi lui nier la pleine propriété de sa vie et de son corps.

Décider à la place d’autrui de ce qu’il peut faire de son existence, c’est déjà exercer un pouvoir sur sa fin. C’est s’arroger un droit de regard sur ce qui, par définition, devrait rester le lieu le plus intime, le plus personnel, le plus inaliénable.

Une posture libertaire

Je ne me cache pas derrière une prétendue neutralité. Je ne suis pas neutre. Je suis libertaire. Cela ne veut pas dire que je suis pour toutes les formes d’individualisme. Cela ne veut pas dire que tout se vaut. Mais cela signifie, de manière simple et fondamentale, que je crois que chacun est souverain de son propre corps. Et que personne n’a à dicter à autrui ce qu’il doit en faire : ni une Église, ni un État, ni une institution, ni même un proche animé des meilleures intentions.

Ce que je défends ici, ce n’est pas une idéologie de la mort. C’est une éthique de la liberté. Une liberté incarnée, fragile, risquée parfois, mais réelle. La seule qui vaille quand on est face à quelqu’un dont la vie ne tient plus qu’à un fil, et qui ne demande rien d’autre que d’être respecté dans son dernier choix. Je me méfie des grands discours moralisateurs qui prétendent « sauver des vies » à tout prix, mais qui, dans les faits, imposent un cadre normatif sur ce que serait une “bonne fin”. Une fin courageuse. Une fin édifiante. Une fin qui ferait sens pour ceux qui restent : car ce ne sont pas eux qui vivent le départ. Mais la mort n’est pas là pour faire sens. Elle est là. Et parfois, elle devient invivable.

Je me méfie tout autant des institutions, politiques ou religieuses, qui s’érigent en gardiennes de la dignité humaine tout en refusant aux gens les moyens de mourir avec cette dignité. Accompagner, pour moi, ce n’est pas orienter. Ce n’est pas suggérer. Ce n’est surtout pas convertir. Ce n’est pas “sauver l’âme”. C’est accueillir la décision de l’autre sans la conditionner à mes croyances. C’est être là, simplement, radicalement, dans la fidélité d’une présence qui ne juge pas. Dans ce geste-là, il y a une forme de résistance. Résister à la tentation du pouvoir. À la tentation de savoir pour l’autre. À la tentation d’avoir raison. Et il y a aussi une forme de spiritualité. Une spiritualité sans dogme, mais pas sans exigence. Celle de ne pas fuir. De ne pas prendre la place. De ne pas instrumentaliser la douleur de l’autre pour s’offrir une posture morale.

Une spiritualité de la présence

Mais si j’accompagne, ce n’est pas seulement par conviction éthique ou politique. Ce n’est pas uniquement parce que je suis libertaire, attaché à la souveraineté des corps et des consciences. J’accompagne aussi (et peut-être surtout) parce que je crois qu’il existe une spiritualité de la présence, une forme d’attention à l’autre qui ne cherche ni à sauver, ni à convertir, ni à juger, mais simplement à être là. Totalement. Humainement. Radicalement. Cette spiritualité-là n’a pas besoin d’église, ni d’encens, ni de dogme. Elle naît dans la rencontre. Dans l’écoute sans agenda. Dans la fidélité à un visage, à une histoire, à une détresse. Elle ne vient pas imposer un sens. Elle ne prétend pas répondre à la douleur par une vérité abstraite. Elle ne sanctifie pas la souffrance. Elle refuse de transformer l’épreuve en offrande sacrificielle. Elle choisit l’humain avant le mythe, la tendresse avant la théologie.

Accompagner, dans cette perspective, c’est tenir une posture intérieure : ne pas partir. Ne pas prendre la place de l’autre. Ne pas combler le silence par des mots rassurants. C’est consentir à rester, à écouter, à respirer avec. À être là quand il n’y a plus de prière à dire, plus de solution à proposer, mais encore tant de présence à offrir. Je crois que cette spiritualité est profondément évangélique (au sens de l’Evangile, et non de la religion évangélique), même si elle ne parle pas de Dieu. Elle est évangélique dans ce qu’elle a de plus dépouillé : être du côté des vivants, même quand ils choisissent la sortie. Accompagner une personne qui demande le suicide assisté, ce n’est pas renoncer à la foi. C’est lui rendre justice. C’est lui reconnaître une dignité inaltérable, jusque dans sa vulnérabilité ultime.

Et dans ce geste, accompagner sans condition, il y a quelque chose qui relève du sacré, au sens le plus simple et le plus vrai du terme : mettre à part ce moment, ce lien, cette liberté, comme un lieu que personne d’autre n’a le droit de violer. Je ne crois pas que Dieu, s’il existe, demande qu’on souffre jusqu’au bout. Je ne crois pas qu’il y ait une valeur spirituelle automatique dans la douleur prolongée. Mais je crois qu’il y a une profondeur spirituelle immense dans le fait de rester présent, sans pouvoir, sans jugement, sans arrière-pensée. Cette spiritualité de la présence, je ne l’oppose pas à la foi des autres. Mais je la propose comme une voie possible. Une voie humble. Une voie de chair. Une voie qui choisit, à chaque fois, le respect plutôt que la domination, la relation plutôt que la règle, la vie même fragile plutôt qu’une idée toute faite du bien.

Ce que je crois percevoir derrière le refus

On interroge beaucoup les arguments de ceux qui défendent l’assistance au suicide. Mais très rarement les motivations profondes de ceux qui s’y opposent. Qu’est-ce qui les rend si inquiets, si catégoriques, si imperméables à l’idée qu’un choix personnel puisse ne pas être une menace collective ? Derrière la peur de la « pente glissante », il y a souvent bien plus qu’un souci éthique. Il y a la peur panique que cette liberté donnée à l’autre finisse par nous renvoyer à notre propre vide. À notre propre fatigue de vivre. À l’angoisse sourde que nous ne pourrions peut-être pas, nous non plus, justifier notre vie autrement que par habitude, par peur ou par inertie. Si le suicide assisté dérange tant, c’est peut-être parce qu’il fait écho. Parce qu’il remet en lumière une question que notre société tente d’éviter à tout prix : qu’est-ce qu’une vie qui vaut la peine d’être vécue ? Pas au sens philosophique ou abstrait, mais dans le réel. Dans nos existences concrètes. Dans notre rapport au travail, au lien, à la fatigue, à l’inutilité. Et là, on touche à un point de rupture. Car dans une société post-chrétienne, désacralisée, qui n’offre plus aucun récit transcendant pour porter l’épreuve, qu’est-ce qui empêche la tentation de tout arrêter ? Et surtout : qu’est-ce qui empêche ceux qui n’en peuvent plus d’en faire un choix raisonnable ?

Le refus du suicide assisté prend alors une autre teinte. Il devient le refus de regarder en face la vacuité du système, de ses promesses non tenues, de ses liens désaffectés, de sa manière de réduire l’humain à un agent économique, à un être productif, à une case sociale. Parce que dans cette logique-là, la vie devient un projet. Un capital à rentabiliser. Et si quelqu’un dit : « Je n’ai plus envie », il met tout cela en péril. Il en montre l’absurdité. Il rappelle que la vie n’a pas à être performante. Qu’elle n’est pas un parcours de réussite, ni une entreprise de soi. Et que, par conséquent, la mort non plus n’a pas à être utile, morale, ou rentable. Elle peut être un adieu. Un choix. Un soulagement. Une dernière affirmation de liberté. Et cela suffit.

Alors, parmi les objections les plus fréquentes, il y a cette pente glissante, la peur de l’eugénisme. « Si on autorise le suicide assisté, demain on poussera les personnes âgées, handicapées, vulnérables à partir plus vite… » Cette crainte si elle est infondée, n’est pas illégitime. Mais elle dit quelque chose de bien plus profond : elle trahit la conscience aiguë que notre société maltraite déjà les plus fragiles. Elle révèle que nous vivons dans un monde où l’inutile est écarté, où l’improductif gêne, où la dépendance fait honte. Et c’est justement parce que cette société est perçue comme froide, cynique, ultralibérale, consumériste, que la possibilité du suicide assisté devient, dans l’imaginaire collectif, une pente dangereuse.

Mais alors posons-nous la vraie question : le problème est-il la liberté de choisir de partir dans ce que l’on considère être digne ? Ou bien est-ce la société qui rend cette liberté à la fois vitale et suspecte ? La dérive eugéniste, si elle menace, ne vient pas de la liberté des individus, mais de l’idéologie de performance qui traverse nos structures, nos économies, nos liens. Ce n’est pas une démarche personnelle qu’il faut censurer. C’est le monde qui fait peser sur chacun la pression d’être toujours fort, toujours utile, toujours compétent. Interdire la liberté de recours à l’assistance au suicide au nom de cette peur, c’est se tromper de cible. Ce n’est pas la liberté qu’il faut abolir : c’est la violence systémique qui en fait une nécessité pour tant de personnes.

Conclusion : tenir la main, pas la vérité

Il y a des moments dans une vie, et plus encore dans une fin de vie, où ce que nous pouvons faire est peu de chose. Pas réparer. Pas guérir. Pas empêcher. Seulement être là. Entièrement là. Avec ce que nous sommes. Pas plus. Dans ces moments-là, on comprend que la fidélité ne consiste pas à apporter des réponses. Elle ne consiste pas à convaincre, ni à guider, ni même à comprendre. La fidélité, c’est rester. Même quand on est impuissant. Même quand on ne sait pas. Même quand l’autre prend une décision qui nous dépasse.

Accompagner quelqu’un qui choisit de partir, ce n’est pas se substituer à lui. Ce n’est pas mettre nos mots dans sa bouche, ni nos peurs dans ses gestes. C’est le regarder encore comme un être libre, digne, et aimable jusque dans son dernier choix. Il faut du courage pour mourir. Mais il faut aussi du courage pour ne pas fuir ceux qui meurent, surtout quand ils le font selon une logique qui nous trouble ou nous échappe. Être humain, parfois, c’est juste ça : ne pas s’éloigner. Ne pas se protéger derrière des phrases ou des principes. Ne pas se dérober. Tenir la main, pas la vérité. Et, parfois être humain, c’est aussi savoir poser ses propres limites, quand les affectes deviennent trop fort : si pour une personne mourir librement est un droit inaliénable, la même liberté doit être octroyé à ceux que cette idée heurte de ne pas être présents.

Une présence dans ces moments n’est pas un renoncement. Je crois que c’est une forme exigeante de présence. Une présence qui ne cherche pas à maîtriser, mais à honorer. Une présence qui ne sauve pas, mais qui accompagne. Une présence qui ne possède rien, mais qui se donne. Et peut-être est-ce là, finalement, le plus grand geste spirituel qu’il nous soit donné de faire : accepter de ne pas être le centre de l’histoire, et pourtant y être, pleinement, au plus près de l’autre, jusque dans l’indicible.

Alors j’en ai entendu certains me dire qu’il y a des mourants qui témoignent lumineusement de leur envie de vivre jusqu’au bout. C’est beau, lumineux et admirable. Mais, un témoignage bouleversant d’une personne en fin de vie qui dit : « Je veux vivre jusqu’au bout » ne devrait jamais être utilisé pour interdire à d’autres le droit de choisir une autre voie. Pas plus qu’un témoignage d’agonie insupportable ne devrait servir à imposer le suicide assisté comme solution universelle. Il y a des singularités, des seuils, des récits de vie qui ne se recouvrent pas. Et ce qu’il faut entendre, c’est que les deux gestes sont également honorables : continuer coûte que coûte peut être un acte de courage. S’arrêter aussi. Ce qui mérite d’être protégé, ce n’est pas une seule forme de fin de vie, mais la possibilité pour chacun.e de choisir la sienne, selon ce qui a du sens pour lui ou pour elle, et selon ce qu’il lui est supportable, ou non.

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